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7 février 2024 11 h 19

Des mots, des notes et des images : ÉLI LALIBERTÉ

Un éloge à la neurodiversité avec Lucas, une espèce humaine en voie de disparition

D’ÉLI LALIBERTÉ

CASCAPÉDIA-SAINT-JULES | Le cinéaste gaspésien Éli Laliberté propose sans doute avec Lucas, une espèce humaine en voie de disparition, son film le plus personnel et intime jamais réalisé en plus de 30 ans de carrière.

Véritable lettre d’amour pour son fils Lucas vivant avec la trisomie 21, son dernier documentaire offre une franche réflexion sur la valeur de la vie humaine. Depuis 2010 au Québec, cette anomalie génétique demeure la seule qui est dépistée systématiquement, ce qui amène plusieurs parents à prendre une décision : poursuivre ou non la grossesse. N’ayant pas eu à vivre ce dilemme déchirant, Éli Laliberté se demande ce que lui et sa femme auraient fait s’ils l’avaient su.

Le débat est complexe, mais essentiel. En échangeant avec des médecins, des chercheurs et des personnes qui côtoient la trisomie 21, le réalisateur derrière Florent Vollant: Faiseur de Makusham (2019) essaie de comprendre les raisons éthiques qui poussent une société à offrir gratuitement un tel programme de dépistage prénatal. Peut-être est-ce en raison du fait que ce soit apparent physiquement, suggère une chercheuse. Plutôt, est-ce qu’on agit ainsi en raison de la qualité de vie, se demande une autre. Pourtant avoir un troisième chromosome à sa 21e paire n’est pas du tout la plus dangereuse des anomalies génétiques, avance un autre spécialiste…

Malgré toutes ces pistes de réflexion, Éli Laliberté avoue rester sans réponse. Néanmoins, s’il y a un aspect que son film lui a appris, c’est la redécouverte de son fils. Pendant un an et demi de tournage, durant lequel les deux se sont promenés au Québec, en Belgique et au Danemark, Éli Laliberté plonge dans le magnifique univers de son fils, rempli de danse et de hip-hop.

Avec lumière et un côté foncièrement humaniste, le réalisateur montre pour les non-initiés à quoi ressemble une vie avec une personne comme Lucas, grâce à toutes les activités réalisées lors du tournage, telles que son spectacle de rap éblouissant aux Francofolies ou encore la course TROIS, 2, 1, GO! organisée à Montréal par le Regroupement pour la Trisomie 21. « Ce sont des personnes tellement pures et authentiques, avec une unicité valide », souligne le réalisateur qui se consacre uniquement à l’art du documentaire.

« Lorsque Lucas a visionné le film, il a exprimé énormément de fierté et de gratitude! Il est super content d’avoir fait ce film avec moi et il en reste aujourd’hui très touché. Pour ma part, je suis en paix avec le projet et bien heureux du résultat. J’en ressors avec une motivation nouvelle pour pousser son potentiel encore plus loin et lui permettre de déployer ses ailes pour qu’il puisse vivre ses rêves au maximum », témoigne-t-il.

L’étincelle derrière ce projet repose sur une campagne de sensibilisation menée par la Société canadienne du syndrome de Down dans laquelle l’association réclame auprès de l’Union internationale pour la conservation de la nature que les personnes atteintes de la trisomie 21 soient placées sur la liste des espèces menacées par l’activité humaine. « Évidemment, tout ceci n’était qu’un coup d’éclat de leur part. L’idée était simplement de guider la population vers une prise de conscience collective quant aux tests systématiques. Dans certains pays, ces dépistages amènent à plus de 95 % des cas à des avortements, comme au Danemark », explique le cinéaste gaspésien, ajoutant que le titre du film s’inspire justement de cette démarche-là.


Avec lumière et un côté foncièrement humaniste, le réalisateur montre pour les
non-initiés à quoi ressemble une vie avec une personne comme son fils Lucas. Photo :Offerte par Éli Laliberté

Un film qui refuse de donner des leçons

« Qui sommes-nous pour juger? Les couples qui choisissent de mettre un terme à ces grossesses-là agissent sans doute en fonction des connaissances qu’ils ont sur la qualité de vie des personnes vivant avec la trisomie 21. Même moi, je n’ai aucune idée de ce que j’aurais fait », explique Éli Laliberté, préférant plutôt exposer la richesse de leur vie que de moraliser les familles qui choisissent l’avortement.

Après tout, à ses yeux, cette question loin d’être binaire mérite une attention poussée puisque, présentement, cet enjeu reste un choix individuel et non de société. « Nous sommes nous-mêmes handicapés face à la question puisque nous manquons cruellement de connaissances et de compréhension, comme si nous votions sur une chose si cruciale en toute ignorance de cause », ajoute celui qui est retourné sur les bancs d’école pour faire une maîtrise en études des pratiques psychosociales à l’Université du Québec à Rimouski.

C’est pourquoi du point de vue de la mise en scène, le réalisateur privilégie une approche plus ancrée dans celle du reportage, c’est-à-dire transparente, didactique et instructive. Ce type de réalisation demeure nécessaire à ses yeux pour bien communiquer tous ses questionnements sur le sujet, au risque peut-être de surcharger le spectateur d’informations et de débats éthiques.

Un contexte de production favorable

Éli Laliberté avoue que l’intérêt des bailleurs de fonds pour son projet reste curieux. Lorsqu’il a eu l’idée du film, il y a plus de 10 ans, presque personne n’était au rendez-vous pour le financer et le distribuer, puis tout d’un coup, des années plus tard, ça fonctionne. Peut-être qu’avec le temps, croit-il, les gens affichent une sensibilité plus forte à la différence, puis un besoin de la laisser s’exprimer. « C’est mystérieux de comprendre ce qui intéresse les gens ou pas. Parfois en tant que cinéaste, on est convaincu que nous avons la meilleure idée du siècle et pourtant personne ne veut rien savoir; sinon, c’est l’inverse complètement! », indique-t-il, rieur.

Le cinéaste se réjouit aussi de la belle réception critique qui a suivi la sortie de Lucas, une espèce humaine en voie de disparition en novembre dernier, traduite par des apparitions télévisuelles et entrevues radiophoniques, ainsi qu’un accueil chaleureux de la communauté dans laquelle Lucas a grandi. « Étrangement, les gens manifestent souvent leur joie, leur optimisme et le sentiment positif qui se dégage du film, même s’ils disent que le sujet reste très lourd », commente Éli Laliberté.

Produit par Radio-Canada, Lucas, une espèce humaine en voie de disparition est accessible sur ICI TOU.TV, le service d’écoute en continu du diffuseur public. Une version du film allongée de 30 minutes est sur le point d’être finalisée. Celle-ci plongera plus encore dans le quotidien de Lucas afin de « le voir rayonner davantage ». Éli Laliberté soumettra ensuite le long métrage dans les festivals pour lui insuffler une seconde vie.

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