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7 juillet 2023 10 h 37

Le bonheur est … sur la rivière!

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MARIA | Certains d’entre nous canotent depuis plus de 30 ans, d’autres depuis plus de 35 ans et les plus anciens, depuis plus de 40 ans! Nous sommes six adeptes de plein air qui, le 1er juillet de chaque année, réalisons une expédition de canot-camping de quatre jours sur les rivières de la Gaspésie et du Nouveau-Brunswick. Un rendez-vous annuel qui marque le début de l’été, qui nous permet de reprendre contact avec la nature, la vraie, et de perpétuer une tradition chère au groupe.


Photo : Alain Boudreault

La Bonaventure, depuis le petit lac du même nom, la Grande et la Petite-Cascapédia, la Patapédia, la Kedgwick et la Restigouche : toutes des rivières que nous avons descendues, une ou plusieurs fois, au cours de toutes ces années.

Une telle aventure ne peut se faire sans de bons préparatifs. C’est pourquoi notre voyage est toujours précédé de réunions préparatoires pour ne rien laisser au hasard; le choix de la rivière (avec une alternative en cas d’étiage), l’organisation du transport et des équipements ainsi que la préparation du menu sont passés en revue. Subséquemment, l’état des chemins pour se rendre au départ devra aussi être vérifié. Un compte rendu pour chaque rencontre, un aide-mémoire pour les bagages, une liste d’épicerie pour la nourriture; chaque année, tout est consigné pour ne rien oublier. Les points de ravitaillement sont plutôt rares le long des rivières!

Tout groupe doit avoir son leader. Nous avons le nôtre. Il a les connaissances et l’expérience. Un groupe sans direction n’est pas un groupe. Il voit à l’application des décisions communes prises au préalable et au respect de l’horaire à chaque jour. Il fait une analyse lors d’imprévus et en cas de dangers potentiels et soumet une proposition à l’équipe; il cherche toujours un consensus et évite d’être trop directif. Il se soucie que les tâches soient bien réparties et que tous vivent une bonne expérience. Comme il dit : « Je suis heureux seulement si vous êtes tous heureux! »

Chaque descente de rivière comporte son éventail de petits et gros dangers : les rapides, les roches sournoises à fleur d’eau, les « passes » dangereuses, les amoncellements de bois emportés par la rivière, les seuils, etc. Il faut faire une bonne lecture de la rivière, garder l’oeil vif et rester vigilant. Le rameur assis en avant joue un rôle primordial. On est en danger lorsqu’on ne pense plus aux dangers, qu’ils disent… Les années ont fait de nous de bien meilleurs canotiers. Quelques-uns d’entre nous ont bien suivi de petites formations, mais les vrais apprentissages se sont faits in situ.

Personne ne veut chavirer, mais ça arrive à l’occasion; c’est comme un passage obligé, un baptême! C’est à ce moment que tu vois si les bagages sont bien attachés et que les contenants sont étanches! À chaque renversement, l’équipe se mobilise, elle vient en aide aux malheureux. L’eau est froide, le courant peut être fort, le canot est à la renverse, les canotiers dérivent … On ne rit pas dans ce genre de situation, sauf après, la plupart du temps!

D’année en année, nous fréquentons les mêmes battures, les plus belles, celles pour lesquelles le courant a mis tout son talent afin de les créer … Elles sont invitantes, elles ont tout; l’espace, la prise dans le vent pour faire sécher le linge et éloigner les mouches, un « bain tourbillon » juste devant, le sable pour déposer les tentes, le bois pour les feux ainsi qu’un endroit pour le petit coin … Le rituel peut alors commencer; le montage du campement, la corvée de bois, l’installation de l’abri commun, la préparation du repas, etc.

Généralement, nous sommes bien loin des chemins d’accès aux rivières. Dans certains cas, même avec un moyen de communication, les secours prendraient beaucoup de temps avant de nous joindre. C’est pourquoi le mot d’ordre est la sécurité. Nous nous estimons chanceux. Nous avons subi quelques mésaventures au cours de toutes ces années, mais rien de vraiment grave.

Nous avons appris à côtoyer les pêcheurs lorsqu’il y en a. Un léger coup de sifflet pour s’annoncer, ne pas faire de bruit, un signe avec la rame pour savoir où passer; faut-il débarquer des canots pour longer la rive? Dans la très grande majorité des cas, la cohabitation se fait harmonieusement; chacun tire profit de la ressource et pratique son activité dans un respect mutuel. C’est une question de savoir-vivre.

À chaque descente, nous sommes en admiration devant tant de beauté. Tout autant par la couleur et la limpidité de certaines rivières, que par la silhouette des montagnes et les forêts mixtes à perte de vue, presque jamais exploitées par l’humain, les caps de pierres et de sables, la brume sur la rivière … Après chaque méandre, une surprise peut nous attendre; comme la fois où une femelle orignal est sortie devant nos canots pour se mettre à courir dans la rivière avec ses petits, une scène à jamais gravée dans nos mémoires.


Photo : Alain Boudreault

Certains soirs, près du feu sur la berge, nous écoutons le bruit de la rivière qui coule, le crépitement du bois qui se consume, le cri d’un oiseau au loin, le hurlement d’une bête. Nous admirons les lucioles qui dansent, la lune et ses formes subjectives qui apparaissent et disparaissent derrière les nuages. Tout est beau, tout est pur, tout est sauvage… C’est un moment de pleine conscience, de plénitude, presqu’un moment de grâce…

Mais, je serais malhonnête de vous dire que c’est toujours comme ça. Un voyage s’est déjà soldé par quatre jours de pluie, sans arrêt; le soleil s’est pointé le nez lors du retour à la maison. Ou encore, un soir où il a fallu se cacher dans nos tentes après le souper tellement il y avait des moustiques. Monter une tente par une pluie battante et se coucher dans un sac de couchage humide peuvent aussi faire partie des inconvénients. Mais ce sont des expériences qui forgent le caractère, qui nous font explorer nos limites physiques et mentales et qui nous font apprécier le confort de la maison…

Nous avons parfois l’impression de recréer un voyage ancestral, celui de nos ancêtres, des découvreurs, des Autochtones; on ne peut s’empêcher d’y penser. Nous pensons aussi aux pêcheurs et à leurs guides qui ont fouetté ces rivières depuis des lustres. Ces routes d’eau sont tellement riches d’histoires et d’anecdotes!

Un jour, nous savons que l’aventure prendra fin, Il faudra alors se résigner. Toute bonne chose a une fin, mais tant que nous pourrons, nous ramerons!