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Éditorial
15 août 2019 15 h 46

La richesse parfois insoupçonnée de la culture

Gilles Gagné

Journaliste

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PERCÉ | «Ma mère est icitte.» C’est avec cette phrase que le motard s’est présenté à l’été 2005 à Jean-Louis Lebreux, directeur du musée le Chafaud de Percé. Le musée présentait alors les remarquables photos de l’Américaine Lida Moser, une New-Yorkaise qui avait été mandatée en 1950 pour immortaliser sur pellicule des scènes de la vie quotidienne du Québec.

M. Lebreux répond calmement au motard, l’informant que sa mère n’est sûrement pas dans le musée puisqu’il est seul depuis un moment. «Elle est posée», répond le visiteur un peu brusquement. Jean-Louis Lebreux lui montre la salle d’exposition et le motard entreprend de l’arpenter. Il s’arrête devant la photo d’une mère de Port-Daniel montrant à Lida Moser son quatorzième enfant, une jeune fille à l’expression envoûtante. Elle est assise bien droite sur les genoux de sa mère, une mère dont le visage porte clairement le poids de sa nombreuse marmaille.

Le motard s’assoit sur le banc en face de la photo et se met à pleurer, le temps qu’il faut. On ne sait trop pourquoi et ça n’a aucune importance parce que le moment lui appartient. La photo de Lida Moser avait simplement eu raison en une fraction de seconde de sa carapace et de son allure un peu bourrue.

Le 1er juillet 2018, en matinée, un guide de pêche vivant tout près du cinquième rang à New Richmond, Larry Dee, constate qu’une défectuosité de son ventilateur de salon vient de mettre le feu au plafond. Il combat le feu tout seul pendant 20 minutes avant l’arrivée des pompiers, qui éteignent ce que M. Dee n’avait pu neutraliser seul.

La maison était dans le giron de la famille Dee depuis cinq générations. Elle sort endommagée du brasier, mais principalement en raison des dégâts causés par l’eau. Depuis un an, Larry Dee est pris dans les démêlés avec son assureur, Promutuel pour ne pas le nommer, afin que les termes de sa police d’assurance soient respectés.

Il est résolument triste de constater que plus le temps avance, moins la maison sera récupérable. Il déplore le manque de discernement de l’assureur dans le cheminement des négociations visant à en arriver à un règlement honorable.

Hormis ces frustrations, l’élément qui revient invariablement dans ses conversations toutefois, c’est la perte de ses guitares et des équipements de sonorisation qu’il avait mis des années à gagner. M. Dee était musicien bénévole pour à peu près tous les spectacles bénéfices des environs de New Richmond, Cascapédia-Saint-Jules et Gesgapegiag, quand il s’agissait d’amasser des fonds pour aider quelqu’un malade. Sa musique lui manque terriblement.

Tel est le pouvoir des arts, qu’il s’agisse de l’effet du travail d’une photographe professionnelle comme Lida Moser sur un public non ciblé, ou du vide créé par la perte de guitares pour un musicien amateur comme Larry Dee.

Les arts ne devraient pas avoir besoin de plus de justification pour que nos gouvernants comprennent qu’il est impardonnable que le Québec n’accorde toujours pas 1% de son budget à la culture, malgré un engagement pris par divers régimes politiques au fil des décennies.

La société québécoise n’a pas les moyens de consacrer 1% à la défense et à l’émancipation de sa culture? Non, elle n’a plutôt pas les moyens de s’en priver.

Dans le même ordre d’idées, il est aussi hallucinant de constater la faiblesse des moyens mis à la disposition de la société quand il s’agit de protéger des édifices à valeur patrimoniale.

Il est utopique de penser qu’on pourra sauver toutes les belles maisons et tous les autres beaux bâtiments du Québec et de la Gaspésie mais il y a assurément moyen de faire mieux.

Il y a quelques années, la Gaspésie a innové en instaurant une taxe de 2$ par nuitée pour les établissements d’hébergement, de l’argent qui sert à la promotion touristique, donc qui revient essentiellement dans le secteur qui perçoit cette taxe. Il y a eu quelques grincements de dents au début, mais les bienfaits de la taxe sont indéniables aujourd’hui, alors que la région bat des records d’achalandage en succession.

Comment répéter ce modèle? Il serait injuste que le secteur touristique paie la facture pour la protection du patrimoine bâti puisqu’une taxe régionale à cet effet bénéficierait aussi à la communauté. Le tourisme profiterait toutefois aussi d’un élan de rénovation de nos maisons et édifices à fort contenu architectural.

Pourrait-on canaliser une partie des forts bénéfices de la Société des alcools, de la Régie des loteries, des courses et des jeux, ou de l’émergente Société québécoise du cannabis pour se doter d’un projet collectif un peu plus porteur que la plupart des initiatives émanant des billets de 6/49, des vins bourrés de sulfites ou des volutes de pot?

En fait, la nécessité a souvent forcé les Gaspésiens à innover. Ils l’ont fait en réclamant du transport en commun, maintenant offert par la RéGIM, en déployant un réseau de fibre optique, en sauvant leur chemin de fer et en créant la Régie intermunicipale de l’énergie pour avoir accès aux profits du secteur éolien.

L’idée de l’instauration d’un fonds significatif de protection du patrimoine bâti et d’amélioration du financement dédié aux arts mérite d’être examinée. Ce fonds doit aussi être régionalisé.

Les taxes sont toujours impopulaires. Elles sont toutefois nécessaires. Quand elles sont bien pensées, elles donnent des résultats plus efficaces que des initiatives isolées, dont le sort dépend d’un processus de décision laissé à la discrétion d’un ministre ou d’une équipe géographiquement éloignée, donc déconnectée de la réalité.

Il faut aller chercher l’argent où il est. La Société des alcools, la Régie des loteries, des courses et des jeux, et la Société québécoise du cannabis en ont. Il convient de réserver une partie de leurs profits à des initiatives plus constructives qu’à un transfert automatique dans le fonds consolidé de l’État québécois.

Quant au gouvernement fédéral, il serait bien avisé d’y participer aussi. Il pourrait minimalement s’occuper en premier lieu de ses propres installations, comme le réputé phare de Cap-des-Rosiers, négligé au point qu’il requiert désormais des réparations avoisinant les 6 millions de dollars.

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