Et si on larguait enfin la filière québécoise d’exploration d’hydrocarbures?
CARLETON-SUR-MER | Il est temps pour la Gaspésie, et le Québec, de faire une croix sur le développement de puits de pétrole et de gaz. Le bilan des dernières années devrait allumer quelques voyants rouges chez nos dirigeants, même s’ils semblent entretenir ce vieux rêve de faire naître une filière d’hydrocarbures, du puits à la pompe.
Il y a un peu de pétrole en Gaspésie. Diverses compagnies en ont d’ailleurs trouvé depuis 20 ans, à Haldimand d’abord, très peu mais assez pour faire rêver certaines personnes, puis un peu plus à Galt, 17 798 barils lors d’essais de production au puits numéro 4.
En quelques autres endroits, en Gaspésie comme ailleurs au Québec, il y a eu des découvertes mineures. En dépit de recherches plus ou moins régulières depuis 1860, la grande découverte n’est jamais venue. Il est donc temps de tirer un trait, pour plusieurs raisons.
Les personnes les plus lucides, les moins favorables ou les plus hostiles aux hydrocarbures l’ont compris depuis des années. Par conviction, mais aussi par logique, elles voient bien qu’il n’y aura jamais de seconde Alberta au Québec ou en Gaspésie. On ne parle pas des mêmes structures géologiques.
L’industrie pétrolière déboussole souvent ceux qui en vivent. Alors que la Norvège s’est servie de l’argent amassé grâce au pétrole pour constituer un fonds visant éventuellement à en sortir, l’Alberta s’englue et s’enlise graduellement dans le bitume, notamment parce que ses gouvernements n’ont pas utilisé les redevances pétrolières intelligemment.
Au Québec, la filière d’exploration d’hydrocarbures vivote grâce aux fonds publics qui y sont engagés. N’eut été des 100 millions de dollars (M$) engloutis par l’État québécois dans cette filière pour les seuls projets avortés à l’île d’Anticosti, elle serait morte depuis des années.
Examinons cet exemple d’Anticosti. Un consortium de compagnies travaille ensemble pour extraire du pétrole fantôme. Il est fantôme parce que la formation géologique suggère qu’il pourrait y en avoir, mais sans preuves. Le conditionnel est important. Des contraintes majeures font dire aux experts indépendants qu’il faudra un prix de 200 $ le baril pour rentabiliser une éventuelle découverte. Ces contraintes sont notamment le type de roche dans laquelle il faut forer, la profondeur des forages et l’absence relative de grande source d’eau douce sur cette île. L’eau est indispensable aux forages.
Personne n’écoute. Gouvernement québécois et compagnies foncent. C’est plus facile quand l’État déplie les piastres, 30 M$ en l’occurrence.
En 2017, dans un élan écologique auquel il ne nous avait pas habitués, le premier ministre québécois de l’époque, Philippe Couillard, ferme l’exploration à Anticosti. La facture s’élève à 62,2 M$ en indemnisations versées à cinq compagnies, dont deux évoluent en Gaspésie. La facture exclut au moins 2 M$ payés par l’État pour fermer des puits forés en 2010. M. Couillard invoque la protection du joyau que constitue Anticosti et le manque d’acceptabilité sociale sur l’île.
La Gaspésie, qui n’a manifestement pas le statut de joyau dans l’esprit de l’ex-premier ministre, récolte ainsi les dommages potentiels du retrait d’Anticosti, parce que Pétrolia, devenue Pieridae, et Junex, devenue Gaspé Énergies, sont au rang des firmes indemnisées, et qu’elles prévoient forer ici.
Bilan d’Hydrocarbures Anticosti : dépenses, 100 M$; barils de pétrole, zéro!
De Jean Charest à Pauline Marois à Philippe Couillard à François Legault, elle et ils y ont tous cru. M. Legault y croit sans doute encore, discrètement puisque Ressources Québec, une société publique, est encore prête à investir 8 M$ à Galt, malgré des pertes sur la valeur boursière de ses placements pétroliers de 20 M$ depuis cinq ans.
Il est temps de passer à autre chose. La structure géologique de la Gaspésie recèle certes du pétrole, mais ce pétrole est enfoui dans un ensemble de petites poches souterraines. Il faudra soit des centaines de puits, soit de la fracturation hydraulique pour l’extraire, à un risque beaucoup trop élevé pour tenter le coup.
Le risque est élevé? Il l’est pour nos sources d’eau, donc pour notre eau souterraine, nos ruisseaux et nos rivières. Marc Durand, un docteur en géologie qui n’est membre d’aucun mouvement écologiste, assure que fracturer pour du pétrole, c’est comme pêcher dans un lac à la dynamite.
La qualité de notre eau, cette source de vie, est en jeu. Le risque est aussi élevé pour l’air, des études de plus en plus nombreuses démontrant que les gens vivant à proximité de puits d’hydrocarbures présentent diverses maladies, comme l’écrit le Dr Éric Notebaert dans plusieurs rapports.
Enfin, l’industrie montre une fiche trop bancale pour mériter notre confiance.
Regardons les chiffres déposés en Cour supérieure en mars par Gaspé Énergies dans le dossier de relance du forage à Galt. Quand cette firme présente le potentiel des puits qu’elle veut forer à l’avenir, son scénario de production est essentiellement calqué sur la possibilité que chaque trou génère autant de pétrole que Galt 4. Pourtant, Galt 4 n’est que l’un des cinq puits forés sur cette propriété. Les quatre autres étaient secs. Une logique arithmétique suggérerait du réalisme.
Mais non; on veut épater la galerie, faire miroiter un Eldorado. On veut aussi rassurer les marchés financiers pour maintenir le cours de l’action, et rassurer l’État québécois, assis entre deux chaises, avec un ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Jonatan Julien, refusant un permis de forage à Galt 6. Pendant ce temps, ses fonctionnaires semblent baver encore devant le potentiel pétrolier gaspésien.
Si tout ça ne suffit pas, évoquons l’épisode de Ristigouche-Sud-Est, une saga s’étant étirée de 2011 à 2018. Dans ce cas, une firme pratiquement inactive, Gastem, menée par l’ancien ministre libéral Raymond Savoie, a poursuivi une municipalité de 160 habitants pour 1 M$ parce que ses élus ont décidé de protéger contre un forage l’eau d’une population dépendant de puits artésiens.
Gastem a intenté cette action en 2014 et elle a persisté même si elle avait vendu ses droits d’exploration. Sa direction voulait rouler des épaules pour impressionner d’éventuels investisseurs. Comble de l’indécence : Gastem, n’a pas payé les 164 000 $ que la Cour supérieure lui ordonnait de verser à la municipalité après la défaite de la firme!
Qu’on soit anti-pétrole ou pro-pétrole, il y a une logique économique et environnementale qui ne tient plus la route, si elle l’a déjà tenue. Il faut mettre nos efforts ailleurs. Ce n’est pas comme si les solutions de rechange manquaient pour le développement de la Gaspésie, une pionnière dans les nouvelles énergies renouvelables.
La Loi québécoise sur les hydrocarbures reste une loi permissive, conférant plus facilement un droit de forer que des contraintes forçant les compagnies à jouer franc jeu. La modifier pour rendre la partie difficile, sinon impossible, aux compagnies pétrolières ne représenterait pas une perte pour l’économie.
Elle lancerait un réel signal vers la transition énergétique et la concentration des efforts vers les énergies renouvelables. Il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’en 2021, ce signal économique et écologique sonnerait plus fort qu’une ouverture à l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures.