JULES BÉLANGER, LA GASPÉSIE DANS LES VEINES
GASPÉ - Jules Bélanger n’a plus besoin de présentation. Si vous ne le connaissez pas personnellement, vous le connaissez de réputation. Par ses nombreuses implications. Par son engagement. Pour sa passion de la Gaspésie.
Provenant d’une famille modeste, Jules Bélanger, quatrième enfant d’une famille de dix-huit, est né à Nouvelle en 1929. « J’étais un enfant curieux, même fatigant pour mes parents. Je rêvais de faire le cours classique qui n’était pas évident dans le temps. Un beau jour, mon père a deviné mon rêve et il m’a offert de commencer mon cours classique à Gaspé. » C’était en 1944. « C’était pour moi un rêve quasiment inaccessible. »
M. Bélanger entre ensuite dans le clergé. Il effectue des études en théologie à Halifax, puis devient professeur au séminaire de Gaspé, où il enseigne le latin et le français. Entre-temps, en 1952, il complète une licence en lettres à l’Université Laval. À son retour à Gaspé, il continue à enseigner en s’impliquant dans le socioculturel.
Pourquoi s’impliquer?
Énumérer toutes les implications de Jules Bélanger serait sans doute interminable comme exercice. Il consacrera temps et énergie notamment à la création du collège de Gaspé, du musée régional, d’une radio communautaire et d’un journal. « Je m’impliquais dans bien des causes parce que je trouvais que la Gaspésie en avait besoin et que j’étais un gars chanceux. J’avais réussi à faire des études malgré les conditions économiques plutôt moyennes au sein de ma famille. Mon père était forgeron; il faisait vivre sa famille avec le marteau sur l’enclume. Il n’avait pas beaucoup de scolarité, mais il y croyait beaucoup. Aussi, avec l’attitude des professeurs que nous avions à l’époque – c’étaient les Clercs de Saint-Viateur – nous recevions de l’enseignement à peu près gratuitement. C’était normal qu’on redonne. Je voulais faire quelque chose pour la Gaspésie. C’est ce qui m’a poussé à m’impliquer. »
Claude Allard, ami et modèle
Parlant d’implication, son modèle n’est nul autre que l’abbé Claude Allard, décédé récemment. « La contribution de Claude au développement de la vie sociale et culturelle en Gaspésie est tout à fait exceptionnelle. Les nombreux étudiants qu’il a éclairés et les organismes culturels auxquels il a participé à la fondation et à la croissance, continuent de porter le flambeau de la culture que Claude Allard a si généreusement alimenté », souligne M. Bélanger quelques semaines après la mort de son ami.
Avènement du réseau collégial
L’année 1968 marque l’avènement des collèges dans le paysage québécois. Quant à Gaspé, c’est en septembre 1969 que la ville voit le cégep ouvrir ses portes, mettant ainsi fin à l’existence du séminaire. « Je souhaitais continuer d’enseigner et on nous laissait entendre qu’il faudrait, dans les cégeps naissants, se perfectionner et avoir un doctorat.»
Qu’à cela ne tienne, en juin 1969, M. Bélanger retrouve Gaspé avec un doctorat en littérature française de l’université de Rennes en poche.
« À l’été 1969, j’étais toujours l’employé du Séminaire, qui était en train de passer sous la gouverne des cégeps. Avec les informations qu’on nous donnait, je rêvais d’un avenir extraordinaire. » On parlait alors d’un enseignement collégial accessible, avec des moyens financiers, des professeurs compétents, des laboratoires, une bibliothèque adaptée, etc.
« Je suis content que tout se soit réalisé, mais j’ai été déçu. On a été obligés de mettre de l’eau dans notre vin dans nos enseignements », soutient M. Bélanger. Certains étudiants arrivaient au cégep sans même connaître l’accord des adjectifs. « On a trop sacrifié à la facilité. C’est dommage. Il y a eu diminution de l’exigence académique. J’ai été déçu de mes attentes, sans doute un peu rêveuses… »
Jules Bélanger se souvient que la direction des collèges tenait à avoir beaucoup d’inscriptions pour obtenir un financement à la hausse. Des élèves qui n’avaient pas encore obtenu leur diplôme du secondaire se voyaient acceptés sous certaines conditions. « Moi, j’étais de la vielle école. »
M. Bélanger acceptait mal ce nivellement par le bas, qui tend à perdurer aujourd’hui avec les sorties récentes de l’ex-ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, qui tenait à distribuer à tout vent des diplômes d’études collégiales! M. Bélanger réagit : « Le nivellement par le bas a fait beaucoup de dégâts. On donne encore aujourd’hui trop de diplômes non mérités. Quant au ministre Bolduc, il a été une tristesse dans notre histoire; il ne contrôlait même pas le français ! »
UN AUTRE COMBAT À MENER POINTE À L’HORIZON…
Malgré la valse des coupes qui charcutent actuellement la Gaspésie, M. Bélanger demeure optimiste : « la Gaspésie dans le Québec a fait beaucoup de progrès. On vit plus convenablement qu’il y a un demi-siècle. Il y a de bons commerces, de jeunes entrepreneurs, des radios communautaires, des journaux locaux… Mais depuis un an, il y a des coupes inquiétantes ». M. Bélanger voit ce que plusieurs voient. La Gaspésie écope pour le déficit zéro ! « On sortait à peine la tête de l’eau. L’élan semble freiné. »
Que faire devant cette crainte de perdre nos acquis, de voir s’effriter ce que nous avons construit au cours des 40 dernières années ? « Ça me préoccupe. Les gens perdent leurs emplois, c’est grave. Plus d’emplois, ça veut dire l’exode. L’avenir est plus inquiétant pour les jeunes. C’est ma Gaspésie qui souffre, et ça m’inquiète. Mais je ne peux pas me résigner à voir la Gaspésie stagner comme elle le fait présentement. Le gouvernement est sans doute de bonne foi, mais il devra faire des constats. Le Québec ne peut pas progresser si des régions comme la nôtre crèvent! Un corps humain ne peut pas fonctionner avec deux ou trois organes malades. Je ne peux pas concéder l’extinction de notre région.
Sera-t-il plus difficile à mener que celui de 1991, au temps du fameux Ralliement gaspésien et madelinot, qui avait attiré 7 500 manifestants à Chandler ? « Je pense que oui. La question fondamentale, c’est la dette du Québec. C’est le devoir du gouvernement de s’y attaquer, mais il ne s’y prend pas de la bonne façon. Les régions devront lutter, car le gouvernement actuel semble ferme. Mon instinct me dit qu’il y aura un virage après et que la Gaspésie doit continuer à lutter pour avoir sa place au soleil. »