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11 juin 2021 16 h 01

Épilogue : bien des choses ont évolué en 40 ans

Gilles Gagné

Journaliste

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LISTUGUJ | À la suite du premier raid du 11 juin 1981, une douzaine de citoyens de Listuguj sont arrêtés et envoyés en prison à New Carlisle. L’avocat gaspésien Nérée Cormier se trouvait au palais de justice adjacent à la prison à leur arrivée, occupé à d’autres causes.


L’avocat Nérée Cormier a pris sous son aile la cause des Mi’gmaqs simplement parce qu’il se trouvait au palais de justice de New Carlisle quand ces derniers y sont arrivés. Photo : Gilles Gagné

« On m’a demandé de les représenter. Sur les 12 hommes arrêtés, deux, Donald Germain et Robert Barnaby, ont été formellement accusés d’avoir résisté à leur arrestation alors qu’ils se livraient à une pêche illégale. Ils ont comparu et ils ont été remis en liberté sous conditions », note Me Cormier.

Dans les heures qui ont suivi le premier raid, les chefs de ce qui s’appelait alors les Nations indiennes du Canada ont déplacé à Listuguj l’assemblée qui devait avoir lieu à Victoria, en guise de solidarité aux Mi’gmaqs. Nérée Cormier reçoit alors un message d’un représentant autochtone national.

« On me demande de me rendre à l’hôtel où ils logeaient à Campbellton. Ils voulaient savoir ce qui s’était passé en cour. Je leur ai fait un rapport. Ils m’ont demandé si je me sentais capable de les [MM. Germain et Barnaby] représenter. J’ai dit oui. Il y avait des avocats, je pense, dans leur groupe. On m’a offert de m’appuyer », raconte Me Cormier.

« On a plaidé non coupable. Le procès a été fixé au 3 mai 1982 devant le juge Yvon Mercier, de la Cour du Québec. Il y avait une atmosphère houleuse et tendue. Plusieurs autochtones étaient présents, dont le chef Metallic. Il y avait des policiers, des supporteurs blancs, pour la cause des Blancs », dit-il.

L’avocat demeure encore marqué par l’absence de respect de la cour pour les droits des accusés au procès. « Je m’étais penché à un moment donné pour consulter mon assistant et le juge m’a dit : “Nérée, tu n’as pas besoin de ce gars-là”. C’était aussi un manque de respect pour mon assistant, qui était en chaise roulante. »

Dans la transcription du jugement, lue en cour, le juge Mercier a tenu d’autres propos étonnants, répétant « je ne vous crois pas du tout » à Donald Germain et ajoutant qu’il ne croyait pas non plus les témoins de la défense, Fay Metallic et Sally Caplin.

Le juge est aussi tombé à bras raccourcis sur les photos déposées en preuve, disant qu’elles avaient été truquées par Sterling Keays, un photographe de Pointe-à-la-Croix. Le juge a même dit que les autochtones avaient retenu les services de M. Keays parce qu’ils avaient l’intention de faire quelque chose de mal.

Sterling Keays raconte aujourd’hui qu’il s’était rendu dans le secteur Broadlands de Ristigouche-Sud-Est, ayant entendu dire qu’une opération policière se préparait. Après avoir croisé un convoi de policiers, il est allé au quai, où il a pris 144 photos, développées dans sa chambre noire.

Pour le procès, « je les ai montées sur un panneau en mettant de la cire derrière les photos. L’avocat m’a demandé de les enlever du panneau. La cire laissait un dépôt derrière les photos. C’est probablement pourquoi ils [le juge et la poursuite] ont pensé qu’elles avaient été retouchées d’une certaine façon. Je ne les ai pas et je ne pouvais pas les retoucher à cette étape de ma vie. Je pourrais le faire aujourd’hui avec Photoshop, mais certainement pas à cette époque », dit M. Keays.

Nérée Cormier rappelle qu’en 1982, la Constitution venait d’être adoptée, en avril. « […] je n’étais pas familier, comme d’autres, avec son application sur le territoire du Québec, puisqu’elle n’avait pas été signée par le Québec. Pour être franc, le débat se faisait au niveau du non-respect des droits individuels de common law, pour des arrestations sans motif. Les autochtones avaient été traités de bâtards, de putains lors du raid. Ils avaient été frappés lors des arrestations. On les tirait par les cheveux. On avait des photos qui montraient que des gens âgés avaient été sortis de chez-eux. On avait une photo d’un Mi’gmaq retenu, les cheveux enroulés autour d’une matraque ».

Le juge Mercier reconnaît néanmoins Donald Germain et Robert Barnaby coupables et il les condamne à une amende de 250 $ et à un an de probation. « Je n’étais pas content, et les autochtones non plus. Les droits étaient bafoués, le juge et le procureur de la Couronne étaient partiaux », affirme Me Cormier.

Les accusés portent la cause en Cour supérieure, « qui a le pouvoir d’appel en Cour du Québec sur des questions de droit », note l’avocat.

Le procès est entendu un an plus tard par le juge Louis Doiron. Selon Me Cormier, il s’agissait d’un juge « d’une grande expérience, d’une impartialité à toute épreuve. À un moment, je questionnais un policier. Le juge lui avait dit : “On obéit à un ordre quand il est légal, pas quand il est illégal”. Lors du premier procès, le juge Mercier avait perdu les pédales. C’était une mascarade. »

L’avocat se souvient bien de la fin de la procédure. « Quand le juge Doiron a regardé les preuves, il a conclu qu’on ne peut bafouer les droits individuels et collectifs comme ça, pour un cas de supposée pêche illégale. »

Le juge Doiron acquitte Donald Germain et Robert Barnaby en août 1983 sur la base du nombre d’erreurs de faits et de droits au premier procès.

« On était rentré [dans la communauté mi’gmaque] comme à la guerre. Je n’ai jamais vu un abus de droit aussi clair. Ce n’était pas une démocratie, le 11 juin 1981 », conclut Nérée Cormier.


Allison Metallic. Photo : Gilles Gagné

« Je me souviens que mon père avait été particulièrement choqué que le ministre Lessard, du gouvernement du PQ (Parti québécois), avec un projet de pays, ait dit que nous ne pouvions gérer notre pêche au saumon, que nous ne pouvions négocier de nation à nation, parce qu’une nation doit avoir un territoire, une langue et une culture! Nous avions ça! Juste en face de chez nous, le Nouveau-Brunswick pêchait le saumon commercialement. On nous disait en même temps qu’on ne pouvait vendre une partie de nos faibles prises! La crise de 1981 a été un choc, mais la réaction de la communauté a été à la hauteur. Je suis convaincu que si nous n’avions pas réagi avec énergie, Listuguj aurait à peu près disparu, qu’elle aurait été avalée par nos voisins, Campbellton et Pointe-à-la-Croix. Nous nous sommes défendus pour nos droits. Nous avons imposé le respect. Nous avons pris confiance en notre capacité d’agir.

Nous avons développé notre plan de pêche au saumon. En 1999, alors que je venais d’être élu chef, le jugement Marshall a été rendu, pour nous assurer d’une participation aux pêches commerciales. Ça n’a pas été accepté par bien des pêcheurs blancs, mais certains d’entre eux ont formé nos jeunes et nous avons des capitaines maintenant. Par la suite, nous avons déposé des projets éoliens. Ils ont été rejetés la première fois, de justesse, mais nous avons été clairs lors d’un autre appel d’offres que nous voulions notre juste part. Nous l’avons eue, avec le parc éolien d’Escuminac [NDLR : Mesgi’g Ugju’s’n]. Nous l’avons négocié avec le PQ, en plus! Les manifestations forestières de 1998 ont aussi débouché sur l’octroi de bois pour les Mi’gmaqs. Nous avons des entrepreneurs forestiers depuis ce temps. Nous avons fait énormément de progrès depuis 40 ans et ça va continuer. Nos voisins aussi y gagnent. »


Terry Isaac. Photo : Gilles Gagné

« Le raid de 1981 a engendré de la rancune envers les policiers de la Sûreté du Québec pour les deux générations de Mi’gmaqs suivantes, jusqu’à aujourd’hui, en fait. Trois ans après le raid, en 1984, je venais d’avoir 19 ans et j’étais policier à Listuguj. Je devais côtoyer des policiers de la Sûreté du Québec de Matapédia dans certaines situations. Il y avait de l’animosité, mais nous devions travailler avec eux. Je devais être professionnel. Les gars de la Sûreté du Québec de Matapédia ne voulaient pas d’intervention à Listuguj en 1981. J’ai compris ça en les côtoyant. De toute façon, les forces anti-émeutes venaient de l’extérieur, de Montréal, de Québec. Je suis devenu ami avec des policiers de Matapédia. J’ai joué au hockey avec eux. Ils suivaient les ordres en 1981. »

Lire la première partie de l’article : Quarante ans plus tard, les incidents de Restigouche sont encore bien présents dans la mémoire