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28 mars 2025 10 h 02

La guerre commerciale et la crise climatique : on fait comment ?

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MONT-LOUIS | Le 4 mars 2025 aurait pu être une journée parmi tant d’autres. Invités à un souper chez des amis, nous passons à la SAQ pour choisir une bouteille de vin. La scène était épique : les employés vidaient les étagères du vin américain. Aujourd’hui n’était pas une journée comme les autres. Au retour, nous écoutons Trump faire son discours au Congrès présentant ses mesures étourdissantes et consternantes. Je me rends compte combien il est difficile de réconcilier tout ce que nous savons du libre-échange et des règles du droit, avec ce à quoi Trump nous convie.

Cette guerre aura des conséquences importantes sur l’économie canadienne. Elle est peut-être temporaire pour quelques mois ou années, mais ce sera pénible néanmoins. Nos ministres sont devenus des réguliers sur CNN et ils le nomment clairement : l’objectif est de mettre le Canada en faillite pour forcer l’annexion. Les Canadiens sont donc conviés à se réinventer, plus que pendant la pandémie ! Devant une obligation de militarisation, le sacrifice sera réel : un transfert des dépenses normales de l’État vers des dépenses liées à la guerre tarifaire, voire la sécurité nationale.

L’affaire de tous : se serrer les coudes et la ceinture

Nos entreprises crient à l’aide, avec raison, mais il serait prudent d’éviter de saupoudrer trop vite pour protéger nos finances publiques. S’il y a une augmentation des taxes et des impôts pour financer la guerre commerciale, notamment pour activer des projets d’infrastructure, elles doivent servir au plus grand nombre. Cette guerre commerciale est donc l’affaire de tous : les consommateurs devront acheter canadien et local pour aider les entreprises à survivre à cette guerre et ils devront aussi réduire leurs dépenses et entrer en mode épargne. Les entreprises devront probablement s’endetter temporairement pour optimiser les étapes de la chaîne d’approvisionnement en trouvant des alternatives canadiennes et européennes. Ce sera long et pénible. Le plus triste serait de voir nos entreprises déménager aux États-Unis. Nos gouvernements trouveront des solutions, mais gare aux subventions tous azimuts, car nous aurons besoin d’argent pour des choses peut-être plus graves comme la sécurité
nationale. Bref, il faudra se serrer les coudes et la ceinture.

Une restructuration payante pour l’économie et le climat

Si nous voulons que ce sacrifice soit payant à long terme, mieux vaut le faire dans une perspective utile non seulement à la guerre tarifaire, mais aussi à la crise climatique, qui ne prendra pas de pause.

L’économie à laquelle nous convie Trump est une économie nationaliste repliée sur elle-même contre tous les principes du libre-échange encore enseignés dans les cégeps en ce moment. Mais, il y a certains enjeux avec le libre-échange, notamment les GES. Il y a étonnamment quelques points communs entre l’économie nationaliste et l’économie écologique, vraiment pas au niveau des objectifs ni même des moyens, mais dans certains résultats. Cependant, le nationalisme a des objectifs bien contraires à ceux de la transition socioécologique, surtout dans l’inclusion des diversités humaines et naturelles.


Ce diagramme proposé par l’économiste Kate Raworth illustre le plafond environnemental et le plancher social de la transition socioécologique. La transition est réussie lorsqu’on se situe à l’intérieur du beigne. Photo : Un espace sûr et juste pour l’humanité. Oxfam. 32 pages

De la transition énergétique au nationalisme frontal

Historiquement, le modèle libre-échangiste visait à favoriser le commerce entre les pays et éviter les guerres souvent causées par la distribution inégale des ressources sur la planète. C’est plutôt la gauche qui questionnait certains aspects de ce modèle, notamment parce que les entreprises peuvent librement profiter des lois environnementales et sociales moins restrictives ailleurs ; l’exportation à outrance peut aussi causer la disparition des économies de proximité. Le gouvernement Trump et certains pays riches se sont mis à questionner le libre-échange, notamment lorsqu’ils ont remarqué l’ampleur du contrôle de la Chine sur la chaîne d’approvisionnement minérale et technologique des batteries, des véhicules électriques et même du secteur militaire.

Cette situation a donné du vent dans les voiles du mouvement de transition énergétique, qui s’est trouvé, en partie du moins, une vocation de sécurité nationale. La transition énergétique désigne « une modification structurelle profonde des modes de production, de distribution et de consommation de l’énergie. Elle vise à […] décarboner l’économie. C’est un volet essentiel de la transition écologique globale »(1).

De la transition énergétique à la transition socioécologique

Plus largement, la transition écologique désigne « une transformation sociétale qui mène d’un modèle de production et de consommation non soutenable, priorisant la croissance économique vers un modèle qui respecte les limites de la planète »(2). On dit aussi transition socioécologique, qui est plus inclusive des questions de justice sociale associée à la transition. Les Gaspésiens connaissent bien le cas du caribou qui illustre comment une adaptation écologique ratée s’est transformée en une adaptation sociale pénible : l’inertie provinciale a mis la Haute-Gaspésie dans une situation d’injustice. Pour protéger le caribou et la communauté, désormais, il faut investir pour accompagner la transformation qui aurait pu se passer plus doucement si le Québec avait rempli ses obligations de protection d’une espèce en péril bien avant.

La transition socioécologique est probablement une réponse plus compatible à la guerre tarifaire que la continuité économique proposée par le courant moins transformateur de la transition énergétique, surtout dans l’accroissement de l’artificialisation du territoire pour des projets d’exportation, alors qu’une économie intérieure de résilience doit être développée face aux tarifs.


La frontière américain et canadienne : nos sociétés vivent côte à côte, imbriquées l’une avec l’autre depuis toujours. Photo : REUTERS/Brian Snyder

L’économie écologique comme réponse à la guerre tarifaire

L’économie écologique est ce qui accompagne la transition. C’est une économie composée d’économie de proximité, de circularité, de valeur ajoutée, de sobriété, de protection et de mise en commun dans le but d’assurer un respect des limites planétaires(3). En effet, certaines économies locales ont été affectées par le libre-échange, réduisant la résilience économique, voire même l’occupation, de certains villages, villes, voire régions. Toutefois, à choisir, il demeure plus souhaitable de créer des conditions favorisant l’économie locale sans empêcher le libre-échange ; par exemple, une économie locale pour la majorité des besoins (alimentaire, habitation, etc.) et une économie internationale pour les produits spécialisés impossibles à faire dans chaque village (aéronautiques, éoliens, pharmaceutiques, etc.).

Il y a lieu aussi de miser sur la valeur ajoutée : les deuxième et troisième transformations du bois par exemple. Les ministères ont beaucoup subventionné ces efforts d’augmentation de la valeur ajoutée dans l’industrie forestière avec des résultats mitigés. Peut-être que les tarifs deviendront l’incitatif d’innovation ? En augmentant la valeur des produits du bois, on peut potentiellement réduire le volume requis pour faire du profit et mieux protéger certaines forêts essentielles.

La récession et l’économie solidaire, sobre et sociale

Dans l’économie nationaliste que nous propose Trump, le Canada se trouve isolé et très loin des autres marchés. Les coûts de ces transformations économiques seront énormes, étant donné que nos économies sont imbriquées depuis toujours. Cette guerre commerciale sera douloureuse pour nos finances et, espérons-le, les Américains en réaliseront tout le ridicule. Dans tous les cas, il faudra une posture solidaire ; accepter une dose de sacrifice dans cette période de guerre commerciale. Par exemple, si nous ne consommons que l’essentiel et canadien, donc une consommation sobre, nous pourrons passer à travers en évitant un trop fort endettement, surtout si les taxes doivent être augmentées ou les services publics réduits. Puis, au final, nous aurons appris, pour la crise climatique, comment bien vivre sans excès, une notion essentielle de la transition.

D’ailleurs, les Collectivités ZéN de la Gaspésie est une des initiatives nationales qui invite au dialogue et au passage à l’action. Malgré l’urgence de la guerre commerciale, il sera important de rester à l’écoute et de comprendre la transition socioécologique comme moyen de faire face au nationalisme américain.

La création d’emplois, les limites planétaires et les pays riches de demain

L’économie de Trump n’a aucun intérêt pour les limites planétaires, la biodiversité et le climat. Même qu’à voir le niveau d’inquiétude exprimée par les employés des parcs nationaux américains, il est possible que Trump autorise l’exploitation minière et pétrolière dans des lieux sensibles et protégés par la loi à perpétuité.

Nous sommes plusieurs à être convaincus que dans les années à venir, la richesse d’un pays, d’une région, d’un village sera liée à sa réussite d’avoir su préserver l’équilibre entre le développement, la protection et l’occupation du territoire. Les communautés qui créeront d’autres emplois dans la recherche de cet équilibre seront les plus riches, car elles auront créé les conditions d’attachement territorial essentielles à une vie bonne et à une résistance aux différents risques. Le Trumpland, lui, sera possiblement dévasté par le drill, baby, drill.

Bref, vous avez toujours rêvé d’acheter moins et local pour augmenter votre épargne ? Voilà le moment parfait : un effort patriotique pour prévenir l’annexion ! Fini ce vin américain et prenez un panier en abonnement à votre fermier local : il aura besoin de vous. Finalement, en cette année électorale et dans ce nouvel univers dramatique, il faudra des élus solides, car la guerre commerciale se fera en tandem avec la crise climatique.

1. Outils sur la transition (consulté le 6 mars 2025). Transition en commun, Université de Montréal.
2. Ibid.
3. Zage-Mendes A., Bissonnette J.-F., Dupras J. (2022). Une économie écologique pour le Québec : Comment opérationnaliser une nécessaire transition, Presses de l’Université du Québec.