Dans les souvenirs de madame Sawyer
CARLETON-SUR-MER |Une bonne partie de la planète semble avoir passé sous silence les commémorations du 75eanniversaire de la Deuxième Guerre mondiale, le virus que vous connaissez ayant volé la vedette. Pourtant, les souvenirs de madame Diane Sawyer de New Carlisle, eux, ne sont pas près de s’effacer.
Toute jeune, Diane Sawyer connaît l’occupation nazie qui lui a volé une partie de son enfance. Aujourd’hui âgée de 89 ans, elle voit le jour à Jersey, l’une des cinq îles anglo-normandes situées dans La Manche, entre la France et l’Angleterre, peuplée à l’époque de 6000 habitants. Au printemps 1940, Hitler part à la conquête de l’Europe occidentale, forçant les grandes puissances à se déclarer la guerre. En juin, la France s’écroule sous la botte nazie. Hitler regarde ensuite vers l’Angleterre, qui saura résister. Quant aux îles anglo-normandes, sous dépendance britannique, elles deviennent le seul territoire de la monarchie à connaître l’invasion allemande.
«Fin juin 1940, nous apprenons du gouvernement britannique que les îles anglo-normandes ne seront pas défendues. Des avions allemands ont laissé tomber des messages disant de mettre des draps blancs sur nos maisons en signe de soumission», se souvient Mme Sawyer, alors âgée de neuf ans. Sceptique devant la démilitarisation des îles, l’aviation allemande décide de bombarder les ports de Jersey avant d’occuper l’endroit à partir du 1erjuillet.
«Au début, ce n’était pas trop pire. Si on suit les règles et le couvre-feu, on nous laisse tranquilles. On recevait des produits de France, mais c’est devenu plus difficile à partir de l’hiver 1943. Moi et mon frère, on allait à l’école pendant que ma mère soignait mon père qui était malade. On a vu des familles partir [des familles juives notamment] et on ne les a jamais revues», se remémore Mme Sawyer. Déjà, en 1943, la puissante Allemagne vacille. Les Alliés bombardent l’ennemi sur les eaux et dans les airs. Ravitailler Jersey de la France devient impossible. Les habitants sont rationnés. «On se faisait de la farine avec des pommes de terre coupées fines qu’on faisait sécher. Mon grand-père fumait la pipe avec toutes sortes de choses, dont des pétales de roses séchées. On se faisait du thé avec ce qu’on pouvait. À l’école, on était faibles, on mangeait de la soupe chaque jour», relate Mme Sawyer. Les jours se ressemblent pour cette enfant qui entend quotidiennement des tirs et des bombardements au large, les sous-marins allemands ravageant les convois alliés.
Diane Sawyer revoit les prisonniers russes qui s’affairent à construire des fortifications tout le long de la côte de l’île Jersey. «Le soir, ils se promenaient, les soldats allemands aussi. Nous étions toujours sur le qui-vive. Nos parents nous mettaient souvent dans leur lit. On montait les poulets et les lapins à l’étage pour ne pas se les faire voler. On pouvait perdre la vie pour avoir protégé sa nourriture», mentionne Mme Sawyer. Les habitants se nourrissent surtout d’espoir. En juin 1944, la bataille de Normandie fait rage. L’Allemagne est déroutée, mais refuse de s’effondrer.
Puis, l’île frôle la famine. En décembre 1944, le Vega, un bateau de la Croix-Rouge internationale, arrive en renfort avec des cales remplies de denrées et de matériel médical et chirurgical. «Des habitants sont parvenus à conserver une radio. Jersey, c’est tout petit, les nouvelles circulent vite. On savait que la fin de la guerre approchait. Ça prenait encore de la patience», dit-elle. Le 8 mai1945, à 10 h, les insulaires apprennent des autorités allemandes que la guerre est terminée. Mais ce n’est que le lendemain, le 9 mai, que les forces allemandes capitulent.
«Tout le monde était excité. Nous pensions que c’était un rêve. Les gros navires avec les soldats alliés sont arrivés. On les entourait avec nos petits bateaux. Les soldats lançaient des oranges, des bananes, des cigarettes, des bonbons. Je n’oublierai jamais ce jour», mentionne Mme Sawyer.
Diane Sawyer se marie en 1950. Cette même année, elle part vers le Canada et s’installe à New Carlisle où quatre enfants verront le jour. Depuis ce temps, elle se plaît dans cette péninsule qui a vu les premiers Jersiais s’y implanter dès 1766.