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8 juillet 2022 9 h 01

Dossier rêver de 2040 : partie 5/7 Société

C’est le temps des vacances et en cette période estivale, GRAFFICI s’est permis de rêver en imaginant ce que pourrait être la Gaspésie de 2040. Des collaborateurs de tous les horizons partagent leur point de vue sur une foule d’enjeux qui, espérons-le, pourraient se concrétiser dans les prochaines années. Bonne lecture et bon été!

DE LA CORDILLERA DES ANDES À LISTUGUJ, LES RÊVES SE RESSEMBLENT

Par Félix Atencio-Gonzales, documentariste et journaliste à Listuguj, un Inca vivant chez les Mi’gmaq depuis 35 ans.


Photo : Gilles Gagné

Mes rêves d’enfant étaient guidés par ma curiosité pour les étoiles et les planètes que j’observais depuis les collines de mon village, Rancas. À une altitude de 4300 mètres dans la Cordillera des Andes, elles semblaient toutes à portée de main. Je voulais devenir astronaute.

Un jour, ces rêves ont changé quand ma famille a déménagé à Lima, la capitale du Pérou, où les Autochtones sont victimes d’un racisme violent et quotidien. Ce racisme a façonné mes rêves. Les étoiles seront toujours là, mais sur Terre, j’ai commencé à rêver de changer le monde pour que les gens respectent simplement ma culture, mes valeurs, ma couleur de peau et ma langue. Je voulais devenir journaliste.

Mon parcours, depuis Rancas, en passant par Lima, m’a conduit à travers le continent et s’est arrêté en Gaspésie. À chaque escale, j’ai rencontré des Autochtones engagés à changer la situation dans laquelle la colonisation les a coincés. Les gens m’ont raconté leurs luttes. Ils m’ont parlé de morts, de blessés, de prisonniers politiques, des droits niés, de terres volées et j’ai même failli laisser ma peau sur la route. J’ai recueilli ces témoignages entre le Chili et les Secwepemc, en Colombie-Britannique, et de là jusqu’en Gaspésie.

Quand je voyage en Gaspésie, j’entends leur langue partout : Matane, Paspébiac, Gaspé, Pabos, Chic-Chocs, Miguasha, Cascapédia… et quelquefois, je suis appelé à expliquer l’histoire des Mi’gmaq dans la région. J’ai même dû le faire chez la juge de la citoyenneté lors de mon examen. Elle prévoyait une réponse écrite dans son livre quand elle m’a demandé : « Qui a découvert le Canada? » Ma réplique l’a surprise : « Personne… les Autochtones étaient déjà ici ». Après un long silence et un regard sévère, elle a continué avec d’autres questions.

Ici à Listuguj, où j’habite, j’ai été témoin de la lutte des Mi’gmaq sur plusieurs fronts, tant sur les routes que sur la rivière ou lors de tables de discussions, de même que dans leurs écoles pour enseigner et garder leur culture et leur langue.

Quand l’arrêt Marshall a reconnu les droits des Mi’gmaq à la pêche commerciale, j’ai été embauché par la communauté pour coordonner leurs opérations. J’ai connu de bons alliés et j’ai aussi connu des opposants à la présence des Mi’gmaq dans l’industrie, comme il y en a encore. Conscient de l’avenir, j’avais pris le temps d’aller dans des écoles pour parler des Mi’gmaq aux enfants et aux jeunes du cégep, car je savais qu’ils allaient se rencontrer sur les quais ou chez l’épicier, où les pêcheurs de Listuguj se ravitaillent avant d’aller en mer.

Depuis que j’habite la Gaspésie, j’ai été témoin de plusieurs chapitres de l’histoire entre les Mi’gmaq et les Gaspésiens. J’aimerais que les enfants d’ici, et d’ailleurs, aillent au bout de leurs rêves et qu’ils et elles, avant ou après 2040, ne soient pas obligés de les changer pour lutter contre des injustices, historiques ou récentes.

 

ACHETER MOINS, PARTAGER PLUS

Par Geneviève Gélinas, ex-journaliste et présidente du conseil d’administration de GRAFFICI.


Photo : Simon Bujold

Chez moi, il y a une tondeuse à gazon qui démarre quatre fois par été, un ensemble à raclette qui a servi une fois en 10 ans et une perceuse qu’on dépoussière aux deux ou trois ans…. En 2040, j’aurai aussi deux grandes chambres vides à l’étage, puisque mes enfants auront quitté la maison. Et plus de temps libre, ceci expliquant cela.

Je ne suis pas la seule à vivre dans cette abondance. Grâce au niveau de vie et au filet social dont nous bénéficions au Québec, c’est le cas d’une bonne partie de la population.

En contrepartie, nos réflexes de partage se sont émoussés. Pourquoi aller quêter les tournevis du voisin quand on peut en acheter? Suis-je la seule à me sentir gênée au moment d’emprunter un objet ou de demander un service? À voir mes offres de prêt ou d’aide rarement saisies? À avoir l’impression de devoir, autant que possible, me débrouiller seule, sans déranger mon prochain? Avec comme conséquence que mon prochain se débrouillera sans moi à son tour.

Et pourtant. Mes demandes sont toujours bien reçues. Je perçois alors dans les yeux de mes bienfaiteurs et bienfaitrices le même plaisir que j’éprouve moi-même à rendre service ou à partager.

En Gaspésie, nous saluons les inconnus croisés sur la rue et nous laissons nos portières déverrouillées… Nous profitons d’un degré enviable de confiance et de sécurité : un terreau parfait pour pratiquer l’économie du partage, celle qui permet de « prêter et partager nos ressources au moyen de réseaux de confiance ». Ne laissons pas ce concept à Uber et à Airbnb : mettons-le en pratique au quotidien, entre voisins, collègues, amis et connaissances.

Pénurie de logements et de main-d’oeuvre, ruptures des chaînes d’approvisionnement… les défis auxquels les Gaspésiens – et tous les Québécois – font face pourraient être atténués par le partage de nos espaces, de nos biens, et parfois, de nos bras et de nos savoir-faire.

Un autre argument, et sans aucun doute le plus important, milite en faveur du partage. Pour ménager la planète, nous devons réduire radicalement notre consommation. Dès maintenant, pas en 2040.

En prime, je fais le pari qu’avoir autour de soi des gens qui « nous en doivent une » et à qui « on en doit une » rendra la vie plus douce.

En 2040, j’espère donc avoir moins d’objets dans ma remise, mais qu’ils en sortent plus souvent. Et pourquoi pas, accueillir des colocataires dans mes grandes chambres vides.

En 2040, si l’on possédait moins et que l’on partageait plus, il me semble que tous les Gaspésiens et Gaspésiennes seraient plus riches.

Alors, la prochaine fois que vous aurez besoin d’un ensemble à raclette…

 

Pour lire la suite du dossier :

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 1/7 CULTURE

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 2/7 ÉDUCATION

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 3/7 ENVIRONNEMENT

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 4/7 SPORT ET LOISIRS

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 6/7 SANTÉ

DOSSIER RÊVER DE 2040 : PARTIE 7/7 TRANSPORT