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27 mars 2024 14 h 58

Faire face au climat : une forêt et une Gaspésie résilientes

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SAINT-MAXIME-DU-MONT-LOUIS | Je n’avais jamais mis les pieds dans une forêt boréale millénaire dominée par l’épinette noire. Une forêt jamais coupée, jamais victime d’une épidémie, du moins depuis environ 5000 ans. Nous nous retrouvions dans la Baie d’Alexis, à 660 mètres, le secteur le plus haut du parc national des Monts-Valins, massif surplombant la ville de Saguenay. Nous étions à la limite sud de ce type de forêt. La hauteur des épinettes noires avait quelque chose d’intimidant. Durant ces nuits sans lune, ces grandes épinettes cachaient ici et là quelques étoiles de mon champ de vision. La forêt dense et blanchie par trois mètres de neige enveloppait ce petit chalet, nous donnant l’impression d’être des invités spéciaux de la famille boréale, dans ce qu’on appelait ici affectueusement la vallée des fantômes.

Le mythe des forêts primaires

La Gaspésie n’avait pas ce type de forêt. Il y a quelques lieux en Gaspésie où on peut être entouré de forêts primaires anciennes, celles donnant cette sensation de sacré. Sinon, comme c’est le cas en Mauricie, en Abitibi ou sur la Côte-Nord, la forêt gaspésienne est jeune, maintes fois coupée, pour répondre à la demande en bois d’une économie mondialisée et comme stratégie de création d’emploi d’un développement régional. Ces coupes, récurrentes aux 60 ans, faisaient plus penser à des plantations, transformant une forêt à l’origine mixte en des forêts à une ou deux espèces. Le couvert forestier des terres publiques gaspésiennes était composé à 80 % d’épinettes blanches.

Le mythe des forêts primaires canadiennes est fort. Pourtant, notre histoire forestière était intimement liée depuis longtemps à l’industrie navale britannique, celle qui nous aura fait perdre beaucoup de pins blancs pour fabriquer des mâts de navires de guerre et marchands.


C’est en avril que les lieux des coupes forestières sont les plus visibles, car elles sont encore blanchies par la neige. Les coupes forestières sont certes planifiées, mais les solutions aux défis climatiques sont énormes et les défis gaspésiens différents. Photo : Site Web de Gestion forestière Lacroix

Les feux de forêts et la réaction du Forestier en chef

De retour des Monts-Valins, je demeurais habitée par cette forêt unique avec une peur qu’elle soit victime d’un incendie. Je me suis rappelée cet air chargé de fumée qui nous empêchait de bien respirer à Sainte-Anne-des-Monts à la veille des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste. J’avais vu les grandes préparations de mégafeux de joie sur les plages gaspésiennes et les fêtes durent être annulées les unes après les autres, moi qui n’avais jamais célébré la Fête nationale sur une plage. Outre l’air, il y avait le soleil qui n’arrivait plus à se coucher sur le fleuve, lui aussi recouvert de cette fumée de plus d’un million d’hectares de forêts brûlées, 100 fois la surface moyenne perdue des neuf années précédentes.

Devant cette situation hors du commun, le Forestier en chef, Louis Pelletier, avait fait une sortie publique plutôt rare à la fin de l’été, dans son Conseil du Forestier en chef(1), y exprimant que « l’envergure exceptionnelle des feux de forêt de 2023 amène le Forestier en chef à se questionner sur nos pratiques forestières actuelles ». Il y recommandait « d’entreprendre une réflexion globale sur l’aménagement de la forêt en lien avec la réalité de chacune des régions dans le but d’établir une vision commune de la forêt souhaitée ».

L’année 2023 aura été l’année la plus chaude de la terre depuis qu’on mesure sa température. J’aurai pu expérimenter ma pire tempête à vie au Québec en Haute-Gaspésie le 18 décembre. Nous sommes passés de -10 à +15 degrés en 48 heures et je me suis trouvée à suivre en voiture un nuage en rouleau, un phénomène rarissime dans notre coin du monde. Bref, le climat ne nous lâche pas et le thème de la forêt résiliente demeure prioritaire, surtout pour ces régions qui doivent composer avec les risques à la santé et à l’économie que représenteront les feux de forêt dans l’avenir.

Une priorité, mais sans la réflexion globale et profonde souhaitée

La ministre Maïté Blanchette Vézina annonçait à la mi-février la démarche de réflexion sur l’avenir de la forêt et, à la lecture de la démarche et des thèmes choisis, cette consultation convenait plutôt aux spécialistes qu’au grand public. La démarche se déroulait du 13 février au 12 avril avec un arrêt en Gaspésie le 22 février, sur invitation.

De tous les thèmes proposés par cette démarche, seul le thème de la conciliation des usages semblait concerner les MRC, les municipalités et les citoyens. Mais, malheureusement, le ministère oriente la discussion surtout sur la gouvernance de la conciliation plutôt que sur la conciliation elle-même, c’est-à-dire les autres usages du territoire, tels que le récréotourisme, la protection ou l’agroforesterie.

Finalement, le dernier problème et non le moindre, le ministère a planifié des activités de consultation sur invitation sans prévoir un processus d’inscription ouvert. En contrepartie de ces ateliers sur invitation, on ne propose aucun événement public. Cette situation a d’ailleurs rapidement été dénoncée par le milieu environnemental gaspésien.

Il aurait fallu une consultation en deux étapes. D’abord, regrouper les experts des ministères en matière d’exploitation et de protection forestière pour faire un état des lieux et proposer des scénarios à long terme par région en y incluant les engagements de protection de la biodiversité. La deuxième étape aurait dû être de convier la population à comprendre les scénarios de forêt résiliente qui s’offrent à elle et leurs implications pour la communauté.

C’est ce que le Forestier en chef réclamait selon ma compréhension de sa sortie publique et de ses entrevues en septembre 2023. Ce n’est pas ce qu’il recevra.


Répartition des usines de première transformation du bois en Gaspésie et dans l’est du Bas-Saint-Laurent. Photo : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts

Développer une forêt résiliente et productive à long terme

Le Forestier en chef glissait aussi la proposition d’une sylviculture intensive comme solution d’adaptation, c’est-à-dire de réelles plantations de forêts mixtes pour un climat plus chaud, offrant une meilleure adaptabilité sur la ressource, mais au prix d’un paysage plus artificiel. C’est une pratique que nous n’avions pas beaucoup développée au Québec jusqu’à maintenant, mais qui aurait l’avantage de donner un coup de main à la nature qui ne pourra s’adapter naturellement assez vite.

En réaction aux incendies terribles de 2023, un des experts québécois de la forêt, le professeur Christian Messier, rappelait l’importance de la diversification des essences forestières comme stratégie de reboisement, laissant une place plus importante aux feuillus aux côtés des conifères, en vue d’augmenter la résilience de nos forêts. Plus précisément, de replanter des essences forestières adaptées au climat gaspésien du futur. La forêt gaspésienne du futur sera une forêt du sud appalachien. Comme pour le Forestier en chef, le spécialiste d’écologie forestière propose un véritable plan Marshall de l’aménagement forestier.

Le titre de la consultation de Québec nous invite à réfléchir à une forêt d’avenir, alors que le cadre consultatif est orienté en partie vers le passé et l’usuel, sans répondre à l’invitation d’une profonde mutation en une vision de résilience pour une productivité forestière à long terme.

Outre ses effets sur l’exploitation forestière du territoire, les changements climatiques auront plusieurs impacts sur les communautés gaspésiennes. L’arrière-pays gaspésien pourrait occuper un rôle important pour assurer un minimum de résilience à la péninsule.


Le campus de Gaspé offre la formation Technologie forestière, visant à former des techniciens en aménagement forestier. La maison d’enseignement peut notamment compter sur deux forêts d’enseignement et de recherche, totalisant 364 hectares. Photo : Cégep de la Gaspésie et des Îles

Pour une Gaspésie d’avenir : une mobilisation régionale sur le climat

Regarder la conciliation du territoire seulement de l’angle forestier est incomplet pour répondre aux questions territoriales forestières ou non forestières.

Chaque ministère vient faire sa consultation pour produire ses stratégies et ses plans d’action sectoriels. Ce sont souvent les mêmes organismes et municipalités qui sont consultés à chaque fois. On nous demande de se mobiliser pour regarder seulement l’angle de la forêt, alors que l’enjeu climatique gaspésien est beaucoup plus large, incluant les pêches, le tourisme, les mines, les aires protégées et l’aménagement des villages côtiers. La forêt peut difficilement être une variable isolée de l’équation climatique gaspésienne.

Heureusement que les MRC et les municipalités de la région sont systématiquement consultées. Toutefois, elles ont un pouvoir décisionnel relativement limité sur le territoire public et, comme pour les autres régions, la Gaspésie s’est retrouvée sans instances régionales dotées de ressources suffisantes pour produire de l’information locale et régionale facilitant la concertation et la prise de décision adaptées à la région.

Étrangement, l’arbitrage des activités sur le territoire public relève aussi du ministère des Ressources naturelles et des Forêts. Comme m’a déjà dit mon dentiste trop politisé en lien avec ce double rôle : « C’est comme mettre le renard en charge du poulailler. »

Devant la montée des eaux et le désengagement de certains prêteurs, dont Desjardins, la Gaspésie devra-t-elle reculer certaines portions de ses villages vers l’arrière-pays forestier? Entre inondations ou sécheresses, la Gaspésie devra-t-elle planifier des berges forestières le long de ses cours d’eau pour mieux retenir les eaux? L’économie touristique pourra-t-elle rester attractive si certaines forêts sensibles étaient artificialisées ou coupées? Cette multiplicité de chemins forestiers facilite-t-elle la prédation du caribou? Puis, à quand une valeur ajoutée au Québec pour ce bois précieux de nos forêts destiné surtout à l’économie américaine dans la transformation très basique en bois d’oeuvre?

La Gaspésie ne retrouvera pas sa forêt primaire millénaire, mais elle pourrait se définir une forêt d’avenir correspondant à une forêt mixte adaptée à son climat futur. Une Gaspésie résiliente saura évaluer proactivement l’ensemble des enjeux climatiques à venir et les meilleures actions à mettre en place sur son territoire pour devenir une région résiliente et attirante.

Chose certaine, l’adaptation au climat n’est plus un projet pour demain, mais pour maintenant.

À défaut d’un dialogue global avec nos ministères, il y a néanmoins certains événements permettant de faire avancer notre compréhension de cet avenir pour mieux agir, notamment le Forum régional sur l’adaptation aux changements climatiques organisé par le Conseil régional de l’environnement de la Gaspésie le 1er mai à Paspébiac.
GRAFFICI y sera.

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1. www.forestierenchef.gouv.qc.ca