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Éditorial
11 février 2021 9 h 56

Démographie : des résultats probants pour continuer le travail

Gilles Gagné

Éditorialiste

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CARLETON-SUR-MER | Il y a quelques années, lors de l’émission Tout le monde en parle, des invités débattaient sur la vie en région comparativement à la vie à Montréal, et certains d’entre eux penchaient pour la ruralité. L’animateur Guy A. Lepage, un urbain bien affirmé, intervint pour signifier que l’attrait de la ville était incontournable.

En ce sens, il demanda aux gens de l’assistance n’étant pas nés à Montréal, de lever la main. Elles et ils étaient majoritaires. Il en conclut que son point était prouvé : Montréal constituait un aimant inexorable pour bon nombre de gens venant du reste du Québec. Il était normal de s’y établir.

Si Guy A. Lepage avait poussé l’exercice jusqu’au bout, il aurait demandé à l’assistance : qui fuirait Montréal dans un avenir prochain s’il le pouvait? On peut croire que la proportion favorable aurait été forte.

Les récentes données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur les flux migratoires interrégionaux démontrent qu’une proportion grandissante de Montréalais a son voyage de l’urbanité. Montréal a perdu, au net, 35 931 personnes entre le 1er juillet 2019 et le 30 juin 2020. C’est beaucoup plus que les légères pertes des dernières années, pertes suivies traditionnellement de gains.

De plus, les effets de la pandémie de COVID-19 étaient encore limités sur les volontés de déménagement en juin. L’effet rébarbatif de la cité s’est probablement intensifié lors des six derniers mois de 2020, période pour laquelle les statistiques ne sont pas encore compilées, et en ce début de 2021.

En milieu rural, la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est, toutes proportions gardées, la grande gagnante de la mi-2019 à la mi-2020. Avec un gain de 681 personnes comme solde migratoire interrégional québécois, la péninsule et l’archipel ont ainsi attiré bien plus qu’ils ont perdu. Lors de l’année précédente, notre solde positif s’était établi à 131 personnes.

La période comprise entre juillet 2019 et juin 2020 est d’autant plus révélatrice que le Bas-Saint-Laurent a gagné 719 personnes, mais avec une population deux fois plus importante que la nôtre. Seules les Laurentides, Lanaudière et la Mauricie, situées beaucoup plus près des gens susceptibles de vouloir fuir Montréal, ont fait mieux que la Gaspésie. En Mauricie, le taux net d’arrivées, c’est-à-dire le solde migratoire divisé par la population totale, a été de 0,75 %, comparativement à 0,74 % pour la Gaspésie et les Îles. On appelle ça proche.

Les 681 personnes de plus dans notre région ne constituent pas un solde démographique net, les décès y étant encore plus nombreux que les naissances. Selon la projection de l’ISQ, la population de la région aura gagné 287 personnes en 2020. On n’avait pas vu un gain net de population depuis des décennies en Gaspésie et aux Îles.

Il est clair qu’un tel revirement se prépare depuis des années. Le solde migratoire a d’abord commencé à être positif vers le milieu des années 2000, chez les 25 à 35 ans. Il y a eu des années plus difficiles, comme en 2015- 2016, essentiellement quand le gouvernement de Philippe Couillard, prônant l’austérité, a décidé de couper 95 %, oui, 95 %, puis 50 % du budget annuel de la Stratégie Vivre en Gaspésie, l’un des organismes s’occupant du
recrutement de nouveaux citoyens pour la région.

Il est permis de se demander où nous serions rendus sans cette jambette, sans ce manque saisissant de vision et de cohérence. Comment le Parti libéral du Québec espérait-il être reçu lors de la campagne électorale de 2018 en déclarant que sa priorité était … notre déficit démographique?

Le combat pour renverser des décennies de pertes n’est pas encore gagné, mais les efforts titanesques déployés depuis la création en 1993 de Place aux jeunes, notamment, sont très encourageants.

Il y a des décennies que la Gaspésie et tant d’autres régions sont perçues à peu près uniquement par les mandarins du pouvoir comme des réservoirs de ressources et de main-d’oeuvre. Trop de ces mandarins, placés à des postes-clés du processus décisionnel québécois, ne misent que sur la théorie des pôles de croissance depuis les années 1950.

Ces hauts fonctionnaires comptent essentiellement sur l’effet de ruissellement, la théorie statuant que si les grandes villes sont prospères, les régions le seront miraculeusement, la richesse s’étendant par capillarité, comme l’eau sur du tissu. On a trop longtemps, et on le fait encore, compté sur cette absurdité.

Développer les régions demande des mesures adaptées à leur réalité et un brin de patience. Ça exclut souvent le syndrome du mégaprojet, le cataplasme généralement adopté par les politiciens et leurs mandarins. Ça se fait en consultant les gens en place. Là aussi, le gouvernement Couillard nous a fait reculer en abolissant l’essentiel des organismes de concertation et de développement.

Il est difficile de secouer de vieilles habitudes. La théorie des pôles moteurs a été appliquée un peu partout dans le monde. Mais quel monde voulons-nous? Celui qui, bêtement, répète les erreurs des dernières générations, qui reproduit le modèle du poulailler, ce à quoi ressemblent presque toutes les grandes villes, celui qui perpétue le désastre écologique actuel, ou celui qui ouvre la porte à un développement égalitaire, à un équilibre entre la ruralité et l’urbanité?

On fait les suiveux, au Québec, ou on innove?

On ne veut pas dépeindre Montréal et Québec comme des enfers. Les villes représenteront toujours un attrait pour une partie de la population. Il s’agit essentiellement de doter les régions rurales d’outils d’attraction égaux. Les villes y gagneront aussi.

Améliorer l’accessibilité au logement, augmenter le nombre de places en garderie et régler les questions de transport interrégional, en ramenant le train de passagers et de marchandises plus vite à Gaspé, et en rendant les tarifs aériens abordables, constituent les priorités pour que la Gaspésie et les Îles poursuivent une progression constante.

Si le gouvernement québécois est sincère dans son appui à notre développement, il doit bouger sur ces trois enjeux, et inciter le gouvernement fédéral à y participer de façon mieux ciblée.

Le premier ministre François Legault dit être un homme de résultats, et il exprime de l’impatience quand ils tardent à venir. Il dispose d’une chance en or d’obtenir des résultats probants en Gaspésie en réglant le logement, les garderies et le transport. Ça se fait ailleurs, si son équipe a besoin d’exemples pour comprendre.