• dimanche 13 octobre 2024 15 h 05

  • Météo

    12°C

  • Marées

Actualités

Éditorial
9 février 2023 16 h 48

Essayez de ne pas nuire, Madame Lebouthillier

Gilles Gagné

Éditorialiste

Partager

Quiconque a déjà travaillé sur une ferme, sur un bateau de pêche, en exploitation forestière ou dans une mine comprend dès le premier jour d’ouvrage qu’un objectif de départ s’impose: ne pas nuire. Par la suite, il faut voir à être utile.

Le 10 janvier, en conférence de presse portant initialement sur son bilan depuis sa réélection en 2021, Diane Lebouthillier, la députée fédérale de la circonscription de Gaspésie-Les Îlesde-la-Madeleine, a jeté un autre pavé dans la mare de tous les meneurs socio-économiques croyant à la nécessité de réparer la voie ferrée jusqu’à Gaspé en leur souhaitant, sur un ton empreint de doute, de défi et même de sarcasme, « bonne chance ».

Elle s’était rendue dans la matinée du 25 décembre constater sur le banc de Pabos les dégâts causés la veille par une tempête. Elle ne les a pas décrits aux journalistes. Elle a aussi indiqué qu’elle avait vu des gens travailler tout l’été à la réfection du chemin de fer longeant la route 132, ajoutant que le tronçon ferroviaire gaspésien compte 24 kilomètres en zone d’érosion.

Les aspects incongrus de sa déclaration et de plusieurs de ses affirmations touchant le transport régional depuis son élection en 2015 sont pour le moins déroutants, sans jeu de mots. On ne lui connaît aucune compétence particulière en transport. Le 10 janvier, elle a manifestement commenté une situation dont elle ignorait à peu près tous les détails.

Voyons de plus près. Le banc de Pabos a été endommagé une première fois lors de la tempête du 30 décembre 2016. Des rails inégaux sur un lit endommagé par les vagues en ont résulté. Il y avait là du travail pour quelques jours tout au plus, au coût de quelques dizaines de milliers de dollars, pour remettre l’emprise en bon état et, surtout, la protéger contre les prochaines tempêtes.

Ce travail n’a pas été fait par le propriétaire du réseau, Transports Québec, parce qu’à ce moment, les meneurs socioéconomiques de la région se battaient contre ce ministère afin de faire reconnaître la pertinence de rendre de nouveau fonctionnel tout le tronçon Matapédia-Gaspé. L’ex-ministre des Transports, Robert Poëti, avait décrété en mars 2015 que seul l’axe Matapédia-Caplan méritait une réfection.

Huit ans plus tard, nous payons encore un prix élevé pour cette décision de M. Poëti, qui faisait ainsi fi de tout le potentiel de transport lié à l’usine de pales LM Wind Power de Gaspé et la cimenterie de Port-Daniel.

Au cours de l’été 2022, des travaux sommaires ont été réalisés sur le banc de Pabos pour rendre la voie ferrée en assez bon état pour y faire passer de l’équipement de réfection. Cette décision a fait épargner de l’argent public. Il aurait été plus coûteux de faire passer cet équipement par la route. Transports Québec n’a toutefois pas protégé la voie ferrée à cet endroit, d’où les effets, assez mineurs, de la tempête des 23 et 24 décembre.

Des rails qui pendent pendant longtemps, même sur seulement deux mètres, et une voie ferrée un peu croche, ça laisse parfois une impression tenace d’abandon ou de difficulté de réfection pour le commun des mortels.

Diane Lebouthillier n’est toutefois pas une citoyenne ordinaire. Ses propos sont rapportés par les médias, à plus forte raison quand une dizaine de journalistes répondent présent à une convocation. Elle a bien sûr droit à ses opinions, mais elle a le devoir de se renseigner avant de parler d’un enjeu aussi délicat que le chemin de fer.

Délicat parce que sa réfection est probablement l’enjeu économique de la décennie en Gaspésie. C’est également, quand on parle du train de passagers, de la nécessité de retrancher du trafic routier sur la route 132, de la compétitivité des entreprises de la région, de réduire les émissions de gaz à effet de serre et du bruit émanant des routes, un enjeu social et environnemental.

Délicat parce que les meneurs de la région se sont mobilisés comme jamais entre 2014 et mai 2017 pour finalement arracher 100 millions de dollars (M$) au gouvernement québécois et l’engagement d’une réfection complète du réseau. En février 2020, ce sont 135 M$ qui se sont ajoutés au budget de réparation.

Délicat enfin parce que la réfection du chemin de fer jusqu’à Gaspé permettra à cette ville de poursuivre sur sa lancée, une réalité dont la région a besoin, et que le rail redeviendra dans la société de demain le moyen de transport privilégié pour diminuer les gaz à effet de serre.

Diane Lebouthillier ne semble pas saisir que les 45,8 M$ qu’elle a annoncés le 26 août 2019 au nom du gouvernement fédéral, à deux semaines d’une campagne électorale, consistent précisément à protéger les zones susceptibles d’être érodées, ou qui le sont déjà. Le banc de Pabos en fait partie! Doit-on conclure que cette somme n’était qu’un leurre électoral, auquel elle ne croyait pas?

La Gaspésie ne compte pas, comme le dit Diane Lebouthillier, 24 kilomètres de voie ferrée en zone d’érosion. Elle compte 24 kilomètres de rails à une proximité variable de la mer. L’essentiel de ces 24 kilomètres ne sera pas menacé avant quelques décennies.

Il faut certes penser à quelques déplacements des rails à long terme, mais dans la plupart des cas, la même réflexion s’impose pour la route 132, et pas seulement en Haute-Gaspésie.

La députée-ministre n’en était pas à ses premières déclarations mal fagotées en transport. Lors de la campagne électorale de 2015, elle avait affirmé que dans son esprit, l’amélioration des services d’autobus passait avant l’avion, et l’avion passait avant le train. Elle avait le droit de penser ainsi, bien sûr. Mais deux mois plus tard, Diane Lebouthillier a vécu aux premières loges les désavantages du manque de pluralité en transport interrégional, deux jours étant nécessaires pour qu’elle regagne la Gaspésie à partir d’Ottawa.

Le 22 mai 2021, elle s’est de nouveau fait remarquer pour les mauvaises raisons en disant « je le croirai quand je le verrai » au sujet de la réfection du chemin de fer jusqu’à Gaspé, suivi d’un « je ne suis pas sûre que j’embarquerais dans un train ».

Elle a le droit de penser de la sorte. Mais l’histoire retiendra sa bien faible capacité à rallier les forces derrière un projet essentiel pour l’avenir de la Gaspésie.

Pour le moment, il serait bien plus inspirant qu’elle laisse les gens compétents en transport mener sans obstruction, même verbale, la réfection du réseau ferroviaire.

Ne pas nuire, Mme Lebouthillier. Est-ce trop vous demander?