Concours d’écriture, catégorie adulte : Patricia Poulin
C’est avec fierté que l’équipe de GRAFFICI poursuit avec son 4e concours d’écriture consécutif, cette fois sous le thème « Ailleurs ». Les gagnants recevront chacun un chèque-cadeau de 250$ qu’ils pourront utiliser dans une librairie agréée de la région. Nous désirons souligner une fois de plus l’apport de Philippe Garon au concours, par l’offre d’ateliers d’écriture gratuites sur le territoire. Ces ateliers ont su encourager et stimuler la créativité des jeunes et moins jeunes qui désiraient participer au concours. Cette année, le jury était composé de Suzanne Doucet, Marie-Claire Martin, Agathe Bourque et Alvina Levesque, qui ont toutes pris grand plaisir à lire les textes soumis. La majorité des récits se sont avérés de bonne facture. Le thème a été respecté alors que la qualité et la diversité des styles ont été jugées prometteuses. Le jury encourage les participants et les participantes à continuer d’écrire et tient à féliciter les gagnants. À noter par ailleurs que n'ayant pas reçu de textes dans la catégorie « Français langue seconde », nous vous présentons deux textes de la catégorie « Adulte ». Chaque auteur recevra un prix. De plus, il est encore temps de soumettre vos textes pour la catégorie « Étudiant ». Le texte gagnant de cette catégorie ainsi que le prestigieux Coup de coeur du jury seront publiés en juin. Le tout a été rendu possible grâce aux partenaires du journal que sont les caisses Desjardins de la Baie-des-Chaleurs, la démarche Complice – Persévérance scolaire Gaspésie-Les-Îles, Courant culturel et l'entente de développement culturel du Rocher-Percé. Bonne lecture!
Un semblant d’errance
Patricia Poulin
Maria
Tous ceux qui errent ne sont pas perdus – J.R.R. Tolkien
Le temps est venu : un matin, elle est partie. L’esprit clair et tout à fait éveillée. Ce moment précis à jamais gravé en sa mémoire. Une photographie cristalline. De tout temps lui semble-t-il, ce désir, ce besoin même, habite son espace intime. Tout vendre. Maison, meubles. Ne conserver que l’essentiel. Libérer les lieux, tout miser sur la confiance et, Qué serà serà, comme elle chantait petite fille dans la balançoire, sans se douter un instant, qu’un jour…
Ailleurs. Ces quatre voyelles et quatre consonnes dont un double « l », une paire d’ailes pour les ouvrir et les déployer vers d’autres espaces d’autres cieux d’autres paysages. Le temps est venu : endimancher de silences la complainte des fantômes sépia trop insistants. Volontairement, effacer la silhouette de celle souvent modelée au vouloir de son entourage et aussi, faire la paix avec des fragments de vie éparpillés au creux de ses rêves ou sur l’écorce d’un vieux merisier endormi dans ce champ couvert de marguerites.
Depuis l’enfance, la lecture, cette porte ouverte sur de multiples ailleurs. Tous ces livres devenus semences utiles à l’éclosion d’une promesse secrète : celle de vivre à l’étranger, d’apparaître en un endroit différent et écrire de nouveaux chapitres de son existence. L’anonymat, la fraîcheur, l’exotisme. Ce départ, peut-être fuite ou excentricité. Il s’agit plutôt d’un futur entrevu à ses 17 ans et impitoyablement éteint dans l’oeuf par un « non » sans équivoque de l’homme de la maison; ne pas sortir du rang; ne pas changer l’ordre établi des choses; ne pas rêver; ne rien souhaiter. En quelques secondes, un concevable à-venir modifié en désillusion, de celle tenace et obsédante, nuits et jours. Il lui est nécessaire de partir au loin afin d’apaiser les pensées trop bavardes et feutrer sa conscience d’espoir et de fils-douceur.
Ailleurs. Changer de lieu, de peau et se dégager du monde entre parenthèses dans lequel elle se sent prisonnière. Vivre plusieurs vies tel un félin qui s’adapte à des circonstances nouvelles, des endroits insolites, d’autres humains. Une nature de nomade, voilà son identité profonde; un cadeau lui permettant de vivre sa géographie intérieure avec une réalité différente.
Obéir. Transfigurer ce mot et lui donner un sens créateur. Ce besoin de liberté, ce courage d’oser le vide, de quitter sans boussole pour un territoire inconnu; obéir à cet esprit d’aventure, sans doute blotti en elle depuis toujours afin d’accueillir les élans, les envies, la présence à soi. Atteindre le point zéro quelque part sur Terre, s’y déposer et se dé-livrer, se re-faire, se donner une chance et peut-être, entrapercevoir une certaine grâce pour la continuité de la route.
larguer les amarres / multiple cartographie / trouver sa place
Ailleurs. Une nourriture pour son âme et son esprit. Elle choisit de modifier la circonférence de l’horizon nordique de ses origines. Elle bouleverse une trajectoire dessinée à l’avance et ose prendre le large, vivre au levant et emprunter ce qu’elle nomme, la voie de la renaissance. Arrimer son âme à l’Est, l’orient sur la rose des vents. L’Est, lever du jour, début, commencement; son souhait. Être. Juste ça et tout ça. Ici en bord de mer, elle s’abandonne au chant des vagues, s’enivre d’effluves marines propices à façonner son esprit pour de joyeux lendemains. Dans ce nouvel ailleurs, un silence accompagné de lignes d’horizon éternellement changeantes de lumière deviendra sa balise intérieure, son chemin-qui-a-du-coeur; enfin, elle serà. Et si elle s’y berce assez longtemps à l’aube ou au crépuscule, une forme de consolation engendrera un système de racines accommodantes au centre des coquillages, en dormance sur la grève. Son rendez-vous avec les éléments de cette nature maritime apaisera les parcelles abîmées de jadis et apportera une sorte de tranquillité comme après le passage d’un squall.
voyage intimité / demeurer là / un ici devenu