Dossier : QUEL AVENIR ATTEND NOS CENTRES DE SKI? – partie 1/2
Les changements climatiques ont considérablement adouci nos hivers gaspésiens. Si la saison froide a été régulièrement caractérisée par des soubresauts au fil des ans, la dernière décennie a démontré que les hivers rigoureux d’antan sont des exceptions. Les centres de ski de la Gaspésie doivent désormais s’adapter à de nouvelles normes. Que leur réserve l’avenir et quels moyens leurs directions entendent-elles déployer pour maintenir les activités qui y sont tenues ? Certains centres de ski survivront-ils à la prochaine décennie ? GRAFFICI se penche sur cette question.
PIN ROUGE ; LA RÉGIONALISATION POUR ASSURER LA PÉRENNITÉ
NEW RICHMOND | Le centre de ski Pin Rouge de New Richmond termine sa 35e année d’exploitation. S’il a connu quelques modes de propriété au cours de ses 20 premières années d’existence, son histoire récente a été plus stable. L’enneigement artificiel a certainement contribué à cette stabilité.
Pin Rouge est quand même en proie aux effets des changements climatiques. Depuis deux ans, l’intervention grandissante d’un « comité de pérennité » s’occupe des coups durs. Ce groupe a saisi le message lancé en 2023 par le maire de New Richmond, Éric Dubé, statuant que le Ville ne pouvait plus assumer seule le fardeau financier d’un centre de ski à vocation supralocale.
Le président du comité de pérennité de Pin Rouge, Guy Desroches, est clair. « Pin Rouge va bien. On a vécu une situation un peu précaire il y a quelques années mais avec la prise en charge de la dette par la Ville, ce qui est en train de se passer, ça va mieux, même si cette dette était déjà assumée par New Richmond. Ça nous enlève un poids potentiel et réel. Ça va bien parce que le comité de pérennité est actif. »
Celui-ci a recueilli 135 000 $ lors d’un souper-bénéfice tenu en novembre. Un autre événement de financement avait rapporté 85 000 $ deux ans auparavant. Les sommes sont étalées sur trois ans et il entrera d’autres fonds privés.
« On a refusé du monde au souper. On sait que d’autres entreprises et d’autres particuliers vont contribuer », ajoute Guy Desroches.
Le comité de pérennité veut « régionaliser » Pin Rouge. Il sollicite les municipalités des MRC de Bonaventure et d’Avignon, et peut-être éventuellement celles de la MRC du Rocher-Percé, afin de signer des ententes d’accès au centre de ski.
L’entente signée cette année avec le gouvernement mi’gmaq de Gesgapegiag, qui s’est entendu avec Pin Rouge pour l’acquisition de 200 billets de saison pour sa population, a constitué un grand pas en avant et elle fait rêver pour la suite.
« L’entente de Gesgapegiag est extraordinaire. La communauté s’implique. Elle voulait que ses gens soient actifs l’hiver. Il y a des choses à faire avec les municipalités. On va faire des journées spéciales pour Saint-Alphonse, pour Carleton et les autres pour que les gens soient actifs l’hiver », prévoit M. Desroches.
Administré par un organisme sans but lucratif, Pin Rouge voit encore ses finances marquées par un léger manque à gagner annuel.
« [Ça] représente la moitié du déficit d’un aréna. Il y a plusieurs arénas dans le coin, mais un centre de ski », souligne-t-il.
La direction de Pin Rouge planifie une amélioration de ses installations pour accroître sa clientèle régionale et extérieure.
« On veut attirer plus de jeunes familles. Sa faiblesse, et sa force, c’est que Pin Rouge est perçu comme un centre d’experts. On est en train de le corriger. On fait l’acquisition d’un tapis magique, une remontée avec une vraie pente école. On va aussi aménager une vraie pente familiale, plus large, moins abrupte. On enregistre des records au niveau des tubes [descentes en chambre à air]. On a tenu quatre journées portes ouvertes pour que le monde nous découvre », explique Guy Desroches.
Pin Rouge est l’un des deux seuls centres de ski gaspésien à enneiger une partie de ses pentes artificiellement.
« On se distingue par la qualité de notre enneigement. Le défi qu’on a, c’est de faire réaliser aux gens que même s’il n’y a pas de neige en ville, l’hiver est à Pin Rouge. On travaille sur un projet pour améliorer notre enneigement. Notre système, c’est une Cadillac, mais on veut améliorer nos perches pour faire plus de neige à moins froid. On a 50 000 $ épargnés sur ce point parce qu’on a un système performant », assure-t-il.
Le plan d’immobilisation prévoit un investissement de 2,6 millions de dollars (M$) au cours des trois prochaines années, et un total de 5 M$ en cinq ans.
« Ça inclut aussi la rénovation du chalet principal et des chalets en location. Il y a des programmes pour ça. On a en ce moment des réponses positives à nos demandes, et d’autres en attente. On est confiants », dit-il.
Guy Desroches vante le personnel de Pin Rouge. « On a une directrice générale, Gaëlle Gabin, qui a tenu le centre à bout de bras pendant un certain temps, et un chef de montagne exceptionnel, André-Philippe Losier. Nous avons une solide équipe ».
En vertu de l’entente entre Pin Rouge et la Ville de New Richmond, cette dernière contrôlera le camping de la pointe Taylor et ses bénéfices.
« Nous voulons améliorer nos revenus quatre saisons à Pin Rouge avec l’hébergement et les sentiers de vélo de montagne, notamment », conclut M. Desroches.
De son côté, la Ville de New Richmond est sur le point de contracter un prêt de 3 M$ afin de régler en 20 ans la dette à long terme de Pin Rouge.
« On payait 175 000 $ en intérêt sans baisser le capital depuis deux ans. Avec un prêt intégré à la dette municipale, on paie 4 % d’intérêt au lieu de 7 %. Là, on va pouvoir rembourser du capital », conclut le maire Éric Dubé.
Par Gilles Gagné
Pin rouge réussit grâce à son enneigement artificiel à offrir autour de 70 jours de ski à sa clientèle. Photo : Gilles Gagné
MONT-BÉCHERVAISE ; QUAND L’OR BLANC NE TOMBE PLUS DU CIEL
GASPÉ | Si elle avait à identifier une annus horribilis, la direction générale du Mont-Béchervaise pointerait sûrement du doigt l’hiver 2024. Les pentes de la station à Gaspé n’ont pas été accessibles avant la Saint-Valentin, manque de neige oblige. Pendant que d’autres additionnaient les tempêtes, le bout de la pointe attendait son tour avec impatience. Sauf que son tour n’est pas venu, ou presque.
À la mi-mars, à peine 16 petites journées d’exploitation avaient été enregistrées. Le temps des Fêtes est passé à la trappe; un moment habituellement faste permettant de renflouer les coffres en début de saison. La fin de semaine de relâche n’a guère été mieux. Devant la situation, le club alpin local s’est dirigé plus souvent qu’à son tour vers la station la plus proche, à Murdochville. La finale régionale de l’Est-du-Québec, qui devait avoir lieu plus tard en mars, a été attribuée à un autre club. En raison de l’ouverture tardive de la station, un plan de compensations a dû être mis sur pied pour les détenteurs d’une carte d’abonnement, avec des remboursements pour la saison en cours et des rabais pour la suivante. Bref, une année qui va passer à l’histoire, mais pour les mauvaises raisons.
Ces perturbations ont évidemment eu un impact dans les caisses. « Les changements climatiques viennent perturber les plans. Habituellement, on sait qu’on peut arriver à un équilibre financier si on offre entre 40 et 45 journées de ski dans la saison. Ça nous permet de couvrir les frais de départ et de fin de saison, pour le damage, etc. Dans les dernières années, on n’a malheureusement pas atteint ce nombre », explique la directrice générale depuis trois ans, Gaëlle Vivier.
Une récente étude réalisée par Ouranos précise que l’achalandage diminuera jusqu’à 7,5 % d’ici 2070 pour les stations en Gaspésie, en raison notamment de l’augmentation des quantités de pluie en hiver, qui passera de 116 mm à 180 mm. Déjà qu’au Québec, les stations de ski ouvrent en moyenne 99 jours par saison (voir tableau ci-après). C’est deux fois moins en Gaspésie, à 48 jours.
Le nombre de membres a quant à lui chuté à 650. C’est environ un tiers de moins que la moyenne de 900 à 950. Depuis l’implantation du télésiège quatre places en 2017, la station faisait le plein de nouveaux membres, jusqu’à ce qu’un certain plateau soit atteint en 2022. L’infrastructure a permis aux débutants et aux personnes un peu plus âgées de se réapproprier la montagne. Sauf que la saison 2023-2024 a aussi été pénible, avec une ouverture tardive
le 19 janvier. La station a quand même réussi à sauver les meubles en ouvrant pendant 33 jours. La saison précédente était encore meilleure, avec ses 54 journées d’ouverture. « C’était une très bonne année, sans aucun problème financier. Même l’an dernier, on est presque arrivés à l’équilibre avec nos revenus d’opération. Ce n’était quand même pas si mal, mais là, c’est exceptionnellement catastrophique », analyse la directrice générale.
VERS UN ENNEIGEMENT ARTIFICIEL
L’organisme sans but lucratif du Centre de ski Mont-Bechervaise – qui gère l’exploitation – a été créé en 1999. Les terrains, les infrastructures et les bâtiments appartiennent à la Ville de Gaspé. La municipalité assure certaines dépenses comme la maintenance du télésiège, des bâtiments et des dameuses, ce qui représente une bonne fraction des coûts. Le budget récurrent provient en majorité de revenus autonomes et de commandites. La tendance des canons à neige deviendra bientôt essentielle, selon plusieurs.
« Si on veut survivre, garder une station de ski à Gaspé, ça va passer par l’enneigement mécanique. On n’a pas le choix, sinon dans 5 ou 7 ans, les frais de démarrage vont être plus importants que les revenus qui vont entrer. Et si on n’a pas de financement, ça va être très compliqué », analyse la directrice générale. Il faudra probablement ériger un bassin de rétention artificiel à mi-montagne, qui récupérerait l’eau de la fonte et celle des précipitations. Ce bassin serait supporté par un ou deux puits artésiens. Le projet est évalué au bas mot à 2 millions de dollars. Le plan initial sera d’enneiger artificiellement trois pistes pour offrir des options dans le temps des Fêtes.
Cet état de fait est bien connu des autorités municipales, qui seront certainement sollicitées dans un futur montage financier. « Éventuellement, on va être obligés de faire de l’enneigement, mais ça ne sera pas avant quelques années parce que ça coûte plusieurs millions », convient le conseiller municipal du quartier Wakeham, Réal Côté. Ce dernier siège également au conseil d’administration du Mont-Béchervaise. « On n’aura pas le choix. On ne peut pas avoir d’autres années comme celle-ci ; ce serait catastrophique! »
Il faudra aussi trouver un programme de financement qui cadre pour ce genre de besoin, ce qui n’est pas gagné d’avance. Réal Côté précise cependant que la pensée a évolué au fil des ans et que les cordons de la bourse ont plus de chance maintenant d’être déliés en raison des deux plus récentes saisons. « Au début, ce n’était pas trop trop populaire parce qu’ultimement, ce sont les citoyens qui sont taxés pour ça. Mais avec ce qu’on voit cette année, c’est un peu un mal pour un bien parce que la Ville est ouverte maintenant à faire quelque chose, sinon on est voués à la fermeture. Quand il y a de la neige, c’est paqueté de monde. C’est familial et tout le monde peut en profiter. Si on avait eu des canons à neige, on aurait pu ouvrir avant Noël. »
« Avec deux saisons catastrophiques en ligne, ça va peut-être donner un électrochoc pour ne pas laisser mourir nos stations, renchérit Gaëlle Vivier. On travaille sérieusement là-dedans. On a déjà rencontré les différents équipementiers ; on a une vision globale de ce qu’on aimerait avoir. C’est la solution de l’eau qu’on attend. On connaît les étapes à faire dans la montagne, mais ça prend des fonds. Ce n’est pas avec une saison comme celle-ci qu’on va y parvenir. »
La station du Mont-Béchervaise compte une trentaine d’emplois occasionnels ou saisonniers – plusieurs étudiants et retraités – en plus d’une direction générale à temps complet. Les patrouilleurs sont quant à eux bénévoles.
Par Jean-Philippe Thibault
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