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7 février 2020 14 h 31

La peur de l’Autre

Pascal Alain

Chroniqueur

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CARLETON-SUR-MER | La peur de l’Autre remonte à la nuit des temps, à une époque où il fallait vivre dans la méfiance permanente, faute de quoi l’Autre, plus fort ou plus rusé, pouvait vous dérober la proie ou la femme convoitée, ou encore vous condamner à la faim ou même à la mort. L’Autre, c’est l’inconnu, celui duquel tout peut arriver. En déterrant l’origine du racisme et des comportements racistes, cela nous mène à la peur de l’Autre, phénomène par lequel se forgent bien souvent les différences entre les peuples. Ce qui ne génère habituellement rien de bon…

Remontons au 15e siècle, au cœur de la péninsule gaspésienne, alors connue sous le nom de « Gespe’gewa’gi », signifiant « fin des terres » en langue mi’gmaque. En ce temps, le peuple mi’gmaq ne fait qu’un avec le territoire. Puis, un bon matin, au large de Percé, on remarque des équipages de pêcheurs d’origine basque, fiers de repérer les graves servant à faire sécher la fameuse morue qui, elle, imprégnera l’histoire de la région.

Désormais, les Mi’gmaqs ne sont plus seuls. Les Basques, redoutables pêcheurs, constituent eux aussi un peuple autochtone issu principalement du Pays basque, situé à cheval sur la frontière séparant la France et l’Espagne. Entre autochtones, la cohabitation se passe bien; ils arrivent à se comprendre. Toutefois, l’arrivée de Jacques Cartier, à l’été 1534, allait changer le rapport de force, l’explorateur héritant d’un mandat du roi de France pour s’emparer des richesses de l’Asie. Rien à voir avec la mission des Basques, gardée secrète, le but étant de se nourrir.

À partir des années 1650, la France reprend l’exploration et l’exploitation du Gespe’gewa’gi, les pêcheries de la Nouvelle-France offrant l’opportunité de s’enrichir. Les Mi’gmaqs seront témoins de comportements particuliers de la part des Européens, notamment du réflexe de s’approprier la nature pour s’enrichir. Pour les Autochtones, le territoire doit servir à la survie de tribus, et non à accumuler des biens. Deux civilisations, deux regards.

Au milieu de 18e siècle, le contexte est favorable pour que les deux grandes puissances du temps, la France et l’Angleterre, s’affrontent pour la possession du continent, incluant les terres ancestrales des Mi’gmaqs. Après la Conquête britannique de 1760, réfugiés acadiens et différents peuples anglophones s’installent le long de la côte. Le Gespe’gewa’gi s’effrite, prenant l’allure d’un gruyère. Les Mi’gmaqs allaient dorénavant collectionner les pertes : territoriales, culturelles, identitaires. Perte de droits politiques aussi. Les politiques colonialistes de l’État canadien allaient raffermir cette rupture avec l’avènement de la Confédération de 1867.

On renforce donc la peur de l’Autre. Ici comme ailleurs au pays, l’Autre constitue trop souvent les Autochtones. Préjugés, blâmes, marginalisation, accusations gratuites, abus de toutes sortes s’abattent sur les épaules de ce peuple millénaire. Les Autochtones semblent toujours être au mauvais endroit au mauvais moment. Ils ont toujours tort, même quand ils ont raison. Ils ne s’en sortent pas. L’odieuse Loi sur les Indiens de 1876 vient sceller le sort des Premières Nations. Leur vie allait dorénavant être dictée par l’État fédéral de la naissance à la mort, les « réserves » devenant leurs nouveaux logis.

Cette loi allait entre autres faire perdre aux Premières Nations leur autonomie politique, le droit à l’éducation de leurs enfants selon leurs propre culture et traditions ainsi que le droit même d’exercer leur culture. Le but avoué? Les assimiler en leur faisant cadeau des bienfaits de la civilisation blanche. Aujourd’hui, les Autochtones comptent parmi les groupes culturels les plus pauvres du Canada. Bel héritage, n’est-ce pas?

Tout cela laisse des traces profondes. Récemment, le chef mi’gmaq de Listuguj, Darcy Gray, annonçait son retrait de la vie politique, évoquant des menaces contre sa propre personne et sa famille provenant de sa propre communauté. Quand on hérite au fil des siècles d’un tel traumatisme, comment peut-il en être autrement? Nourrir la rage n’est jamais conseillé. Enfin, on sait tous que lors d’une partie de hockey les esprits peuvent s’échauffer rapidement de part et d’autre. Le problème, c’est que la peur de l’Autre survit. Il est grand temps de tourner la page…