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Éditorial
27 mars 2024 15 h 18

Espaces bleus ou l’éléphant dans le magasin de porcelaine

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Quand le premier ministre du Québec François Legault avait annoncé le concept des Espaces bleus, en juin 2021, une idée cachée jusque-là, bien qu’ébruitée par les médias, une vague d’inquiétude avait balayé le milieu muséal et les organismes culturels.

Cette inquiétude touchait non seulement les organismes des régions rurales, mais elle s’étendait aussi à ceux des grands centres. Les musées et les lieux à vocation culturelle sont généralement sous-financés au Québec et voilà qu’en toute absence de consultation, le premier ministre proposait de créer un nouveau réseau!

Les Espaces bleus sont maintenant morts, victimes de l’improvisation, de la superficialité liée à un concept de fierté mal défini, et de l’extravagance inhérente à la vanité d’un premier ministre profitant d’une période presque dénudée d’opposition, en raison de la pandémie, pour imposer son idée.

Comprenons-nous bien : personne ne doute de l’amour que porte François Legault pour le Québec, mais il l’aime mal, son Québec. Il le paternalise alors qu’il devrait l’écouter.

Imposer un nouveau réseau sans consulter les dirigeants d’organismes muséaux était voué à l’échec. À de très, très rares exceptions près, les projets doivent partir de la base pour remonter vers les instances décisionnelles.

En Gaspésie, le sauvetage de la Villa Frederick-James était totalement justifié. Toutefois, le dérapage budgétaire, parce qu’il y en a un, vient du fait que l’État québécois a décidé de la placer sur un immense bunker, après l’avoir déménagée.

La villa est certes imposante, et sa construction remonte à 1888, ce qui complique une restauration respectueuse de son architecture. Elle n’est toutefois pas monumentale au point de justifier un projet évalué à 25,5 millions de dollars (M$). Oui, vingt-cinq-virgule-cinq-millions-de-dollars!

Aucune initiative culturelle n’a nécessité un investissement de cet ordre dans l’histoire de la Gaspésie et voilà qu’elle avorte, parce que le réseau dans lequel elle est imbriquée plante pour cause de dérives budgétaire et conceptuelle.

L’extravagance et la vanité de François Legault se sont exprimées ainsi, et elles ont mené à une irresponsabilité financière dont le secteur culturel aurait pu se passer, même s’il n’y était pour rien.

Une flambée hors de contrôle

Quand la fin des Espaces bleus a été officiellement décrétée, le 4 mars dernier, une somme de 206 M$ y était déjà engagée, dans quatre des 17 musées projetés. Le budget initial des 17 projets devait s’établir à 262,2 M$. Le réseau complet semblait se diriger allègrement vers des déboursés d’un milliard de dollars.

Comment serait-on arrivé à faire vivre ces 17 musées avec 36,5 M$, le montant prévu pour cinq ans de fonctionnement? Mystère! Des projets réalistes auraient eu meilleur goût.

Si le dépassement de coût lié à la réfection de la Villa Frederick- James peut sembler « raisonnable », puisque cette facture est passée de 20,5 M$ à 25,5 M$, les autres initiatives sont toutes caractérisées par des dépassements bien plus importants, en proportions et en termes nominaux. Au couvent des Petites Franciscaines de Baie-Saint-Paul, dans Charlevoix, la facture est passée de 30 M$ à 56 M$, soit presque le double. Les travaux ne sont même pas amorcés.

Il y a pire : le coût de transformation du pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, un projet en chantier, a déjà presque doublé, passant des 47,3 M$ prévus en 2021 à 92 M$ aujourd’hui.

C’est exorbitant pour une fierté mal appuyée et au coeur d’une controverse bien légitime de la part d’un secteur, la culture, qui n’arrive toujours pas à obtenir 1 % du budget de l’État québécois.

Tout ça, rappelons-le, a « évolué » sans réelle consultation. Il y a bien eu un comité régional portant sur l’Espace bleu gaspésien, sans doute comme ailleurs, mais ses membres se demandent probablement s’ils n’étaient là que pour les apparences ou pour donner un semblant de légitimité aux décisions à venir sur le contenu de la Villa Frederick-James. L’État québécois se donnait ainsi le droit de cocher la case « concertation ».

Tout ça sans réaliser que les musées gaspésiens sont sousfinancés depuis des années. Tout ça alors que le Château Dubuc de Chandler aurait pu être sauvé. Tout ça sans prendre en considération la présence, à 100 mètres, du Musée Le Chafaud menacé de fermeture parce que la relève de Jean-Louis Lebreux, qui a tenu l’organisme à bout de bras pendant 40 ans, voudra sans doute être rémunérée à peu près normalement.

Pendant ce temps, Exploramer, à Sainte-Anne-des-Monts, attend un appui financier de 6,8 M$ pour réaliser une expansion de 25 M$ visant à renforcer son rôle de meneur touristique gaspésien. Ce projet, qui comprend le premier pavillon dédié aux requins au Canada, inclurait comme innovation supplémentaire un volet de recherche scientifique.

Il serait paradoxal de voir un organisme reconnu, Exploramer, attirant déjà 35 000 personnes par année, représentant un modèle à suivre avec des revenus autonomes couvrant 65 % de ses frais d’exploitation, perdre cette expansion alors qu’un projet sorti de l’égarement d’un premier ministre a bénéficié d’une somme de 25,5 M$!

L’expansion d’Exploramer devrait minimalement doubler son achalandage et enfin conférer à La Haute-Gaspésie un projet porteur. Cette MRC est répétitivement négligée par les pouvoirs publics au point où ça en devient suspect.

Que faire maintenant?

La Villa Frederick-James est presque livrée au ministère de la Culture par l’entrepreneur retenu pour sa réfection. Selon le député de Gaspé à l’Assemblée nationale, Stéphane Sainte- Croix, de la Coalition avenir Québec, plus de 90 % des travaux sont réalisés.

En dépit de la déclaration du ministre de la Culture, Mathieu Lacombe, à l’effet que l’avenir des quatre projets n’est pas nécessairement lié au domaine muséal ou à la culture, le député de Gaspé voit d’un bon oeil le maintien de la vocation artistique de la Villa Frederick-James. Il rencontrera sous peu les gens de Percé au sujet de ce qui animera le bâtiment.

Il entend prioriser ces gens de Percé, sans exclure la participation des représentants culturels d’une zone élargie, notamment ceux faisant partie du comité régional ayant suivi la démarche « Espaces bleus ».

Quand on demande au député Sainte-Croix s’il favorise le maintien d’une vocation artistique pour la villa, il répond : « M. le ministre a été clair, le mandat dévolu, c’est de s’assurer d’aller chercher un maximum d’intrants, de respecter la volonté populaire et de faire vivre ces espaces patrimoniaux. Je vois mal qu’elle pourrait devenir autre chose que ce qu’elle a toujours été. »

C’est rassurant. Pour que le contexte demeure rassurant, il faudra toutefois assurer le financement de la Villa Frederick- James pendant plus de cinq ans, pour éviter que ne se répète, comme ça arrive souvent, une mobilisation pour conserver des acquis plutôt que pour avancer.