Pour une transition énergétique sensible au territoire
MONT-LOUIS | Depuis quelques semaines, la tension sur le territoire québécois est montée d’un cran. La transition énergétique nous fait passer d’une économie basée sur l’énergie fossile à une économie basée sur l’énergie dite verte. Les projets sont nombreux et déboulent sur le territoire québécois un après l’autre. Sans pétrole, le Québec puisait son énergie d’ailleurs, utilisant les territoires des autres. Maintenant, pour cette transition, les ressources sont ici, sur notre territoire.
Produire de l’énergie prend de l’espace
L’enjeu est que pour tirer profit des ressources éoliennes, solaires, minérales et hydrauliques nécessaires à la transition, il faut empiéter sur le sol. Ce qu’on pense prendre seulement au passage sans déranger – en hauteur ou dans le sous-sol – on le prend aussi horizontalement sur nos terres, sacrifiant parfois un peu ou beaucoup de terres agricoles, de possibilités forestières ou acéricoles, ou encore de projets de conservation ou d’écotourisme. Un certain chaos règne devant la déferlante, mettant en lumière une gestion territoriale peu agile et concertée. Devant la pression citoyenne, le milieu municipal doit jouer un rôle sans avoir de ressources. Mais sans volonté municipale, comment la province imposera un projet ?
Pour quitter l’énergie fossile, la transition énergétique demande de produire de l’énergie avec des parcs éoliens et solaires à court terme, ainsi que de nouveaux barrages à moyen et long termes. Photo : Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec
Esquiver notre cadre de protection environnementale
Northvolt a été le premier à débouler sur le Québec. Invitée à bras ouvert par le gouvernement québécois qui souhaite devenir « la batterie verte de l’Amérique », l’entreprise s’est retrouvée dans une controverse hautement médiatisée. Ce n’est pas tant son projet qui déplaît, mais la décision de contourner le cadre de protection environnementale par le gouvernement lui-même. Northvolt aura échappé aux lois justement conçues pour ce type de projet, effritant au passage la confiance des citoyens à l’endroit du gouvernement.
Le Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a toujours donné un sentiment de sécurité au public, les citoyens se disant que s’il y a des manquements ou des entorses au projet, l’organisme les identifiera au nom du bien commun. Que le gouvernement ait pris la décision d’esquiver le BAPE aura donc créé toute une commotion. C’est cette peur de perdre l’opportunité d’une usine de cellules de batteries qui a fait glisser la CAQ ainsi, un comportement qu’on observe typiquement dans les pays moins démocratiques
aux institutions environnementales faibles. Plutôt gênant.
L’usine de recyclage de Northvolt, en revanche, moins pressante, a débuté son processus d’évaluation environnementale le 8 mai 2024.
Les interventions des ministres invalidant le cadre environnemental
C’est maintenant au tour de TES Canada de débouler sur le territoire québécois, en Mauricie cette fois. Cette entreprise cherche à produire de l’hydrogène vert qui remplacera l’énergie fossile pour les véhicules lourds et pour les procédés industriels. On dit de l’hydrogène vert, car il est produit à partir d’énergie renouvelable. TES Canada propose un grand parc de plus de 140 éoliennes. Or, le sud de la Mauricie est une des régions à très faible potentiel éolien(1). Une région sans historique de parc éolien se retrouve donc devant un conflit émergent à mesure que l’entreprise signe des ententes de gré à gré, elle qui n’a toujours pas démontré la pertinence de son projet via l’évaluation environnementale se concluant par le BAPE.
Malgré son ampleur, ce projet régional n’a pas fait l’objet de discussion avec les deux MRC qui se trouvent incapables de jouer leur rôle territorial. Sur ce dossier, on aura rarement vu autant de ministres vouloir supporter un projet avec des propos relativement intimidants envers le milieu de la recherche qui remet en question des éléments du projet. Pour préserver un climat social décent, il serait souhaitable que le gouvernement joue un rôle d’arbitre avec plus de retenue, en attendant minimalement l’étude d’impact, un document scientifique, pour appuyer son opinion.
Plusieurs autres parcs éoliens seront proposés bientôt : la retenue des ministres pourrait apaiser le milieu et donner des chances aux promoteurs éoliens de mieux dialoguer avec celui-ci.
Le parc éolien pour l’usine d’hydrogène vert de TES Canada serait plus grand que celui du Nordais (sur la photo), en Gaspésie et au Bas-Saint-Laurent. Photo : Fournie par Axor
Les mines et la rhétorique de transition
Puis déboulera une succession de projets miniers dits de transition : du graphite en Outaouais, du lithium en Abitibi, des terres rares sur la Côte-Nord et du cuivre en Gaspésie. Ces projets font déjà face à cette même déception de démocratie territoriale. Comme discuté dans ma chronique La conciliation du territoire face au boom des claims miniers : le cas de la Gaspésie(2), (GRAFFICI, février 2024) le sous-sol a nécessairement besoin de la surface et on laisse le sous-sol en libre accès sans la même démocratie qu’en surface. Il est difficilement concevable qu’un prospecteur minier puisse réclamer une portion du sous-sol, sans discuter avec la MRC et les municipalités.
La rhétorique de transition est aussi parfois exagérée : les projets énergétiques sont promus comme essentiels pour réduire les GES alors qu’on réduit, en revanche, la capacité d’absorption des GES par la perte des forêts, des sols et de biodiversité. Plusieurs disent que c’est le prix à payer. Mais nous devons aux prochaines générations un minimum de sciences pour décider à leur place de la perte de territoires pour de nombreux projets énergétiques.
Des faiblesses institutionnelles mises à jour ?
Toute cette pression sur le territoire révèle t-elle certaines faiblesses institutionnelles ? Était-ce stratégique de faire une usine de cellules de batteries à cet endroit en Montérégie, là où les forêts sont rarissimes ? La forêt coupée par Northvolt est contaminée, certes, par un usage industriel antérieur, mais elle avait atteint une régénération intéressante. Est-ce stratégique de faire 140 éoliennes en Mauricie là où le gisement éolien est faible ? Devant les opportunités du privé, y a-t-il, de la part de l’administration publique, une analyse plus fine et dynamique des usages et des lieux plus porteurs ? Northvolt et TES Canada sont des projets relativement intéressants, mais déplaçables. Une analyse doit avoir lieu avant pour prévenir le conflit prévisible en répondant à une question simple : ce projet est-il au bon endroit en regard des usages stratégiques actuels et futurs ?
Ici en Gaspésie, la crise du caribou se retrouve aussi dans une situation où le gouvernement québécois a promis des terres aux spéculateurs miniers en plein dans le territoire des 25 derniers caribous des Appalaches. L’épique sentier du mont Vallières-de-Saint-Réal est couvert de titres d’exploration. Incroyable et pourtant vrai!
L’usine québécoise de Northvolt pourrait ressembler à celle déjà établie en Suède. Photo : Fournie par Northvolt
Puis les bénéfices de ces projets reviennent-ils aux collectivités ?
Il y a des redevances minières, mais qu’en est-il des redevances solaires et éoliennes ? À qui appartiennent le vent et les rayons de soleil ? Lorsque la MRC est la promotrice d’un parc éolien, bien évidemment, les bénéfices retournent au milieu municipal. Mais si elle ne l’est pas, comment bénéficier de projets qui font du profit sur des ressources qui traversent ou soufflent sur la municipalité ?
Même pour la redevance minière, elle n’est malheureusement pas redistribuée aux communautés devant accueillir un projet minier, notamment pour gérer la croissance rapide d’une ville, qui 15 ou 20 ans plus tard connaîtra un déclin qui le sera tout autant. Comme Murdochville. Ces ententes sont des pansements à l’absence de redistribution des redevances de la province vers les Premières Nations et les municipalités. Ces ententes ne sont pas encadrées et relativement aléatoires : certaines mines ne donnent aucune compensation locale, d’autres moins de 100 000 $/année, d’autres plus de 500 000 $/année.
Le documentaire Malartic(3) illustre bien l’histoire d’une municipalité trop favorable à un projet et qui n’aura pas négocié assez d’argent pour maintenir la vitalité de sa ville, même en pleine exploitation minière. Murdochville doit obtenir un sort nettement plus joyeux que Malartic.
Un développement régional sans interlocuteur ?
Est-ce la disparition des instances régionales, notamment la Conférence régionale des élus, qui a laissé un vide dans la saine conciliation du territoire ? Pourquoi promettre notre territoire à des entreprises privées sans avoir discuté au préalable avec les Premières Nations et les collectivités de la compatibilité de ces projets avec leurs activités ? Pourquoi est-ce si difficile pour les ministères de dialoguer avec les élus locaux avant de laisser un entrepreneur aller aussi loin ?
Le territoire ne peut pas être développé ni protégé sans un minimum de concertation avec le milieu régional. Le sentiment de fait accompli qu’inflige la province à ses municipalités commence à devenir irritant. Ou, a contrario, l’absence de décision, comme le flou dont fut victime la Gaspésie le 30 avril, qui se retrouve sans plan pour le rétablissement de la population du caribou montagnard des Appalaches.
Même les plus capitalistes d’entre nous – adeptes du libre marché – comprenons que ce manque de sensibilité face à ces projets de transition énergétique qui déboulent pourrait nous coûter cher en perte territoriale pour d’autres usages nettement plus stratégiques à long terme. Le « libre territoire » n’est pas souhaitable, même dans une économie capitaliste.
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1 Carte de gisement éolien du Québec par classe Batelle, Hélimax et AWS Truewind, 2005.
2 Chronique environnement de Julie Reid Forget, le journal GRAFFICI, février 2024.
3 Malartic, documentaire par Nicolas Pacuet, ONF, 2024