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14 septembre 2022 14 h 05

JACQUES ROY: Un Gaspésien au service de Sa Majesté

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Récemment, je recevais à mon bureau un ancien ambassadeur du Canada en France. C’est un fait qui se relate bien dans une conversation! Depuis les dernières années, à chaque été, Jacques Roy ne manque jamais son déplacement annuel dans sa Gaspésie natale. Une dimension historique anime ses visites et c’est toujours un immense bonheur de le rencontrer, de par mes fonctions à la Société d’histoire de la Haute-Gaspésie mais également à titre personnel. J’ajouterai au passage que ses frères et d’autres membres de la famille sont devenus des amis. Ce qui nous relie : l’Édifice L.-O.-Roy à Sainte-Anne-des-Monts. Il fut pour eux une maison et un commerce; il est pour nous un lieu d’histoire et une librairie.

Il y a trois ans, Jacques Roy a publié Péripéties de diplomatie : de la Gaspésie à Paris, un parcours diplomatique relaté par une écriture nette et souvent teintée d’une touche d’humour. La lecture de ce livre est accessible et très instructive. Que l’on aime l’histoire régionale ou les tractations diplomatiques internationales, beaucoup de gens y trouveront leur compte.

Celui dont la carrière a culminé à Paris a obtenu des postes clés dans le corps diplomatique canadien à partir de 1962. Après ses études de droit à Québec ainsi qu’à la London School of Economics, il fut rapidement envoyé derrière le « Rideau de fer », à Prague plus précisément. Endroit « où il [fallait] se méfier des belles filles », lance-t-il en souriant. Lire ses souvenirs de cette époque – de ce contexte géopolitique de Guerre froide – c’est se retrouver réellement dans un film d’espionnage à succès, mais c’est également découvrir les dessous d’un monde qui semble revenir à la surface par l’actuelle guerre en Ukraine : l’Est contre l’Ouest.

Il naît en 1934. Pendant les fêtes du quatrième centenaire de l’arrivée de Jacques Cartier, il accompagne ses parents… dans le ventre de sa mère. Il n’en fallait pas plus pour y trouver son prénom! Un hommage à un navigateur de Saint-Malo. Cet été là, Gaspé aura reçu les plus grands d’ici et de l’international. Il est amusant de constater que son parcours d’homme du monde a débuté avant sa naissance…

Sainte-Anne-des-Monts est tiraillée depuis toujours entre la péninsule et le Bas-du-Fleuve, pour l’instruction des jeunes gens notamment. Jacques Roy nous rappelle, par exemple, que son oncle Charles-Eugène (le futur monseigneur Roy, curé de Carleton) exerce une pression familiale pour que ses neveux fréquentent le Petit Séminaire de Gaspé. Essentiellement pour une raison patriotique. La famille Roy devait montrer l’exemple. À cette époque, Charles-Eugène Roy dirige le « Séminaire du Bout-du-Monde ». Monseigneur Ross lui a confié ce mandat et son zèle est à toute épreuve. Son patriotisme gaspésien est si fort que son pseudonyme sera d’ailleurs, pour quelques-uns de ses livres, Péninsulaire. Mais, bien qu’ayant complété quelques années du cursus à Gaspé, son neveu Jacques fera l’essentiel de ses études classiques au Petit-Séminaire de Rimouski, sans doute au grand dam de son oncle influent…

Comme beaucoup de gens de l’Est-du-Québec, Jacques Roy étudie par la suite à l’Université Laval. En Faculté de droit, il se lie d’amitié avec le « P’tit gars de Shawinigan ». Cette relation lui sera bénéfique pour la dernière partie de sa carrière. En effet, lorsque Jean Chrétien prend le pouvoir en 1993, il confiera d’importantes missions à Jacques Roy.

À la suite de quelques affectations intéressantes, parfois exotiques, sa carrière prend un tournant insoupçonné. Alors ambassadeur du Canada auprès de l’Union européenne, il se voit attribuer par le premier ministre Chrétien le rôle de négociateur afin de dénouer un conflit commercial, voire une guerre diplomatique, entre l’Espagne et le Canada. C’est la « Guerre du flétan noir ». Il contribue à désamorcer les tensions et joue un rôle central dans les négociations qui ont pour but de rendre équitables les quotas de pêches pour les pays se rendant dans l’Atlantique Nord, près des Grands Bancs de Terre-Neuve.

C’est toutefois par le plus grand des hasards qu’un Gaspésien (donc issu d’une région de pêcheurs) va être un des principaux acteurs pour mettre fin à ce conflit plutôt inédit à notre époque entre deux grands pays occidentaux. Aujourd’hui, on a quelque peu oublié cette période de tensions qui s’échelonne de 1994 à 1996. M. Roy, dans son ouvrage, décortique cette crise du poisson en une cinquantaine de pages. Ces explications éclaireront quiconque désire comprendre cet épisode.

Ce haut fait d’armes de Jacques Roy lui ouvre donc la porte d’une des trois plus prestigieuses ambassades du Canada dans le monde : Paris. Nommé à cette fonction qui est la plus symbolique pour un Québécois de souche française, M. Roy confie avoir pensé avec émotion à ses parents décédés. Sa charge de travail s’annonçait imposante et elle le sera.

Il y a deux ans, M. Roy m’avoua que le président Jacques Chirac fut la personnalité la plus impressionnante qu’il ait rencontrée dans sa carrière. Encore plus intéressant lorsqu’on considère que M. Chirac était ouvertement partisan de l’indépendance du Québec. Jacques Roy, lui, était le représentant officiel de la Couronne en territoire français. Voilà tout l’art de la diplomatie.


Ambassadeur du Canada auprès de l’Union européenne, Jacques Roy se voit attribuer par le premier ministre de l’époque, Jean Chrétien, le rôle de négociateur afin de dénouer un conflit commercial, voire une guerre diplomatique, entre l’Espagne et le Canada. Photo : Christian Desjardins