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Herman Synnott pose devant le Enmali, bateau propriété de la communauté de Gesgapegiag basé à Rivière-au-Renard. Photo : Nelson Sergerie
1 octobre 2019 19 h 29

Décision Marshall : 20 ans : c’est parti d’une pêche à l’anguille…

Gilles Gagné

Journaliste

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GESGAPEGIAG | Le jugement Marshall porte le nom de Donald Marshall fils, un Mi’gmaq de Membertou, une réserve contiguëe à Sydney, en Nouvelle-Écosse.

Donald Marshall était déjà connu nationalement en 1996 quand il a été accusé de pêche illégale à l’anguille par le ministère fédéral des Pêches et des Océans. Vingt-cinq ans plus tôt, en 1971. il avait été accusé injustement du meurtre de son ami Sandy Seale, et il avait passé près de 12 ans en prison pour cet homicide commis par un autre homme, Roy Ebsary.

Donc, les tribunaux, Donald Marshall connaissait quand il a décidé de contester les accusations de pêche à l’anguille hors-saison, sans permis et avec un filet non-réglementaire.

Il a été trouvé coupable en Cour provinciale, un jugement maintenu par la Cour d’appel. M. Marshall a porté sa cause en Cour suprême, en basant son argumentaire sur les traités de 1760-1761, reconnaissant aux Mi’gmaqs le droit de pêcher et de vendre ses prises, sans égard aux autres lois.

Rendu le 19 septembre 1999, le jugement Marshall a incité la plupart des 34 communautés mi’gmaqs et malécites de l’est du pays, incluant celles du Québec, à entamer dans les jours suivants une pêche du homard.

L’automne 1999 sera chaud, très chaud, mais essentiellement au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, où les pêcheurs non-autochtones refusent d’accepter les conséquences du jugement et voient la pêche d’automne comme une menace pour la ressource. Les confrontations sont particulièrement violentes dans les parages de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick, et d’Indian River, en Nouvelle-Écosse. Des centaines de casiers sont détruits, de mêmes que trois usines, des bateaux sont endommagés, un quai est incendié et des routes sont bloquées.

Le 18 octobre, la West Nova Fishermen’s Coalition, un regroupement de pêcheurs non-autochtones, demande une audience à la Cour suprême afin de convaincre les juges de revenir sur leur décision.

Le 17 novembre, la Cour suprême refuse d’entendre cette requête mais émet un document renfermant un ensemble de mesures et de précisions, ce qui sera désormais désigné sous le nom de « Marshall 2 », l’équivalent d’un second jugement. L’aspect le plus significat6if de Marshall 2, c’est qu’il continue de conférer au ministère des Pêches et des Océans le droit de déterminer le début et la fin de la saison de capture, et de décider des meilleures mesures de protection de la ressource.

Au début de 2000, la tâche à faire demeure colossale pour organiser les pêches de l’année courante, notamment déterminer la part des autochtones sur l’ensemble des pêches commerciales atlantiques, puis acheter les permis et organiser ces pêcheries, communauté par communauté.

Le 24 février 2000, le gouvernement fédéral achète 1000 permis de capture, incluant des permis dits marginaux, étant donné qu’un pêcheur de homard, un crevettier ou un crabier, par exemple, détient à peu près toujours un permis pour la morue et d’autres espèces de poissons de fond dont il ne se sert pas toujours régulièrement.

Environ 1400 pêcheurs non-autochtones de l’est du pays avaient précédemment offert 5000 permis au ministre des Pêches et des Océans, Herb Dhaliwal. Certains d’entre eux ne voyaient plus d’avenir dans les pêches. Ottawa acquiert ces permis et organise les pêcheries autochtones pour une somme de 160 millions$.

Le 21 avril 2000, 13 réserves autochtones signent des ententes avec Pêches et Océans Canada. Au cœur de l’été, en août, ce nombre atteint 27. Burnt Church et Indian River, où l’on tient à pêcher l’automne, ne se laisseront pas convaincre aussi tôt. D’autres incidents ponctuent l’automne 2000, dont le blocus de la route 11 par Burnt Church. Il faudra attendre 2002 avant une réelle accalmie à Indian River et Burnt Church.

En Gaspésie, aucune manifestation de cet ordre n’est survenue. En fait, les seuls débordements sont survenus à la fin de l’été et au début de l’automne 1996, après qu’un Mi’gmaq d’Eel Ground, Cyril Polchies, ait entamé une pêche du homard en septembre, à Miguasha. Plusieurs homardiers gaspésiens ont vivement réagi dans les semaines suivantes, notamment en brûlant des casiers au bout du quai de Carleton.  =

(1) L’enquête menant à ces accusations avait été à ce point bâclée qu’une Commission royale d’enquête a été instituée en 1989, six ans après son acquittement. Cette commission a débouché sur un changement dans la loi portant sur la divulgation des preuves recueillies pendant l’enquête. Donald Marshall a ainsi provoqué des changements légaux dans plus d’un domaine. Il est décédé d’un cancer en 2009.

Gilles Gagné

Les pêches génèrent des fonds immensément utiles

LISTUGUJ – Les pêches commerciales ont généré environ 40 millions$ (montant à venir) pour les trois communautés de Listuguj, Gesgapegiag et Gespeg en 2018. Cet argent sert dans une multitude de domaines visant à donner aux Mi’gmaqs un plus haut degré d’autonomie, précise Fred Metallic, directeur du département des Ressources naturelles de Listuguj.

« Les fonds générés par les pêches commerciales jouent un rôle important sur les plans économique, écologique et social, mais ça ne s’arrête pas là. L’argent sert aussi à appuyer financièrement les étudiants qui ont besoin de parfaire leur formation à l’extérieur, dans le domaine de la santé, à des gens qui ont besoin d’un emploi à court terme, en éducation offerte dans la communauté et dans d’autres domaines », explique M. Metallic.

« La différence avec nos pêcheries, c’est que contrairement aux autres pêches, elles ne sont pas détenues privément. Elles appartiennent à la communauté. Une partie des permis de pêche de Listuguj est gérée directement par le département des Ressources naturelles alors que certains permis sont loués à des pêcheurs autochtones. En bout de course, cet argent est amalgamé pour financer des projets de nature diverse », ajoute-t-il.

« Trop souvent, les gens (de l’extérieur des communautés autochtones) sont sous l’impression que ce développement de nos pêcheries s’est fait au détriment d’autrui. Ce n’est pas le cas. Nous avons apporté notre contribution aux pêches en général. Vingt ans après le jugement Marshall. Nous sommes loin d’un secteur en difficulté », assure M. Metallic.

Les revenus totaux des pêches commerciales québécoises ont effectivement été caractérisées par des records presque constants au cours des cinq dernières années. Ils ont atteint 363 millions$ en 2017, plus du double de ce qu’ils étaient avant le jugement Marshall. Les non-autochtones n’ont conséquemment rien perdu globalement.

« Les pêches et la foresterie nous aident à devenir de plus en plus indépendants des paiements de transfert (venant des gouvernements). Nous ne voulons pas dépendre de ces transferts et de toute façon, ils diminuent », souligne Fred Metallic.

Avec le temps, les autochtones jouent un rôle grandissant dans la protection de la ressource. Ils ont formé des pêcheurs, mais ils comptent aussi des biologistes et des techniciens dans leurs rangs, souligne-t-il.

« Notre but est généralement de laisser la plus grande partie possible de la ressource dans l’eau, pour l’avenir », résume Fred Metallic.

Listuguj veut prendre de plus en plus de place dans la gestion du homard dans la zone 21b, celle couvrant le fond de la baie des Chaleurs, où ses homardiers évoluent. « Nous menons des discussions en ce sens depuis quelques années », précise-t-il.

À Gespeg, Johanne Basque, coordonnatrice des pêches depuis 17 ans, précise d’emblée que les pêches constituent « la source principale de revenus de la communauté. Sans pêches commerciales, ce serait difficile de donner les services que nous offrons aux membres. Nous ne voulons pas arrêter là. Nous avons des projets de diversification, pour aller au-delà de la capture. Nous envisageons la transformation », signale-t-elle.

Gilles Gagné

Arrêt Marshall : Herman Synnott a forgé la collaboration avec des autochtone

L’ANSE-AU-GRIFFON – Herman Synnott estime que la suite de l’arrêt Marshall, jugement faisant une place aux autochtones dans la pêche sur la côte est du Canada, aura été bonne pour les Micmacs de la Gaspésie. Il n’a pas hésité une seconde à établir des liens avec eux lors de la décision historique du 17 septembre 1999.

« De part et d’autre, ça aura été une bonne affaire pour les deux parties. Les autochtones ont développé leur propre expertise. Ils ont encore des non autochtones qui travaillent pour eux autres. Et aujourd’hui, ils ont de jeunes capitaines qui prennent les bateaux pour pêcher la crevette. Et éventuellement, ils le seront à 100 %. »

Retour en 1999

De l’avis de ce pêcheur d’expérience, rien ne laissait croire qu’une telle décision serait rendue à l’époque.

« Le jugement Marshall avait pris tout le monde par surprise y compris les Micmacs eux-mêmes », raconte d’entrée de jeu celui qui était président de l’Association des capitaines propriétaires de la Gaspésie lors de la décision qui allait révolutionner la pratique de la pêche commerciale en Atlantique et au Québec.

« Il fallait leur faire de la place à l’intérieur des contingents disponibles. Ils m’avaient approché pour m’inciter à vendre permis et bateau. Ils savaient aussi que je n’avais pas de relève », raconte le pêcheur. Il a pris sa retraite cette année comme consultant, rôle qu’il occupait depuis qu’il avait vendu son entreprise en 2000.

Une première problématique apparait d’entrée de jeu : les Micmacs auraient des quotas sans expertise et M. Synnott avait l’expertise sans quota. « Ce fut un partenariat durant plusieurs années : moi, je fournissais les personnes expérimentées non autochtones et on formait leurs membres d’équipage. Eux-autres fournissaient leurs membres d’équipage et les bateaux après les avoir achetés. C’était une forme d’apprentissage, indique-t-il. Ça devait durer un an, ça a duré 20 ans. »

Le tout s’est fait dans le respect mutuel, sans cachette, sans animosité. « On était des êtres humains qui se parlaient d’affaires. »

M. Synnott leur a suggéré d’acheter des bateaux polyvalents qui permettaient de pêcher la crevette et le crabe.  « L’avantage était que lorsque tu es diversifié, quand une pêche va mal, l’autre va supporter. C’est ça l’avantage d’un bateau polyvalent. »

Un choc culturel

La décision de la cour révolutionnait la vision de ceux qui avaient la possibilité de pêcher la ressource en 1999. Au Nouveau-Brunswick, la décision avait créé des tensions majeures et des affrontements violents, notamment dans la communauté de Burnt Church.

Toutefois, la situation a été beaucoup moins explosive en Gaspésie.

« C’est sûr que ça a fait un choc culturel, mais pas à Rivière-au-Renard. Je ne dis pas qu’il y a pas eu des questionnements : ils (les Micmacs) sont là, ils vont prendre nos quotas, on va tout perdre… Mais ça a duré peut-être un an. C’est normal quand il arrive un changement, ils [les non-autochtones] étaient un peu nerveux », raconte M. Synnott.

Avec le recul, l’homme estime que l’arrêt Marshall n’aura donné que du bon pour les Micmacs : « ça a été bénéfique pour les communautés. Ça a été à peu près ce qui leur est arrivé de mieux, à mon avis. J’ai ramassé des jeunes de 16-17-18 ans qui sont capitaines aujourd’hui, explique celui qui, malgré la retraite, n’hésite pas à leur donner un coup de main. Pour les blancs, ça n’a pas été négatif tant que ça. Tous ceux qui sont partis ont été compensés et les autres ont continué à travailler. Pour les communautés autochtones, le jugement Marshall aura été une bénédiction. »

L’ancien pêcheur souligne que la pêche aura rapporté des sommes d’argent pour le développement des communautés, mais surtout, aura permis la création d’emplois, estimant avoir contribué à la formation d’une trentaine de personnes dont une vingtaine encore actifs.

Referait-il le même geste 20 ans plus tard?

« Sans aucune hésitation. Les contacts ont toujours été amicales et malgré les changements politiques, pour moi, ça ne changeait rien », conclut M. Synnott.

Nelson Sergerie

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