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2 avril 2021 9 h 23

Ferland au pays gaspésien

Pascal Alain

Chroniqueur

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CARLETON-SUR-MER | En 1836, les Patriotes s’apprêtent à prendre les armes contre les troupes britanniques pour affirmer les droits des Canadiens français. Au même moment, l’abbé Jean-Baptiste Ferland, simple curé de village, accompagne Mgr Pierre-Flavien Turgeon lors de sa visite de la péninsule. Cent quatre-vingt-cinq ans nous séparent de ce périple durant lequel l’abbé Ferland immortalise ses observations d’une Gaspésie révolue dans son Journal des côtes gaspésiennes.

La Gaspésie de cette époque représente un coin de pays des plus pittoresques dont seul le récit peut témoigner, la photographie n’étant pas encore inventée. En l’absence de route et de chemin de fer, l’abbé Ferland voyage à bord d’une goélette, la voiture d’eau du temps, en séjournant notamment à Sainte-Anne-des-Monts, Mont-Louis, Rivière-au-Renard, Gaspé, Percé, Grande-Rivière, Port-Daniel, Bonaventure, Paspébiac, Carleton et Ristigouche. Il est sympathique à la cause des Mi’gmaqs, premiers habitants du pays, parlant d’eux en ces termes : « […] les descendants des enfants de la forêt entonnent des cantiques de douleur et de repentir, où quelque prière pour les morts, la pensée se reporte avec tristesse sur ce peuple, jadis maître de toute la contrée, et aujourd’hui disparaissant rapidement en présence de la civilisation européenne. »

On s’en doute bien, la mission de l’équipage est de nature religieuse. Les deux hommes souhaitent constater comment se porte la foi des Gaspésiens, au temps où le pouvoir économique et social repose entre les mains des anglophones protestants. Les Anglo- Normands, par l’entremise de la Charles Robin & Company, règnent en maîtres dans le monde des pêcheries. L’éthique protestante dicte l’essor du capitalisme. Exploiter son prochain permet de gagner son ciel, ce que Ferland, en bon catholique, a du mal à accepter.

Un ouvrage bien de son temps

Dans son journal, publié seulement en 1861, l’abbé Ferland confirme qu’il est un homme d’Église par son style inimitable. L’écriture est fortement inspirée par le romantisme qui a cours au 19e siècle par le biais d’envolées lyriques divines. De plus, ses écrits sont imprégnés d’un élan nationaliste où les idéaux des Patriotes figurent en trame de fond. Il n’hésite d’ailleurs pas à critiquer et à dénoncer les agissements de la compagnie Robin qui maintient, selon lui, les Gaspésiens dans un état d’esclavage. « Les habitants dépendent complètement de la maison Robin. M. Charles Robin [Robin est décédé en 1824], qui jouissait ici d’un pouvoir absolu, exposa aux pêcheurs qu’il leur serait plus avantageux de n’avoir chacun qu’un lopin de dix arpents, parce que la culture en grand les détournerait de la pêche. Ils se laissèrent persuader, et maintenant ils regrettent leur folie », écrit Ferland.

En ce 19e siècle, le clergé côtoie la politique de près, de sorte que Ferland revêt régulièrement le costume du politicien. Fidèle à la vision de l’Église, il rêve que le Gaspésien se détourne de la mer pour s’enraciner sur le sol et vivre d’agriculture. Les vertus de la colonisation ne sont jamais très loin.

Certains traits culturels des Gaspésiens ressortent dans ce journal lorsque Ferland accoste dans la baie des Chaleurs. Débarquant à Paspébiac, il décrit les habitants comme suit : « Ils paraissent vifs et emportés, et cependant ils sont toujours prêts à rendre service; ils parlent avec véhémence et à tue-tête, de sorte qu’on les croirait fâchés, tandis qu’ils se disent des douceurs. Un Paspébiac crie-t-il à son voisin : “Taise-toi, ou je t’enfonce un croc dans le gau”; il lui fait un compliment qu’on adresse qu’aux plus intimes amis [SIC].»

Et d’ajouter : « Quoique voisins les Acadiens de Bonaventure et les Paspébiacs ont peu de rapports ensemble. De mémoire d’homme, l’on n’a point vu un garçon d’une de ces missions épouser une fille appartenant à l’autre. Des deux côtés, un certain orgueil de caste s’oppose à ces alliances [SIC] ».

Mêlant fiction historique et histoire, le récit de Ferland, facilement accessible par la toile mondiale, fascine toujours aujourd’hui puisqu’on y découvre la Gaspésie d’un autre temps.