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3 juillet 2025 12 h 11

François Moses : un homme et son voilier

GASPÉ | Pour un néophyte, discuter avec François Moses à propos de sa passion pour la voile, c’est comme entrer dans un nouvel univers foisonnant de découvertes et d’expressions aux sonorités exotiques..

L’interlocuteur n’a d’autre choix que de commencer à rêver à hisser la voile en tractant la drisse pour une manoeuvre d’empannage, même s’il n’est pas tout à fait certain si ce qu’il vient de penser (ou d’écrire) a du sens.

Qu’à cela ne tienne. Nouvellement retraité de la direction du Club Nautique Jacques-Cartier, François Moses se veut le plus inclusif possible et partage volontiers ses expériences, son savoir-faire et son amour de la voile avec qui veut bien apprendre.

À preuve, d’autres capitaines et lui ont lancé un projet de voile communautaire afin de populariser ce sport qui peut être intimidant pour ceux qui n’ont jamais eu la chance de baigner dans ce monde fascinant, quoiqu’encore un peu underground ici au Québec. Trêve de bavardage, c’est maintenant le temps de monter à bord!


François Moses, nouvellement retraité de la direction du Club Nautique Jacques-Cartier, sur son voilier, le Clariska. Photo : Jean-Philippe Thibault

De l’Abitibi à la Gaspésie

En ce mardi après-midi ensoleillé, la marina de Gaspé n’est pas encore tout à fait réveillée. La moitié des voiliers sont à quai. L’autre est encore en cale sèche dans l’attente d’une mise à l’eau.

Au loin, le son d’une meule se fait entendre, entre deux rires francs de plaisanciers qui appliquent les dernières retouches de peinture à leur embarcation. Le sifflement de la brise résonne dans la baie en cette journée quelque peu venteuse.

Dans l’aire d’hivernage, les mâts se comptent par dizaines et donnent l’impression d’une forêt clairsemée. La haute saison approche à grand pas. Sur le Clariska, François Moses s’affaire à ses tâches annuelles d’entretien, alternant entre des menus travaux d’électricité et de plomberie, routine obligatoire pour tout loup de mer. Ce n’est pas son moment préféré, mais le jeu en vaut amplement la chandelle.

Né à l’autre bout du Québec, en Abitibi – patrie qui abrite près de 20 000 lacs mais qui ne connaît pas l’eau salée – François Moses déménage rapidement avec sa famille à Valleyfield, vers la fin des années 1960. Son affection pour les bateaux remonte à sa tendre enfance. « J’ai toujours aimé l’eau, les bateaux. Ado, je demandais à mon père de me mener avec le canot sur la baie à Valleyfield et je l’appelais en fin de journée pour qu’il revienne me chercher », se rappelle-t-il.

Professionnellement, il termine un premier cours collégial comme technicien en chimie et travaille pendant 15 ans pour la compagnie Noranda, qui possède à cet endroit une usine de transformation de zinc.

Il découvre la voile dans les années 1970 alors que les années 1990 lui font découvrir le quillard, un bateau à voile monocoque de petites dimensions qui possède une quille lestée assurant une plus grande stabilité. Il achètera son premier voilier habitable en 1996.

Plus tard, ayant perdu son poste en usine lors d’une restructuration, l’idée de se rapprocher de sa passion première l’emportera. À 40 ans, il retournera aux études à l’Institut maritime du Québec. « À l’époque, quand j’ai commencé à travailler, il y avait beaucoup de demandes, mais peu de places dans les écoles dans le domaine maritime. Comme je n’étais pas dans les meilleurs au secondaire, j’ai été déclassé. Mais en 2004, quand j’y suis retourné, la dynamique avait changé. »

Il complètera sa formation en quatre ans pour devenir officier de navigation, montant en grade jusqu’au statut de capitaine.

Il travaille notamment pour la marine marchande et la Garde côtière canadienne. En 2019, alors qu’il travaillait comme superviseur au port de Valleyfield, il voit passer une annonce pour un poste à la marina de Gaspé et décide de faire le grand saut.

Le marin n’est pas étranger à la région, bien au contraire, puisque son père Lomer Moses est natif de New Richmond et est parti coloniser et défricher l’Abitibi avec sa propre famille lorsqu’il était jeune. Sa nouvelle vie lui sied donc comme un charme. « Je suis venu à Gaspé pour vivre à fond ma passion. J’aime les grands espaces. On a les montagnes, la forêt, des fois on a la neige, parce que j’aime aussi beaucoup l’hiver. C’est un endroit idyllique. »


Le Tabar, qui appartient à Voile communautaire Gaspé, sert à démocratiser le monde de la voile. Photo : Jean-Philippe Thibault

De la voile communautaire

François Moses achètera le Clariska la même année, en 2019. Le bateau de 31 pieds de longueur est son troisième quillard. S’il y passe présentement beaucoup de temps, d’autres projets occuperont sa saison estivale.

Lui et d’autres marins veulent démocratiser la voile et ont mis sur pied le projet Voile communautaire Gaspé. Un organisme sans but lucratif a été créé et officiellement enregistré l’an dernier. Le but est d’offrir à tous, peu importe leurs origines, la chance de participer à des sorties en voilier à prix réduit.

« Tu n’as pas de bateau? Tu n’as jamais fait de voile? Tu serais intéressé à en faire? Si oui, ça s’adresse à toi. C’est vraiment pour démocratiser l’accès. Je ne travaille plus à la marina, mais je travaille au développement et au rayonnement du nautisme, surtout à voile », résume-t-il avec son rire contagieux.

Une famille de plaisanciers qui avancent en âge leur ont généreusement légué leur voilier d’un peu moins de 26 pieds, le Tabar.

À la limite, les touristes pourraient se joindre à la fête. « Ça pourrait être possible si ça concorde avec une sortie organisée. C’est quelque chose que je veux développer avec l’école de voile Le Cormoran; faire des tours de quatre heures avec des touristes. Il y a beaucoup de gens qui s’informent à l’information touristique [NDLR : qui se situe dans la gare intermodale à un jet de pierre]. »

Il y a encore quelques enjeux réglementaires à fignoler, mais l’idée a été lancée. « Ça serait comme une introduction avec l’apprentissage de quelques éléments de base comme un noeud en 8, la différence entre bâbord et tribord, la poupe et la proue. Mais surtout avec ce feeling d’aller sur l’eau. En quatre heures, on peut se rendre jusqu’à Penouille en parlant de l’histoire de la baie de Gaspé », explique celui qui est dans le nautisme depuis plus de 40 ans.

François Moses projette aussi de retaper la yole de Bantry (un petit bateau voile-aviron) qui appartient à la marina et qui a besoin de beaucoup d’amour. Elle avait été construite au début des années 2000 afin de venir en aide à des jeunes avec des difficultés. Le projet avait été initié dans le passé par Gaston Morin.

« C’était pour essayer de raccrocher quelques jeunes qui avaient moins de chance d’avoir des parents aimants et encadrants. On veut remettre ça à l’eau au courant de l’été. J’aimerais ça faire des sorties cette année. »

Bénévole engagé

François Moses a navigué sur le fleuve St‐Laurent et dans le Golfe, mais aussi sur l’océan Atlantique et dans l’Arctique canadien. Sa passion le nourrit. Assez pour être bénévole lors d’événements mythiques comme la Transat Québec Saint-Malo ou encore pour le Vendée Globe, qui est encore jusqu’à maintenant la plus grande course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance.

Depuis sa création en 1989, sur les 10 courses de ce que le grand public nomme aujourd’hui l’Everest des mers, seulement 100 skippers différents ont réussi à terminer au moins une fois l’aventure de 45 000 kilomètres (24 300 milles marins).

« C’est incroyable ce que ces hommes et ces femmes accomplissent », résume avec enthousiasme celui qui suit la compétition assidument depuis 1996. Lors de la dernière épreuve, il a pu prêter main-forte pour différentes tâches journalières pendant une douzaine d’heures par jour.

« J’aime être dans cet environnement-là. Avec le départ de la course, il y a une effervescence. J’ai pu échanger avec quelques skippers. Moi, ça me nourrit beaucoup, ça me passionne. Tu n’es pas seulement un visiteur, tu en fais partie. Je veux le vivre. Je veux être là. »

Dynamisme

Gaspé a une riche expérience dans le monde des pêches, mais aussi dans le domaine de la construction navale. Un dynamisme règne aussi dans le monde du nautisme et de la voile.

Mike Birch, qui est entré dans l’histoire grâce à sa victoire lors de la Route du Rhum en 1978 et aujourd’hui décédé, a longtemps résidé à Gaspé. Augustin « Tintin » Cotton, né à Murdochville, a navigué sur l’Atlantique dès ses 21 ans et a construit de ses mains un trimaran de compétition de 50 pieds, avec lequel il a réalisé son rêve en 2000 de participer à la Transat Québec Saint-Malo. « Il n’y a pas beaucoup de marins qui peuvent se targuer de ça », résume avec justesse François Moses.

Récemment, Nicolas Cyr et sa famille, établis à Gaspé, sont revenus au bercail après un périple de 10 mois au cours duquel ils ont vécu sur un voilier dans les eaux des Antilles françaises.

Dans les derniers jours, François Tardif (le père de l’exfootballeur Laurent Duvernay-Tardif) a quitté Gaspé avec l’embarcation de 42 pieds qu’il a lui-même construite pour traverser le passage du Nord-Ouest, dans l’Arctique canadien.

D’autres participent à la Clipper Round the World Yacht Race, certains sont skippers pour la Antigua Sailing Week ou sont architectes navals. La liste n’est pas exhaustive, mais l’échantillon montre bien l’expertise présente. « C’est très dynamique. Il se passe plein de choses que les gens ne connaissent pas nécessairement », note le nouveau retraité.

Généreux de son temps, François Moses pourrait raconter des anecdotes de ce genre pendant une journée complète, mais il doit également terminer les travaux sur son voilier s’il veut en profiter le plus tôt possible. Chose certaine, il aura mis sa brique dans l’édifice pour faire connaître sa passion, de laquelle il parle avec entrain.

« D’avoir seulement l’horizon devant soi, je trouve que c’est un beau feeling. Tu peux aller où tu veux. Il y a cette sensation de liberté et les moments magiques. Un moment donné, on prenait un voilier de nuit de Rimouski pour l’amener à Chandler. Au large de la pointe ici à Gaspé et jusqu’au rocher Percé, il y avait de la bioluminescence dans l’eau. Tu vois ça et c’est juste magique. Tu croises des baleines, des phoques. Tout ce qui amène les touristes du monde, on le vit presque au quotidien. C’est idyllique. C’est vraiment un paradis. »