Dossier – Projet de pavillon des requins d’Exploramer : où est le frein?
SAINTE-ANNE-DES-MONTS | Le musée Exploramer de Sainte-Anne-des-Monts caresse un projet depuis déjà quelques années : la construction du pavillon des requins du Saint-Laurent. Le projet est retardé, faute de financement adéquat. Sur un budget estimé à près de 18 millions de dollars, il manque 4 millions. Québec, qui pourrait offrir la clé de voûte pour faire débloquer le projet, tarde à répondre au cri du coeur d’Exploramer et de la Ville. GRAFFICI est allé à la pêche auprès de plusieurs intervenants pour tenter de découvrir pourquoi le dossier fait du surplace.
« La population l’attend, fait savoir la directrice générale d’Exploramer, Sandra Gauthier. Il n’y a pas une journée où je ne me fais pas demander quand les requins arrivent. » Elle insiste : Exploramer est fin prêt à accueillir son pavillon des requins. « On pourrait commencer la construction immédiatement, souligne-t-elle. Demain matin, la « pépine » pourrait être là pour creuser le trou. »
La maquette du pavillon des requins du Saint-Laurent. Photo : Johanne Fournier
Rencontre refusée avec le premier ministre
Lors du dernier passage du premier ministre en Gaspésie le 27 juin dernier, les dirigeants d’Exploramer ont sollicité une brève rencontre d’urgence avec lui. « Il est la seule personne, au gouvernement, capable de prendre une décision raisonnée et responsable dans notre dossier, évoquait Sandra Gauthier. Nous faisons appel aux compétences comptables du premier ministre. »
Prétextant un agenda très chargé, François Legault a décliné la demande. Exploramer considérait qu’étant donné la condition économique peu enviable de La Haute-Gaspésie, les quelques minutes réclamées avec M. Legault n’auraient été « ni un luxe ni une faveur irréaliste ».
C’est d’autant plus dramatique pour Exploramer que, s’il n’obtient pas le manque à combler pour démarrer la construction du pavillon, le musée perdra près de 6 millions de dollars (M$) qui ont déjà été dépensés, notamment pour les plans, les devis, la scénarisation de l’exposition, les demandes de permis, l’analyse des sols et les salaires, calcule le trésorier du conseil d’administration, Sylvain Tanguay.
Les statistiques ne mentent pas. Exploramer est une attraction touristique bien établie en Gaspésie. À bord de son navire scientifique, le musée est le seul à offrir des sorties en mer avec de l’interprétation scientifique pour faire découvrir la biodiversité marine du Saint-Laurent. Après avoir traversé plusieurs crises depuis sa fondation en 1995, Exploramer est demeuré authentique et a, contre vents et marées, toujours su se renouveler, même après qu’on ait annoncé sa fermeture en 2015.
Une MRC mal aimée?
Pourquoi le gouvernement du Québec accepte-t-il d’investir 25,5 M$ pour la sauvegarde de la villa Frederick-James à Percé ainsi que de prévoir 871,8 M$ pour la réfection du chemin de fer du côté sud et de la pointe de la Gaspésie, mais qu’il n’arrive pas à trouver 4 M$ pour ce projet?
Se classant déjà au dernier rang des MRC les plus dévitalisées au Québec, La Haute-Gaspésie récolte une bien petite part du gâteau, si l’on en croit les données publiées par le gouvernement du Québec. Du 21 octobre 2022 au 24 février 2024, la MRC d’Avignon a reçu un total de 234,4 M$ de financement public, tandis que sa voisine, Bonaventure, a pu compter sur 237,5 M$. C’est La Côte-de-Gaspé qui a été la plus gâtée avec 244,7 M$ de Québec, alors qu’à côté, la MRC du Rocher-Percé a bénéficié de 236,5 M$. Pendant la même période, La Haute-Gaspésie n’a récolté que… 3,7 M$. Comment explique-t-on ce déséquilibre?
En entrevue avec GRAFFICI, le député de Gaspé reconnaît que La Haute-Gaspésie aurait largement besoin d’un tel projet pour relancer son économie. « Là n’est pas la question, indique Stéphane Sainte-Croix. C’est un projet qui a évolué depuis le début et je persiste et signe : nous sommes partenaires de ce projet à la hauteur de 11 M$ sur les 18 M$ projetés. Donc, on est au rendez-vous. »
La directrice générale d’Exploramer, Sandra Gauthier, attend toujours la réponse de Québec pour obtenir l’argent nécessaire pour que le chantier de construction du pavillon des requins puisse se déployer. Photo : Johanne Fournier
Exploramer a refait ses devoirs
Les gouvernements ont demandé aux gestionnaires d’Exploramer de refaire leurs devoirs et ils les ont refaits, assurent ces derniers. Alors, qu’est-ce qui cloche? La directrice générale de l’institution n’arrive pas à répondre à cette question. « On sait que ce projet est rentable parce que les banques acceptent de nous prêter de l’argent, argue Sandra Gauthier. Personne ne prêterait de l’argent dans ce projet s’il n’était pas rentable. »
Donc, Exploramer a déposé un « rephasage » du projet de construction du pavillon, ce qui permettrait de livrer une partie du projet avec les sommes déjà obtenues. « Pour l’heure, Exploramer attend l’approbation du gouvernement du Québec, le fédéral ayant déjà accepté le rephasage proposé », indique Mme Gauthier.
Le maire de Sainte-Anne-des-Monts rappelle à Québec que la somme demandée n’est pas énorme et que tout le monde dans sa ville est favorable au projet. « On a fait beaucoup de représentation et on nous a demandé de refaire la modélisation financière, confirme Simon Deschênes. Le travail a été fait par Exploramer avec la firme comptable Raymond Chabot. » La réponse de Québec tarde à venir, mais l’élu préfère user de patience. « Je veux donner la chance au coureur. J’aime mieux croire que les signaux sont positifs. Mais, il faudrait qu’une réponse rentre cet automne! »
Le député Sainte-Croix confirme que son gouvernement a pris connaissance du nouveau plan d’affaires, qui comprend une nouvelle évaluation des équipements nécessaires pour le pavillon des requins. « Le dossier chemine. Il est actuellement au bureau du premier ministre. On est en dialogue avec les promoteurs pour arriver à des solutions le plus tôt possible. Mais, il y a des analyses qui doivent se faire et on a certains questionnements sur l’acquisition des requins. » Le parlementaire n’avance aucun échéancier.
1,3 M$ espérés du ministère du Tourisme
Exploramer souhaitait une contribution de 1,3 M$ du ministère du Tourisme du Québec, soit le montant maximal autorisé dans le cadre du Programme d’aide à la relance de l’industrie touristique. Pour en savoir davantage, GRAFFICI a sollicité une entrevue auprès de la ministre Caroline Proulx. Celle-ci a refusé.
En revanche, le conseiller en communication de son cabinet a offert, par courriel, quelques éléments de réponse à nos questions. « Considérant l’importance des investissements supplémentaires requis et dans un souci de saine gestion des fonds publics, le ministère du Tourisme a demandé à Exploramer, dans une lettre transmise le 10 juin 2024, de lui soumettre un plan d’affaires révisé, lequel devra comprendre une description détaillée du projet révisé, une ventilation des coûts, le montage financier complet et confirmé (sic) ainsi que tous les éléments permettant d’en démontrer la viabilité », écrit Jean-Manuel Téotonio.
À la lumière d’une mise à jour du plan d’affaires, le ministère du Tourisme a indiqué qu’il pourrait réexaminer le projet, peut-on lire dans le courriel. « Son financement dépendra alors cependant des sommes disponibles, poursuit M. Téotonio. Pour le moment, Exploramer n’a pas donné suite à la demande du ministère du Tourisme. »
Sandra Gauthier reçoit une haute distinction
Des rumeurs laissent entendre que la paralysie du dossier pourrait être causée par une forme de vendetta contre la directrice générale d’Exploramer, notamment pour son acharnement dans le dossier. Si ces rumeurs sont venues aux oreilles du maire Deschênes, il refuse cependant de confirmer leur véracité. Il préfère les réfuter en soulignant que Sandra Gauthier a, le 8 août, reçu la décoration pour service méritoire de la gouverneure générale du Canada, Mary May Simon. Parmi les plus hautes au Canada, cette distinction honorifique lui est conférée pour « ses réalisations exceptionnelles et sa contribution à la nation », est-il écrit dans la lettre dont GRAFFICI a obtenu copie. De l’avis de Simon Deschênes, cette distinction devrait être prise en considération. « On souhaite que ça puisse convaincre les bailleurs de fonds », note l’élu municipal.
Pour revenir à la question de départ : « Où est le frein dans le projet de construction du pavillon des requins d’Exploramer? » La question demeure entière.
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