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30 janvier 2015 15 h 20

La grogne monte ici et ailleurs contre le CPQ qui veut fermer les régions dévitalisées

NEW RICHMOND — La recommandation du Conseil du patronat du Québec (CPQ) recommande ni plus ni moins au gouvernement de financer la fermeture des municipalités dévitalisées du Québec. GRAFFICI.CA a recueilli ce matin les propos de l’ex-ministre Nathalie Normandeau qui se dit « renversée », du président de la Conférence régionale des élus de la région, Daniel Côté qui est « insulté » et de deux historiens de la région qui qualifient cette position de « rétrograde ». Propos recueillis par Gilles Gagné et Karyne Boudreau

Nathalie Normandeau renversée

L’ex-ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau se dit renversée par ce document du Conseil du patronat du Québec statuant que le gouvernement du Québec devrait favoriser le déménagement de « ménages » vivant dans des municipalités dévitalisées, et qu’il faut « voir comme normales les migrations interrégionales ».
 
« C’est n’importe quoi. On s’attendrait à plus de sérieux, à plus de rigueur d’une organisation sensée connaître les réalités de tout le Québec, pas seulement celles de Montréal et de Québec. Les entreprises des régions contribuent aussi à l’enrichissement du Québec. Je ne comprends pas ce point de vue », note Mme Normandeau, sur le bord de la colère.
 
En 2005 et 2006, son ministère portait aussi le nom de « développement régional et occupation du territoire », et elle a piloté à ce moment les travaux menant à la définition de « municipalités dévitalisées » auxquelles fait allusion le Conseil du patronat dans son document, travaux de 2008 cités dans le texte de GRAFFICI.CA Le Conseil du patronat fait trembler les régions mis en ligne sur le web en début d’après-midi.    

« C’est une affirmation facile, qui n’a rien à voir avec la réalité, poursuit Mme Normandeau. Il n’y a pas un début et une fin en développement. L’économie, c’est cyclique. Le Conseil du patronat devrait savoir ça. Il y a des régions qu’il faut soutenir. Le débat sur l’avenir des régions transcende l’économie. Il s’agit aussi d’occupation du territoire. C’est autant économique que social. Si on veut s’affirmer comme nation, ça veut dire occuper le territoire. C’est plus politique qu’économique. Dans un contexte où le poids démographique du Québec diminue dans la fédération canadienne, les propos du Conseil du patronat pourraient avoir de graves effets, considérant la diminution des paiements de péréquation. Qui dit que les gens appelés à déménager vont rester au Québec? », lance Mme Normandeau.
 
« On ne demande pas au gouvernement de créer des jobs dans les régions. On veut les outils pour en créer », dit-elle.
 

Daniel Côté insulté : Il faut dénoncer!

Pour le président de la CRÉGÎM Daniel Côté, il faut absolument dénoncer ces propos et faire de l’éducation populaire auprès des urbains. « Je pense qu’il y a une certaine unanimité dans les régions. Du mépris comme ça, on ne peut pas endurer ça! », lance M. Côté

« En lisant ça, j’ai senti beaucoup de mépris, d’arrogance et de méconnaissance des régions. Je me suis senti sincèrement insulté. C’est une façon de voir totalement rétrograde. Ça ne marche pas! », poursuit le maire de Gaspé qui a une partie de son territoire « dévitalisé », même si sa ville ne fait pas partie de la liste.

Du haut de son bureau, dans sa tour à Montréal, M. Dorval (Yves-Thomas, président du Conseil du patronat du Québec) devrait se rendre compte que la lumière qui éclaire son bureau et que le bois avec lequel est construit sa maison vient de régions, en grande partie dévitalisées. C’est la même chose avec ce qui se trouve dans son garde manger. Arrête de nous regarder de haut, revient sur terre et respecte-nous! », lance Daniel Côté à l’attention du président du CPQ.

« Rappelons-nous tout le temps que si on laisse le territoire vacant, il ne restera pas disponible longtemps. Les Chinois sont forts là-dessus, s’accaparer des territoires qu’on n’occupe pas. C’est important d’occuper le territoire! Ça peut être un coût à court terme, mais à long terme c’est sûr que c’est payant », opine encore le président de la CRÉGÎM.

L’histoire serait-elle en train de se répéter?

Selon Pascal Alain, historien, la réponse est oui. L’histoire tend à se répéter. « On tente depuis les années 1960 d’urbaniser la Gaspésie. On ne tient pas compte de ses spécificités régionales. C’est ce que le BAEQ a tenté de faire. Devant son échec, le BAEQ s’est donné le mandat de déplacer les populations vers les villes et les grands centres.

Aujourd’hui, la Gaspésie, dépouillée de ses ressources naturelles et amputée de ses structures de développement, se fait dire un peu la même chose par le Conseil du patronat : votre région est dévitalisée. Fermons ces régions et déménagez en villes! On coupe les services essentiels à la Gaspésie. On veut nous faire croire que nous sommes un poids pour la société. On veut fermer notre région “subtilement”. On veut nous avoir à l’usure. L’histoire tend à se répéter… », commente M. Alain qui se prépare justement à donner une conférence mercredi prochain à Carleton-sur-Mer, proposant un portrait d’ensemble du développement régional en Gaspésie.

« Une bande d’ignorants, enlisés dans de vieux principes d’autrefois »

Historien, enseignant et auteur, Jean-Marie Thibeault, qui a lancé récemment le livre « Pour ne pas en finir avec l’arrière-pays gaspésien », tombe aussi à bras raccourcis sur le Conseil du patronat.

« C’est une bande d’ignorants, enlisés dans de vieux principes d’autrefois, selon lesquels faire grossir les villes donne automatiquement de l’emploi. On l’a déjà essayé, et c’est un fiasco total. Et aujourd’hui, on nous les ramène », aborde-t-il.
 
Il s’en prend aux explications données par Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat, à l’effet qu’il faut déménager les ménages quand on a « tout essayé » pour stimuler l’économie des zones dévitalisées.
 
« Comment calculer qu’on a tout fait? Si on prend ma localité, de Saint-Georges-de-Malbay (un arrondissement de Percé), comment dire, comment être certain, que dans deux ans, il ne se passera pas un développement structurant? (…) Il compare un village et une usine, pour déterminer les conditions de fermeture. C’est une façon de penser qui résume tout en termes économiques. Quand on parle de localités, on ne vise pas la rentabilité des actionnaires, on vise le bien-être des gens », rappelle Jean-Marie Thibeault.
 
Son récent ouvrage met en lumière, documents à l’appui, que l’abandon graduel d’une bonne partie du Québec rural s’est amorcé dans les années 1940, et non dans les années 1960.

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