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8 février 2024 12 h 43

La conciliation du territoire face au boom des claims miniers : le cas de la Gaspésie

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HAUTE-GASPÉSIE | Le 16 décembre, je skiais dans la cuve du mont Albert dans le massif des monts Chic-Chocs. Sous les moins 15 degrés, il ventait fort et j’avais froid aux doigts. Les cimes étaient si lumineuses qu’on oubliait quasiment que le soleil de décembre n’allait jamais monter assez haut pour nous réchauffer.

La veille, un journaliste m’avait appelée pour comprendre la situation des claims miniers en Outaouais. Par curiosité, j’avais regardé la région gaspésienne sur la carte de gestion des titres miniers(1) . Je suis donc allée skier sachant que, juste au sud, dans la réserve faunique des Chic-Chocs, Vision Lithium détenait plus de 200 claims d’une surface totale de 112 km² sur le Dôme Lemieux où y gisent plomb, zinc et cuivre.

Le boom des claims miniers : pourquoi?

En 2022, un claim sur sept a fait l’objet de travaux d’exploration(2) et très rares sont ceux qui deviendront une mine, suggérant de ne pas s’inquiéter outre mesure. Néanmoins, en date du 30 juin 2023, il y avait en Gaspésie plus de 4700 claims couvrant 2600 km², soit trois fois plus qu’en 2019. C’est trois fois la taille du parc national de la Gaspésie(3) et 13 % de l’ensemble de la superficie de la Gaspésie. Ce n’est pas banal (voir la page Repère).

L’industrie minière est cyclique : il y a des phases d’expansion et de contraction qui rééquilibrent l’offre avec la demande, assez intercalées puisque c’est long développer une mine. Le cycle actuel semble différent. Avec une classe moyenne grandissante issue des pays nouvellement riches et une économie numérique, plusieurs économistes croient que les prix des minéraux resteront élevés pendant plusieurs années.

L’impression de soudaineté de cette croissance minière s’explique, en partie, par le désir de plusieurs pays d’accélérer la décarbonation de l’économie face à l’urgence climatique, et en raison de cette guerre en Ukraine qui rend les minéraux russes et chinois moins accessibles pour les occidentaux.

C’est dans ce contexte que s’est intensifiée la prospection du sous-sol québécois. C’est encore plus vrai pour ces minéraux nécessaires à la transition énergétique(4), surtout, en ordre d’importance : le lithium, le graphite, le cobalt, l’indium, le vanadium, mais aussi, dans une moindre mesure, certains minerais à usages multiples comme le nickel, l’argent, le plomb et le cuivre(5).

La tradition britannique du libre accès au sous-sol est-elle toujours éthique?

Au lendemain de cette superbe journée de ski, j’avais prévu aller faire une virée à Forillon, Gaspé et Percé sous la neige. Malheureusement, les villages côtiers gaspésiens n’étaient toujours pas enneigés. En faisant la route entre Gaspé et Percé, je m’arrête à cette halte municipale en montant juste après Coin-du-Banc. J’y admire les longs glaçons tombant de la falaise. C’est ce qui restait de l’hiver en ce décembre trop chaud.

Rendue à Percé, je m’installe à la microbrasserie Pit Caribou. Je regarde à nouveau la carte des titres miniers pour m’apercevoir que cette falaise que je venais d’admirer avait été claimée par Contigo Resources pour du
vanadium, un de ces minéraux critiques et stratégiques (MCS), expression utilisée pour qualifier ces minéraux importants et difficiles à obtenir, que Québec a rebaptisé « minéraux d’avenir ». Il y avait toutefois un territoire incompatible à l’activité minière en vigueur aussi au même endroit.

La Loi sur les mines du Québec, comme pour le reste du pays, s’inspire de la tradition britannique du libre accès au sous-sol. Elle est aujourd’hui remise en question partout dans le monde, surtout par les peuples autochtones qui la considèrent profondément coloniale. La Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, promulguée par le gouvernement canadien le 21 juin 2021, n’est pas vraiment compatible avec la Loi sur les mines(6), surtout sur le plan du libre accès du sous-sol, sans consentement préalable, libre et éclairé, un principe au coeur des droits des peuples autochtones de cette Déclaration(7).

Outre les peuples autochtones, les gouvernements de proximité se demandent aussi pourquoi ils ne sont pas consultés avant l’octroi d’un claim.


Si la mine de cuivre de Murdochville est la plus connue, moins se souviennent de la Candego Mines Limited, en opération de 1945 à 1954 au sud-ouest de Marsoui, et qui exploitait du plomb, du zinc et de l’argent à destination du New Jersey et des Pays-Bas. Photo : Musée de la Gaspésie – Collection du Centre d’archives de la Gaspésie / Série Candego Mines ltd.

Le pouvoir des MRC : délimiter un territoire incompatible à l’activité minière

Les mines au Québec sont historiquement loin des milieux habités. Elles ont même souvent été à l’origine de la création de certaines villes, voire région, comme l’Abitibi-Témiscamingue. Mais le boom actuel surprend certaines régions, plus au sud, où des communautés expriment ne pas aspirer à un avenir minier.

À la suite de la controversée mine Malartic impliquant plusieurs expropriations, un consensus s’est dégagé pour que le milieu municipal soit doté d’un nouveau pouvoir, celui de délimiter un territoire incompatible à l’activité minière (TIAM) visant surtout à protéger des lieux sensibles au pourtour du périmètre urbain.

Malgré cette avancée, certaines municipalités ont fait le constat qu’il n’était pas facile de faire accepter un TIAM par le gouvernement québécois hors des périmètres urbains. Elles doivent démontrer que l’activité sur ce territoire est d’intérêt pour la communauté, est difficilement déplaçable et que sa viabilité serait compromise par l’activité minière(8). Les explorateurs miniers n’ont pas à faire cette démonstration en désignant leurs claims miniers sur une carte en ligne. Cette iniquité de la preuve est difficile à saisir.

Malgré ce pouvoir, certaines municipalités auront manqué la fenêtre pour enclencher un processus de TIAM avant le boom minier. C’est ainsi que plusieurs municipalités historiquement non minières ont été surprises, causant des situations incroyables, comme celle de la Ville de Gatineau où les terres sous 800 propriétés ont fait l’objet de claims par un entrepreneur minier intéressé au phosphate(9).

La conciliation des usages avant d’octroyer un titre de propriété

Même avec ce dispositif de TIAM, la Loi sur les mines semble encore poser un problème autant dans des régions désintéressées aux mines que dans des régions minières où certains effets cumulatifs commencent à peser lourd sur la biodiversité et la qualité de vie.

Ce qu’on oublie souvent de dire au sujet des claims est que la divisibilité entre le sous-sol et la surface est théorique, car la surface est très souvent nécessaire à l’extraction des minerais du sous-sol. C’est cette divisibilité qui permet au secteur extractif d’être le seul secteur à avoir un tel accès automatique aux terres publiques. L’autre élément important est le fait qu’à la fermeture d’une mine, les terres seront longtemps hypothéquées, ce qui empêche leur réutilisation pour d’autres activités.

En Gaspésie, ce privilège du sous-sol est exemplifié par l’autorisation de faire de l’exploration minière dans l’habitat du caribou, alors qu’on vient d’y interdire les coupes forestières. Cette décision est incohérente puisque ces activités sont tout aussi nuisibles.

Bien que ce ne soit que de la prospection, le claim donne une garantie de pouvoir explorer et donc d’espérer y faire une mine. C’est un titre de propriété en bonne et due forme, donc non révocable, à moins que les conditions de renouvellement du claim ne soient pas respectées.

En somme, ce dialogue au sujet du sous-sol québécois est aussi un dialogue sur la concurrence des usages sur les terres, que ce soit un nouveau développement villageois, une terre agricole, une aire protégée, un projet
récréotouristique, des produits non ligneux, etc.

Des municipalités ont exprimé cet enjeu lors de la consultation sur le développement minier du ministère des Ressources naturelles et des Forêts en mai 2023.

Le secteur minier est peut-être un rêve inachevé pour certains Gaspésiens. Toutefois, la Gaspésie a changé depuis la fin de l’extraction du cuivre à Murdochville en 1999. Lorsqu’on regarde la carte, on pense à l’importance de la qualité de l’eau provenant des lacs de tête et des rivières des Monts Notre-Dame, là où se trouvent la majorité des claims. Lors de cette même consultation au printemps 2023, plusieurs organismes gaspésiens ont aussi exprimé leurs inquiétudes face à l’eau et la cohabitation avec les activités touristiques.


Plus de 20 ans après la fermeture de la fonderie, en 2002, le projet de Métaux Osisko pour la relance du cuivre à Murdochville est le plus avancé en Gaspésie. Photo : Gino Boucher

L’effet de la posture gouvernementale sur l’ambiance conflictuelle

Devant ce phénomène, la ministre Maïté Blanchette Vézina s’est engagée à la fin de l’année à ouvrir la Loi sur les mines pour clarifier les règles du jeu(10).

Le gouvernement aura beaucoup à faire pour répondre aux préoccupations multiples, sans quoi on devra se préparer à vivre d’importants différends sur certains lieux de prospection minière. Celui-ci devra aussi repenser à sa position de promoteur du secteur. La proximité entre une industrie et le gouvernement comporte toujours un risque dans une démocratie capitaliste. Les citoyens doivent avoir confiance que le gouvernement saura analyser et gérer les enjeux environnementaux d’une mine pour que cette mine soit socialement plus acceptable. Le cas de la Fonderie Horne(11) est dramatique à cet égard : la santé publique « négociée » a fortement affecté la confiance citoyenne en ses institutions. L’autorisation récente du mégaprojet Northvolt(12) sans un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) est une autre action gouvernementale qui effrite la relation de confiance.

En plus des municipalités insatisfaites, certains citoyens sont mobilisés et démontrent par l’absurde que leurs seuls moyens de défense contre cette posture gouvernementale est d’acheter eux-mêmes leurs sous-sols(13) .

Bref, la critique de la Loi sur les mines n’est plus marginale et est partagée maintenant par suffisamment d’institutions et d’individus qui réclament simplement la même démocratie au sujet du sous-sol, loin d’être divisible de sa surface.

Pour que la Gaspésie demeure magnifique : un nouveau cadre minier

Mon séjour à Gaspé tirait à sa fin. Je passe par Murdochville et je fais un arrêt à Mont-Louis. Je me demandais à quel point les élus et les citoyens de la Haute-Gaspésie savaient que leur arrière-pays était d’intérêt minier.

La Gaspésie est un territoire adoré des Québécois qui souhaitent la voir protégée et prospérer. La question appartient toutefois aux Gaspésiens : quel sera le bon équilibre entre les lieux visés par les prospecteurs
miniers et les lieux valorisés par les entrepreneurs récréotouristiques?

Je suis de l’école de pensée qu’il y a des mines valant la peine d’être exploitées mais d’autres qu’il faut laisser tomber. Par ailleurs, l’objectif d’exportation doit être évalué sur le sacrifice territorial, si sa réhabilitation n’est pas possible. Il s’agit d’avoir un cadre décisionnel permettant de savoir distinguer un bon projet minier d’un mauvais et de combien de projets avons-nous vraiment besoin.

L’ouverture de la Loi sur les mines sera un excellent moment pour réclamer des changements et pour le gouvernement, de se recentrer dans une position d’arbitrage. Devant la crise climatique où chaque terrain devient de plus en plus précieux, il est important d’y réfléchir avant l’octroi d’un claim.

Les MRC de la Gaspésie peuvent jouer un véritable rôle dans la conciliation territoriale avant que les claims ne repoussent davantage les autres secteurs économiques et les besoins de conservation.
________________________

1. Gestim.
2. Nature des travaux d’exploration déclarés en 2022.
3. Répartition des titres miniers d’exploration par région administrative du Québec 2019-2023.
4. La transition énergétique est le nom utilisé pour décrire le phénomène de remplacement de l’énergie fossile par de l’énergie renouvelable. Toutefois, les minerais nécessaires pour faire des batteries servant au stockage énergétique ne sont pas, eux, renouvelables.
5. Minerals for Climate Action : The Mineral Intensity of the Clean Energy Transitionm, p. 73.
6. Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
7. D’ailleurs, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a donné raison à deux Premières Nations – Gitxaała et Ehattesaht – en matière d’obligation de consultation des autochtones avant l’octroi de claims, illustrant le défi du libre accès traditionnel. En février 2024, ce sera au tour de la Première Nation Anishinabé de Lac Barrière en Abitibi-Témiscamingue de porter à l’attention de la Cour supérieure ce même enjeu de la Loi sur les mines du Québec.
8. Aide-mémoire – Mise en oeuvre de l’orientation gouvernementale en matière d’aménagement du territoire consacrée à l’activité minière, Gouvernement du Québec 2021.
9. Mining claim ‘boom’ pits prospectors against public in suburban Gatineau | CBC News.
10. Course aux minéraux stratégiques : la ministre Blanchette Vézina veut rouvrir la Loi sur les mines pour le développement de la filière batterie, Le Journal de Québec, 5 octobre 2023.
11. La Fonderie Horne (Glencore) est la plus grande usine de recyclage de produits électriques en Amérique du Nord. Elle émet différents polluants dans l’air depuis son ouverture, mais c’est l’arsenic qui est au centre d’un contentieux de santé publique, dépassant les normes de 30 fois, sous autorisation du gouvernement du Québec.
12. Northvolt est une entreprise souhaitant construire une usine de batterie à St-Basile-le-Grand et McMasterville, un secteur industriel ayant bénéficié d’une modification réglementaire, soustrayant ainsi cette usine à l’examen du Bureau des audiences publiques sur l’environnement.
13. Ils achètent des titres miniers pour repousser les prospecteurs, Journal de Montréal, 21 août 2023.

 

Consultez la page repère
UNE GASPÉSIE BIEN COUVERTE DE CLAIMS MINIERS