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15 novembre 2023 14 h 03

DOSSIER dépannage alimentaire : Hausse et aide

Hausse marquée du dépannage alimentaire en Haute-Gaspésie

Par Johanne Fournier

SAINTE-ANNE-DES-MONTS | En Haute-Gaspésie, les organismes qui offrent des services de dépannage alimentaire ont, pour la plupart, vu les demandes d’aide exploser. Ils constatent aussi que le profil des demandeurs a changé, principalement depuis 2020, moment où la pandémie s’est déclarée : les aînés ont de plus en plus faim.

Dans cette MRC du nord de la Gaspésie, Récupération alimentaire Haute-Gaspésie a pour mission de recueillir les pertes des marchés d’alimentation pour les distribuer aux organismes du milieu qui viennent en aide à la population sur le plan alimentaire. Ces organismes sont notamment Partagence, Carrefour-Ressources, le Centre d’action bénévole des Chic-Chocs et le Groupe d’action sociale et psychiatrique (GASP) des Monts.

Partagence

Partagence est membre du réseau des Banques alimentaires du Québec. L’an dernier, la distribution de denrées a fait un bond de 38 % par rapport à l’année précédente. L’organisme a effectué 1288 dépannages alimentaires, ce qui représente 52 287 livres d’aliments. La quantité de denrées provenant de Récupération alimentaire Haute-Gaspésie ainsi que de dons de fondations et de particuliers n’a pas été suffisante. Partagence a dû acheter 55 % de la nourriture distribuée. La tendance à la hausse continue à se dessiner. Depuis le 1er avril, 697 dépannages ont déjà été effectués.

Si des prestataires d’aide sociale utilisent les services de façon récurrente, l’organisme voit de plus en plus de couples dont les deux adultes travaillent. « On voit aussi des gens à la retraite, observe la directrice de Partagence, Marjorie Maurin. Ce sont des gens qu’on ne voyait pas avant. » Cette année, de nouveaux usagers ont aussi eu recours à la banque alimentaire : des travailleurs étrangers dont le contrat a pris fin prématurément.

Les usagers ont droit à un dépannage par mois ou, exceptionnellement, à deux. Pour les deux premiers dépannages, Partagence ne pose pas de questions. « La troisième fois, on pose des questions et on peut les aider à faire un budget ou les référer vers des ressources », indique Mme Maurin.

Partagence, dont le total des revenus annuels s’élève à un peu plus de 350 000 $, est financé à 33 % de son budget par le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec. La balance provient d’enveloppes ponctuelles. La guignolée est une autre source de revenus importante pour Partagence. L’an dernier, 23 060 $ ont été amassés et distribués sous forme de bons d’épicerie auprès de 150 foyers, comptant un total de 272 personnes.


L’équipe de Partagence. À l’avant : Marjorie Maurin. À l’arrière : Lise Dugas, Karine Jean, Marianne Collin, Cloé Marcoux et Louisette Therrien. Photo : Johanne Fournier

Carrefour-Ressources

Carrefour-Ressources offre des services destinés aux familles et aux personnes à faible revenu ou vivant en situation de précarité en Haute-Gaspésie. Parmi ces services, les cuisines collectives permettent à ses participants de concocter des plats sains. Le service est offert à Cap-Chat, Sainte-Anne-des-Monts, Tourelle et Gros-Morne. Les quatre points de services accueillent de 40 à 60 personnes par mois. Chaque usager paie 5 $ par année. L’organisme fournit les denrées et défraie le coût du transport en commun de chaque participant.

La demande est demeurée la même au cours des trois dernières années. « C’est peut-être une méconnaissance de la cuisine collective », soupçonne la directrice de Carrefour-Ressources, Charlotte Pouliot. Selon elle, le profil des participants a cependant changé. Auparavant, si la grande majorité d’entre eux était des prestataires d’aide sociale, ceux-ci représentent aujourd’hui 48 % des personnes aidées, contre 52 % de personnes à la retraite ou qui sont des travailleurs gagnant de petits salaires.

Carrefour-Ressources offre aussi du soutien aux parents d’enfants de 12 ans et moins, dont les compétences parentales sont à développer ou à bonifier. Trois fois par semaine, ils participent à des ateliers de cuisine portant sur la préparation des collations et des lunchs pour leurs enfants. « On double ou on triple les quantités pour qu’ils aient des aliments à mettre dans les lunchs des enfants, indique Mme Pouliot. Les gens aimeraient venir plus souvent, mais on n’a pas assez de ressources humaines. Ça prendrait plus de financement. » L’an passé, Carrefour-Ressources a aidé 198 personnes, soit 133 adultes et 65 enfants.

L’argent provient principalement du MSSS et du PSOC. Annuellement, Carrefour-Ressources compte également sur 15 à 16 enveloppes non récurrentes provenant d’organismes et de fondations.

Centre d’action bénévole des Chic-Chocs

Le Centre d’action bénévole (CAB) des Chic-Chocs offre le service de popote roulante sur tout le territoire de la Haute-Gaspésie. Des bénévoles préparent et livrent un repas chaud une fois par semaine à 80 aînés, moyennant un tarif de 7 $.

La demande est grandissante. « La courbe augmente chez les aînés », observe le codirecteur du CAB, Karim Haidar. À preuve, si 45 personnes âgées bénéficiaient du service en mars, elles sont aujourd’hui 80.

L’organisme offre aussi le service d’aide repas à domicile, pour lequel des bénévoles cuisinent des repas qui sont congelés et distribués gratuitement
auprès de quelque 80 bénéficiaires. Une fois par mois, ceux-ci reçoivent de 10 à 15 repas par livraison. « La nourriture est un moyen de créer des liens, insiste M. Haidar. Ça brise la solitude et ça apporte un sentiment de sécurité. »

Un budget de quelque 32 000 $ est consacré aux services alimentaires, ce qui gruge environ 8 % des revenus annuels du CAB, qui totalisent près de 400 000 $. Le financement est assuré par la Démarche intégrée en développement social de La Haute-Gaspésie. D’autres fonds non récurrents proviennent du Centre intégré de santé et de services sociaux de la Gaspésie et d’autres organismes.

Parmi les pistes de solutions, M. Haidar aimerait développer un service d’aide aux aînés qui désirent faire leur épicerie et qui n’ont pas d’auto ou qui n’ont pas la force de transporter leurs sacs. Il croit aussi dans l’éducation populaire afin d’encourager les gens à changer certaines habitudes alimentaires.


Chaque mois, un couple de bénévoles, Francine Savard et Léo René Marin, est responsable de la livraison du service d’aide repas à domicile. Mme Savard fait également tous les appels téléphoniques en prenant le temps de parler à chacun des 80 bénéficiaires. Photo : Centre d’action bénévole des Chic-Chocs


Guylaine Deroy est une participante du service des cuisines collectives du Carrefour-Ressources. Photo : Carrefour-Ressources


Anna Côté est bénévole pour la popote roulante dans le secteur de Mont-Louis au sein du Centre d’action bénévole des Chic-Chocs. Photo : Centre d’action bénévole des Chic-Chocs

GASP des Monts

Le GASP offre la soupe populaire tous les vendredis. Au coût de 2 $, le repas comprend une soupe, un dessert et un breuvage. « Les gens qui ne peuvent pas payer, on ne leur charge rien », souligne le directeur du GASP, Jacques Mimeault. Chaque semaine, une quinzaine de personnes prennent part à l’activité.

L’organisme offre aussi des repas à certaines personnes en détresse ou en situation d’itinérance. « On ne met pas de limite et on ne fait pas d’enquête, précise M. Mimeault. On tente de les aider. » La soupe populaire est financée par le PSOC. « On a aussi des dons », spécifie le directeur.

Club Lions de Mont-Louis

Avant Noël, le Club Lions de Mont-Louis distribue des chèques-cadeaux d’une valeur de 120 $ par couple à échanger dans des épiceries. Pour les familles, le montant est bonifié de 20 $ par enfant. L’an dernier, l’organisme a reçu 28 demandes, comparativement à 38 en 2020. « On a ajouté trois chèques-cadeaux pour des gens qui étaient dans le besoin », souligne la présidente du Club, Johanne Castonguay. Les 31 chèques-cadeaux ont été distribués sur le territoire s’étendant de Rivière-à-Claude à Gros-Morne.

Un peu avant la pandémie, le profil de la clientèle a changé. « Avant, on avait beaucoup de familles, se souvient Mme Castonguay. Maintenant, les familles avec un ou deux enfants représentent le tiers des gens qu’on aide. Les deux tiers sont des personnes âgées. » Pour financer le coût des chèques-cadeaux, soit environ 4000 $ en 2022, les 18 membres de l’organisme ont organisé différentes activités.

De l’avis de la directrice de Partagence, l’augmentation du nombre de dépannages alimentaires est multifactorielle. L’inflation ainsi que la hausse des taux hypothécaires et des logements y contribuent pour beaucoup. Parmi les autres causes, Marjorie Maurin rappelle que la Haute-Gaspésie affiche l’indice de vitalité économique le plus faible non seulement de la péninsule, mais de tout le Québec. À son avis, une grande réflexion sur la lutte à la pauvreté s’impose. Elle croit aussi beaucoup à l’importance de l’éducation populaire.

Davantage d’aide alimentaire, moins de gaspillage : oeuvrer sur deux fronts à la fois

Par Jean-Philippe Thibault

GRANDE-RIVIÈRE | Le succès est tel pour le Programme de récupération en supermarchés dans la MRC du Rocher-Percé que l’entité veut maintenant voler de ses propres ailes. Elle pourrait bientôt s’affranchir et devenir un organisme sans but lucratif à part entière, dès 2024.

La démarche a été mise sur pied comme projet pilote en 2021, par le Réseau en développement social Rocher-Percé, à la suite d’une réflexion collective. Trois fois par semaine – les lundis, mercredis et vendredis – une tournée est organisée dans les grandes épiceries participantes, à savoir le IGA de Grande-Rivière, celui de Chandler ainsi que le Super C, également de Chandler. Leur apport permet de récolter autant des produits laitiers que des fruits et légumes, des protéines ou des produits de boulangerie. Les aliments sont ensuite triés, parfois transformés, et redistribués dans la population.


Les coupons Coup de pouce ont été lancés en janvier dans la MRC du Rocher-Percé. Photo : Jean-Philippe Thibault

Depuis le mois de janvier, une nouvelle méthode de partage a toutefois vu le jour. Les responsables ont émis des coupons, baptisés Coup de pouce, qu’ils remettent à divers organismes partenaires du milieu, au nombre de 16 pour être rigoureusement exact.

Le Centre Émilie-Gamelin (santé mentale), la Maison Blanche-Morin (violences conjugales féminines) ou encore Convergence (aide aux hommes) pour ne citer que quelques exemples pris au hasard, reçoivent ces coupons qu’ils peuvent ensuite donner à leurs usagers. Ceux-ci peuvent ensuite se rendre eux-mêmes dans les installations du Programme de récupération en supermarchés pour se servir et choisir des denrées, selon les aliments sur les tablettes et dans les réfrigérateurs.

« Les organismes sont les mieux outillés pour décider qui en a besoin. Ils vont directement évaluer les besoins de la personne. Nous ne sommes pas des travailleurs de milieu ou sociaux, ni une banque alimentaire. C’est un peu hybride. Nous sommes dans le continuum de services », explique Grégory Molnar, chargé de projet depuis un an, en précisant que le Centre d’Action Bénévole (CAB) Gascons-Percé demeure la porte d’entrée pour l’aide alimentaire ou le dépannage d’urgence.

Sur place, les utilisateurs de ce service n’ont aucun nom à donner, ni numéro de téléphone ou quelconque adresse : seulement la provenance de leur coupon et le poids de leurs denrées, afin d’en faire un suivi serré et de pouvoir enregistrer des statistiques alimentaires. L’action se déroule dans un établissement relativement anonyme de Grande-Rivière. « Nous sommes dans un petit milieu. On veut demeurer discret. Il n’y a absolument aucune honte à venir ici, au contraire, mais on ne veut pas non plus qu’il y ait de la stigmatisation », précise le chargé de projet.

Signe des temps, la redistribution prend de l’ampleur. « C’est impressionnant. On est régulièrement autour de presque 3000 kg par mois en récupération d’aliments, pour près de 2500 kg qui sont redistribués à la population et aux organismes. » En comparaison, il y a 18 mois, en avril 2022, la récupération d’aliments tournait plutôt autour de 300 kg.


Grégory Molnar. Photo : Jean-Philippe Thibault

Grégory Molnar est d’avis que l’autonomie d’un organisme sans but lucratif indépendant ne devrait être qu’une formalité. « Je crois qu’on ne devrait pas avoir de problème avec ça parce que le problème alimentaire est vraiment là et c’est chiffré. C’est non négligeable la quantité de nourriture qu’on redistribue. On évite aussi du gaspillage. On travaille sur deux fronts en même temps. » Leur indépendance devrait également signifier des revenus récurrents, plutôt que des sommes ponctuelles.

Le financement provient actuellement des Alliances pour la solidarité, qui sont des ententes territoriales visant à confier à un organisme une enveloppe d’argent, provenant du Fonds québécois d’initiatives sociales. Ce sont les élus régionaux qui désignent les mandataires, en l’occurrence ici le Regroupement des MRC de la Gaspésie. Centraide, les Banques alimentaires du Québec et d’autres partenaires contribuent également à la mission.

Deux employés, en plus du chargé de projet, s’affairent quotidiennement à la tâche. Les produits servent également à garnir les deux frigos communautaires placés à l’École des pêcheries et de l’aquaculture à Grande-Rivière, ainsi qu’au Carrefour Jeunesse Emploi et Option Emploi du Rocher-Percé (CJEOE). De la nourriture a notamment été redistribuée aux 11 nouvelles préposées aux bénéficiaires venues d’Afrique pour compléter leur équivalence afin de devenir infirmières. En parallèle, grâce à leur cuisine, une partie des fruits et des légumes sont transformés pour les plats givrés utilisés par le CAB Gascons-Percé.

« Des intervenants viennent ici une fois par semaine et ramènent ça sur place dans les frigos communautaires. Parfois, c’est compliqué de venir ici. La mobilité demeure un enjeu en Gaspésie », analyse Grégory Molnar.

Pour l’homme originaire de l’Alberta, qui a notamment travaillé en tourisme dans le passé, cette première incursion dans le monde communautaire lui sied à merveille et il apprécie candidement pouvoir faire une différence dans la vie des gens au quotidien.

« On l’entend que les gens sont dans le besoin avec l’inflation, le manque d’hébergement abordable, les taux d’hypothèque qui augmentent. On peut vite basculer vers le besoin alimentaire. On a un contact direct avec les gens. C’est une aide immédiate, bien concrète et qui fait réellement une différence », conclut-il sagement. Pour le moment, le plus grand utilisateur des coupons Coup de pouce est le CISSS de la Gaspésie.

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