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3 juillet 2025 12 h 58

Pour que la pêche au saumon demeure sereine

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RIVIÈRE-MADELEINE | À chaque année, quand la forêt est enfin au sec, j’aime longer les rivières à saumon en vélo de montagne. La rivière Madeleine impressionne particulièrement avec son côté plus sauvage. Elle prend sa source à plus de 120 kilomètres dans l’arrière-pays, entre le mont de la Table et le mont Jacques-Cartier, aux limites du parc national de la Gaspésie. Le couvert forestier mixte, le dénivelé des pentes de chaque côté, la clarté de l’eau et ses cascades nous ramènent à l’idée qu’on se fait de la forêt d’avant. J’ai hâte à ma première vraie pêche au saumon sur cette rivière.

J’ai taquiné le saumon quelques jours dans la rivière Bonaventure, sans succès. Comme dans n’importe quelle activité visant la rencontre de la vie sauvage, que ce soit l’observation de la faune, la chasse ou la pêche, il faut passer du temps en forêt ou sur l’eau pour augmenter nos chances. D’autres facettes de nous doivent se révéler : la patience, l’attention aux signes de la nature, la déconnexion du moderne, le silence et la persévérance. La pêche est ce moment qui nous amène ailleurs ou plutôt qui nous amène vers un calme, une lenteur et cette sérénité que nous cherchons trop souvent. Entre ce que le monde veut de nous et ce que l’on veut pour soi, il y a toujours un décalage. Le voyage de pêche entre amis est une des façons de constater son ampleur, en attendant cette touche qui nous connectera au monde vivant.


Le saumon demeure une proie difficile à attraper, tant pour les pêcheurs que pour les photographes. Photos : Marielle Guay

Aller à la pêche d’une génération à l’autre

D’aussi loin que je me rappelle, il y avait des voyages de pêche dans la famille Reid. J’aurai pêché des heures et même des jours avec mon grand-père, ma mère, mes oncles, ma fratrie et nos enfants. Mes parents n’ont jamais acheté de chalet, car ils voulaient découvrir le Québec. Nous avons donc pêché dans plusieurs réserves fauniques et parcs nationaux, particulièrement Papineau-Labelle et Mastigouche, qui étaient à des distances décentes pour tout le monde. Pêcher, comme chasser, est une de ces activités traditionnelles qui se transmet d’une génération à l’autre. Pour moi, pêcher me rappelle ces moments calmes avec grand-papa Reid et de doux moments à voir ma mère faire enfin quelque chose pour elle. Pêcher est de loin son activité préférée. La formule du voyage de pêche était simple : nous réservions une semaine en chalet et nous pêchions tous les jours selon notre capacité à tolérer les insectes.

La variété des pêches en Gaspésie : en lac, en rivière et en mer

La pêche au lac est tout ce que je connaissais avant de fréquenter plus assidûment le territoire gaspésien. Notre région a, comme ailleurs, des lacs pour pêcher dans son arrière-pays, parfois les sources de nos rivières qui descendent dans nos vallées en cascades aux dénivelés souvent étonnants, vers nos villages, vers nos anses et nos barachois. Vingt-deux d’entre elles accueillent le saumon, l’espèce de poisson emblématique de nos rivières et de l’océan Atlantique. La Gaspésie aurait la plus grande concentration de rivières à saumon en un seul endroit au monde. Pour d’autres pêcheurs, c’est plutôt la mer qui les appelle pour des sorties de pêche. Cette grande variété de lieux de pêche est relativement unique aux régions maritimes. Récemment, je suis tombée sur une vidéo de notre pêche au maquereau en famille pas trop loin de L’Anse-à-Beaufils. J’y filmais des plongeons incroyables des fous de Bassan. Les goélands semblaient des amateurs devant ce redoutable oiseau de l’île Bonaventure.


La rivière Bonaventure dans la Baie-des-Chaleurs où notre chroniqueuse a expérimenté la pêche au saumon pour la première fois. Photo : Site Web de la ZEC de Bonaventure

Cette tradition de pêche au saumon

Je n’ai malheureusement pas de pêcheurs au saumon dans mon entourage pour recevoir cette transmission culturelle, notamment ces fosses prisées ou méconnues. Mon grand-père avait ce type de connaissances de la rivière Richelieu et du lac Champlain. Comme d’autres, je dois apprendre cette pêche moi-même. J’ai commencé tranquillement, du moins à apprendre ce swing de la pêche à la mouche! Même en pêche sur le lac, c’est ce que je préfère, debout dans le bateau et lancer ma ligne, savoir viser exactement où je veux. Le lancer est nettement plus sophistiqué avec cette très, très longue canne à pêche. Outre le lancer, j’étais très fière de porter la salopette beige du pêcheur à saumon. La couleur et la clarté des rivières à saumon en Gaspésie sont absolument incroyables. Le fond pierreux laisse à peu de particules la chance de brouiller l’eau.

Une activité historique

Au XIXe siècle, cohabitaient la pêche au saumon dite coutumière du peuple mi’gmaq, ainsi que celle récréative et commerciale. La pêche récréative était surtout pratiquée par des Américains et des Canadiens qui louaient et achetaient des portions de rivières, en s’appropriant les droits au même moment que le gouvernement québécois cherchait à affirmer son droit d’exclusivité sur la gestion de la pêche en rivière par un jugement de la Cour suprême du Canada (1880). Les clubs de pêche au saumon émergent pour devenir les entités de gestion en respect de ce nouveau droit consenti par l’État. Les clubs privés connaissent leur apogée vers 1950. À cette même époque, la pêche
commerciale contribue à réduire les stocks de saumon, amplifiant les enjeux de cohabitation entre les pêches coutumière, récréative et commerciale. La pêche commerciale est interdite en 1998. D’ailleurs, durant le début du déclin, dans les années 80, sous l’appellation « guerre au saumon », se sont déroulés des événements conflictuels entre le gouvernement du Québec et la Première nation innue, notamment à La Romaine et à Mingan sur la Côte-Nord, ainsi qu’avec la Première nation mi’gmaq de Listuguj.

De moins en moins de saumons

En 1988, en Gaspésie, le nombre de prises pour la pêche commerciale s’élevait à environ 25 000; pour la pêche récréative, c’est environ 20 000; et la pêche coutumière, réservée aux Mi’gmaq, s’élevait à 5000 prises. En 2024, c’était seulement 4000 saumons qui ont été dégustés de manière coutumière ou récréative, un déclin de 40 % par rapport à 20201(1). Les défis auxquels fait aujourd’hui face le saumon de l’Atlantique sont importants. Outre l’abondante pêche par le passé, l’espèce est confrontée à la hausse des températures de l’eau, la baisse des niveaux d’eau, et la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, tous des facteurs qui contribuent au déclin des populations de saumon(2).

Les vacances comme lieu de transmission d’un mode de vie

Nos familles nous transmettent très souvent le goût de la pêche durant les vacances d’été. Évidemment, manger les poissons attrapés est la récompense ultime. Toutefois, je ne saurais compter le nombre de voyages de pêche au cours desquels on est revenus bredouilles ou avec quelques truites, seulement dégustées en entrée. Ces voyages demeurent mémorables, car aller à la pêche, c’est aussi d’être entre amis, en famille, les pieds dans l’eau, entre deux silences à faire des lancers et passer la journée dehors. En Gaspésie, la pêche au saumon est sacrée et elle est devenue au fil du temps une économie, un mode de vie et elle fait partie intégrante de son identité. Le déclin récent et rapide ne donne pas espoir, mais, comme c’est important pour la région, son économie et son écologie, nous avons un devoir de contribuer à préserver ce patrimoine culturel qu’est la pêche au saumon. Nous sommes désormais devenus les transmetteurs culturels. C’est à notre tour.


Notre chroniqueuse et sa fierté de faire ses premiers lancers de pêche au saumon dans la rivière Bonaventure. Photo : Luce Reid

Prendre soin du saumon et de nos rivières

Puisque nous ne pouvons plus pratiquer la pêche au saumon de manière libre et désinvolte comme les générations précédentes, il reste à transmettre le « prendre soin » du saumon et de son habitat.

Par exemple, au niveau de notre consommation, nous pouvons diversifier et réduire la pression sur le saumon de l’Atlantique. Personnellement, c’est grâce à l’écoguide de Fourchette bleue(3) d’Exploramer que j’ai réduit significativement ma consommation de crevettes, de thon et de saumon. Je suis devenue une adepte d’espèces abondantes du Saint-Laurent, notamment le flétan, la moule bleue, l’oursin, les algues et le bourgot.

Dans le fond, ce n’est pas juste la culture de la pêche au saumon qui est transmise, c’est surtout d’aimer le territoire et d’en prendre soin. Nous sommes passés d’une ère d’abondance à une ère de « prendre soin », pour peut-être réussir à retrouver une certaine stabilité des écosystèmes. Nous continuerons la remise à l’eau, qui nous permet de perpétuer le mode de vie sans la prime ultime. Nous veillerons à ce que nos petits-enfants puissent, comme nous, taquiner le saumon tranquille dans une de ces rivières magnifiques de la Gaspésie.

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1. Gouvernement du Québec (2025). Exploitation du saumon au Québec – Bilan 2024, tableau 5.
2. Gouvernement du Canada (2024). Stratégie nationale du Canada pour assurer l’avenir du saumon atlantique 2024-2036, préambule.
3. Fourchette bleue (2025). L’écoguide des espèces marines du Saint-Laurent valorisées par Fourchette bleue. Site Web (consulté le 8 juin 2025).