Éric Deschamps : un orignal a changé sa vie
CAP-CHAT | En 2016, Éric Deschamps abandonne tout pour débarquer à Cap-Chat. À 25 ans, incapable d’expliquer pourquoi, il ressent le besoin de voir autre chose. Sa famille et ses amis sont inquiets. Puis, une première rencontre avec un orignal dans les Chic-Chocs change complètement le cours de sa vie. Elle deviendra la bougie d’allumage d’une carrière à laquelle il n’avait jamais pensé : photographe de nature sauvage.
Né à Saint-Basile-le-Grand, sur la Rive-Sud de Montréal, Éric Deschamps y a vécu jusqu’à l’âge de 25 ans. Titulaire d’un certificat en comptabilité de l’Université du Québec à Montréal, le jeune homme étudiait au baccalauréat en actuariat dans le même établissement. « Je croyais depuis toujours que les maths représentaient mon avenir et que c’était l’entrepreneuriat qui m’était destiné. Mes parents étaient des entrepreneurs dans le domaine de l’acier. » Passionné de technologie, il travaillait chez Apple pendant ses études. En 2016, il décide de faire le grand saut. En deuxième année d’actuariat, il abandonne tout. « Je savais qu’il fallait que je fasse autre chose, mais je ne savais pas quoi. » Presque 10 ans plus tard, il n’est toujours pas capable de dire pourquoi il devait changer d’air.
Sa première rencontre avec un orignal a complètement changé le cours de la vie d’Éric Deschamps. Photo : Éric Deschamps
Déménagement à Cap-Chat
Il déménage donc à Cap-Chat, dans un petit appartement appartenant à son frère Ugo, qui habite dans cette municipalité depuis un certain temps. « Quand je suis arrivé ici, je n’avais jamais fait de photo ni monté de montagnes, se souvient-il. Je n’ai même aucun souvenir d’avoir monté le mont Saint-Hilaire, près de chez moi, ni même d’avoir regardé le ciel ou les étoiles. »
Installé en Haute-Gaspésie depuis peu de temps, quelqu’un lui propose alors une randonnée sur le mont Ernest-Laforce, dans le parc national de la Gaspésie. Déjà totalement renversé par le paysage à perte de vue qui s’ouvrait devant lui, sa première rencontre avec un orignal demeure à jamais gravée dans sa mémoire. « Ça paraissait qu’il était vieux, décrit-il. Ses yeux étaient abimés. Il portait une cicatrice. Mais, il avait un beau panache. »
Celui qui était déjà fanatique de solitude, qui ne connaissait que le bruit du métro de Montréal et des déneigeuses, découvre alors un nouveau monde. « Ça a tout changé », confirme-t-il. C’est ainsi que lui vient l’idée d’acheter son premier appareil photo. « C’était pour montrer à ma famille que je faisais quelque chose, rigolet-il. Je prenais des photos à gauche et à droite. Elles n’étaient pas très bonnes ! »
Éric Deschamps est photographe de nature sauvage. Photo : Éric Deschamps
Rencontre marquante
Le 2 novembre 2016, Éric Deschamps fait une autre rencontre marquante. « Je suis tombé sur un troupeau d’orignaux. Il y en avait partout ! Sur le mont Ernest-Laforce, une femelle orignal est venue vers moi. J’ai tout filmé. Puis, j’ai décroché mon appareil photo de son trépied. Elle s’est amusée avec mon trépied et l’a plié. Je reculais et elle continuait à s’approcher de moi. J’ai mis cette vidéo sur Facebook. Elle a été virale ! » Cette rencontre a été l’élément déclencheur pour le motiver à aller vers les animaux. « J’avais le goût de trouver le moyen de rendre justice à leur beauté », spécifie-t-il.
L’homme aujourd’hui âgé de 33 ans n’a jamais suivi de cours de photographie. « J’ai appris à 100 % sur Internet. J’ai longtemps fait seulement des photos d’orignaux. Ce sont ces animaux qui ont bouleversé ma vie. J’étais tellement bien avec eux ! J’avais toujours hâte au lendemain pour aller dehors et essayer de les trouver. Ce sont ces animaux qui m’ont donné le goût d’un monde meilleur. »
Tout en faisant de la photo, Éric Deschamps a travaillé de 2016 à 2020 à l’Auberge de montagne des Chic-Chocs, perchée à 615 mètres d’altitude, au coeur de la réserve faunique de Matane, située au sud de Cap-Chat. « À 5 h du matin, j’étais dehors pour essayer de trouver des orignaux ! »
Nature en vue
Au début de la pandémie, Éric Deschamps prend la décision de se consacrer exclusivement à la photographie. « Je me suis dit qu’il y avait assez de gens qui aimaient mes photos pour que je sois prêt à prendre le risque. » L’entreprise
Nature en vue prend ainsi son envol. En septembre 2020, il fait imprimer des calendriers d’orignaux, d’oiseaux, de renards et de nature sauvage. Puis, il publicise ses calendriers sur les réseaux sociaux. En quelques minutes, il est renversé par le flot de commandes qui entre. En peu de temps, il vend pour environ 10 000 $ de calendriers. Son étonnement est à son plus fort.
En plus d’un calendrier, le photographe publie annuellement, depuis quatre ans, un magazine de 70 à 75 pages. « Je raconte en images et en textes mes récits d’aventures au Québec. Je visite toutes les régions. Le Québec est tellement beau et riche en matière d’observation. Je reçois tellement de commentaires de gens qui me disent découvrir le Québec grâce à mes magazines ! Je donne aussi des conseils en photo de plein air. Les gens aiment ça parce que c’est pur et vrai à 100 %. Ce n’est pas écrit en français de France. C’est écrit dans mon style. C’est atypique. »
Le volume 1 de Nature en vue le magazine a d’abord été imprimé à 3000 exemplaires. « En 17 heures, je les ai tous vendus, se souvient-il. Je suis retourné vers mon imprimeur et j’en ai fait réimprimer 5000 ! » Le volume 4 sortira à la fin avril ou au début mai et sera imprimé à 5000 copies. « Les calendriers et les magazines, c’est une roue qui tourne », constate-t-il.
Pour l’automne 2026, pour célébrer ses 10 ans de carrière, l’artiste prépare un livre qui sera publié par les Éditions Cardinal. « Ce sera un beau livre qui racontera mes débuts, l’histoire d’un orignal que j’ai suivi pendant quatre ans, mes rencontres avec les animaux, le récit de mes moments clés en Gaspésie, mon cheminement professionnel et créatif. »
Photo : Éric Deschamps
Coeur d’enfant
Par son art, Éric Deschamps souhaite inspirer les gens, les dépayser. « J’aime écrire, prendre des photos et faire des vidéos. J’ai un coeur d’enfant pour la nature. Mon rôle est de montrer le beau ; c’est mon créneau ! Mes photos servent à imager ma connexion avec la nature. Le côté aventure est aussi important pour moi. Je ne suis pas un activiste, je n’aime pas les sujets polarisants. » Que ce soit en camping, en kayak, en raquette ou en ski, le photographe de nature sauvage croit cependant que, pour connaître la nature, il faut investir beaucoup de temps.
Seul dans la nature et au contact des animaux, tant de jour que de nuit, le Haut-Gaspésien d’adoption a le sentiment de vivre dans un monde à part. « Tout va mal, philosophe Éric Deschamps. Les médias le rapportent. Mais moi, je suis tellement loin de ça ! Il y a du beau dans ma vie. Il n’est pas à la télévision ou entre quatre murs de béton : il est dehors. L’eau est pure et bonne, les arbres sont magnifiques. On est dans un secteur où on a quatre saisons tellement différentes qu’il est facile de créer du positif et de produire de merveilleux souvenirs. Il faut encourager le monde à se connecter avec la nature. Je pense qu’on a besoin de ça. »
Le trentenaire croit que les gens sont de moins en moins courtois et indifférents les uns par rapport aux autres. « Mais, dans la nature, les gens sont plus ouverts, se parlent plus naturellement, parce que leur sensibilité et leur côté rose prennent le dessus, observe-t-il. En se connectant avec la nature, les gens se connectent aussi ensemble. Moi, je le fais au travers de mes images d’animaux, de plein air, d’expéditions et d’aventures. »
Exposition
Une exposition regroupant plusieurs oeuvres d’Éric Deschamps est en cours dans les locaux de la Société d’histoire de La Haute-Gaspésie à Sainte-Anne-des-Monts. Plusieurs personnes sont venues rencontrer le photographe lors du vernissage de l’exposition qui s’est tenu le 27 novembre. « C’est rare que les gens me voient, admet l’artiste solitaire. Ça a été merveilleux ! J’ai reçu assez d’amour pour les cinq prochaines années ! Je n’aurais jamais pu prédire tous les témoignages que les gens me partagent. Au fil des années, je réalise combien j’ai touché de monde, combien je les ai fait pleurer. »
Un encan silencieux a été organisé lors de l’événement au profit de la Fondation Louise-Amélie, qui apporte son aide et son soutien aux femmes victimes de violence et à leurs enfants. L’oeuvre, qui a permis d’amasser 700 $, représente un pluvier argenté. « Le titre de cette image est Douceur, précise son auteur. C’est un oiseau fragile. C’est une image que j’ai spécialement choisie pour sa fragilité, mais aussi pour son équilibre, pour sa force et pour sa vulnérabilité. »
La photo d’un pluvier argenté intitulée Douceur, dont les profits de la vente ont entièrement été versés à la Fondation Louise-Amélie. Photo : Éric Deschamps