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7 avril 2015 8 h 48

LE FÉMINISME, « QU’OSSA DONNE? »

CAPLAN – Elle est petite, l’air presque fragile dans son fauteuil roulant. Mais l’énergie qui se dégage de cette dame aux cheveux rouges est terriblement forte et communicative. GRAFFICI a rencontré la militante féministe « récemment retraitée » Marie-Thérèse Forest dans sa maison de Caplan pour lui poser une question toute simple : « Le féminisme, qu’est-ce que ça donne? ».

La question, ironique, fait allusion au célèbre monologue d’Yvon Deschamps sur les syndicats en 1969: Les unions, qu’ossa donne? Pour bien des femmes, aujourd’hui, le féminisme réfère à un combat qui a été indispensable certes, mais qui n’est plus actuel. Comme si l’égalité des sexes était quelque chose de réglé, d’acquis. Cette rencontre avec Mme Forest permet de remettre les pendules à l’heure.

« Le féminisme aujourd’hui, ça donne des avancées qu’on ne veut pas perdre. La liberté de choisir. Ça donne que les filles puissent faire des métiers comme plombier ou électricienne, si elles le souhaitent […]. Mais il reste encore l’équité salariale… On n’y est pas encore, je t’assure! », s’exclame Mme Forest en rappelant que les métiers traditionnellement réservés aux femmes sont encore beaucoup moins payés que ceux traditionnellement réservés aux hommes.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, le salaire horaire moyen des femmes en 2013 était de 22,52 $ et celui des hommes, de 25,09 $.

Le féminisme, en 2015, ça donne aussi « un combat contre la non-violence, tant en termes d’agression sexuelle que de violence conjugale », ajoute Mme Forest.

Selon les chiffres du ministère de la Sécurité publique, une large majorité des victimes d’agressions commises dans un contexte conjugal sont des femmes (on parle de 80 % et plus). Et c’est le même constat quand on regarde les statistiques récentes en matière d’agressions sexuelles.

« Les femmes sortent de plus en plus de leur isolement, se réjouit Mme Forest, elles dénoncent de plus en plus les abus dont elles sont victimes. C’est un point positif. Mais il reste beaucoup de travail à faire. »

« Le féminisme aujourd’hui, ça permet aux femmes d’accéder au monde politique. Parce que, on ne se le cachera pas, c’est un monde d’hommes, encore! »

« Je me rappellerai toujours de Suzette Arsenault [maire de Bonaventure de 1989 à 1996] qui disait que, quand elle arrivait au conseil municipal, où il y avait une ou deux femmes qui étaient conseillères avec elle, elles [les femmes] avaient lu la documentation envoyée, surligné des passages. Tu sais, elles étaient prêtes à faire feu. Mais les hommes ouvraient, décachetaient leur enveloppe au début de l’assemblée [rire]. Je me dis, c’est démesuré! L’obligation des femmes de faire leurs preuves, plus que les hommes! »

Lors des élections du 7 avril 2014, 34 femmes ont été élues à l’Assemblée nationale, soit 27,2 % des députés actuellement actifs au Québec. Sur la scène municipale, à peine 15 % des postes de maire sont occupés par des femmes. Dans le privé, au Québec, les femmes représentent encore moins de 20 % des membres des conseils d’administration de la plupart des grandes entreprises.

 « Quand je suis arrivée au CRCD, l’ancêtre de la CRÉ [Conférence régionale des élus], ben on était deux femmes et il y avait 46 hommes [années 1990]. Il a fallu que je mette mes gants blancs et que j’utilise beaucoup l’humour pour faire passer les droits des femmes », rapporte Mme Forest qui a cependant vu les choses évoluer. Et autant en Gaspésie, « peut-être même plus », qu’ailleurs au Québec.

« Il y a des subtilités régionales, mais la condition féminine n’est pas meilleure en ville qu’ici. Y sont machos partout [rire]. Et il y en a partout qui ne le sont pas [machos]. Mais quand ils le sont, ils le sont autant à Montréal qu’à New Richmond. »

« Avec M. Berger [Bertrand], à la CRÉ, ce n’était pas toujours facile. Il avait des petits côtés macho, mais il était capable d’entendre raison. Après avoir rougi, il baissait sa pression et pouvait avoir une belle ouverture, ce qui n’était pas le cas de tous les présidents de CRÉ à travers le Québec. Très souvent, les autres Marie-Thérèse du Québec se faisaient envoyer promener. »

Un combat encore quotidien
Ce que ça donne le féminisme aussi, selon Mme Forest, c’est lutter, au quotidien, pour ce qu’elle appelle “le féminisme ordinaire”. Surtout quand il y a des enfants dans le décor, c’est là qu’on voit clairement les inégalités. Le gars dit “je vais faire à manger”, la fille dit “moi je vais faire le ménage”… C’est très bien, mais qui va faire l’épicerie? Passer la majorité du temps avec les enfants? Il faut surveiller le travail “invisible” que j’appelle, pour s’assurer que tout reste équitable et égalitaire tout le temps. Une chose qui m’horripile, c’est quand j’entends un papa dire : “Ben, ce soir, je vais garder les enfants”. Est-ce qu’une mère dirait qu’elle va garder son enfant? Jamais! »

Autre exemple qui en appelle au « féminisme ordinaire », rapporte Mme Forest : « tu vas à la quincaillerie avec ton chum et jamais le quincailler ne te parle à toi. Il ne te regarde même pas. C’est pourtant toi qui poses la question. Et c’est toi qui vas payer! C’est pareil au garage! »

« On se bat pour des cours d’éducation sexuelle à l’école. D’après moi, ça devrait être des cours d’éducation à l’égalité. Parce que le sexe, c’est une infime partie des relations hommes-femmes. Il y a autre chose dans la vie. C’est certain qu’il faut que ça fasse partie de l’éducation des jeunes, mais on aurait avantage à élargir le mandat de ces cours. »

« Parce que les combats ne sont pas tous gagnés. Il faut encore savoir mettre le poing sur la table et dire haut et fort : ça va faire! Mais c’est quand même plus payant de développer des alliances et d’y aller avec humour […]. Cependant, si un homme a des propos misogynes ou macho, faut être capable de le dire en face. Sans rire. Mais s’il agit comme mon allié, je ne vois pas pourquoi je lui ferais des jambettes », note Mme Forest. Comme quoi, l’égalité, ça veut aussi dire se respecter!

PAS UNE FÉMINISTE « DE LA PREMIÈRE HEURE »
Marie-Thérèse Forest est un nom attaché au féminisme en Gaspésie depuis 30 ans. Elle a notamment travaillé à la création de la Table régionale des groupes de femmes, qu’elle a coordonnée pendant les 17 dernières années. Mais étonnamment, elle n’est pas ce qu’on pourrait appeler une féministe militante « de la première heure ». Elle a fait une bonne partie de sa vie sans avoir ce qu’on appelle « la flamme féministe ».

Fin 1970, début 1980, elle travaille à Montréal, en communications, pour développer la radiodiffusion communautaire au Québec. Elle a notamment travaillé avec CIEU, CJRG, CFIM et une dizaine d’autres radios alors en implantation. « Ç’a été un travail que j’ai beaucoup aimé. J’avançais donc, jusqu’à 35 ans, enveloppée dans le monde des communications, sans le féminisme, bien que j’étais consciente des difficultés qu’éprouvaient les femmes en général. »

Puis, l’innommable survient!
« J’haïs les féministes! Vous êtes une bande de féministes! » C’est ce qu’a crié Marc Lépine en tirant à bout portant sur des étudiantes d’une classe de génie mécanique de l’École polytechnique de l’Université de Montréal le 6 décembre 1989. Quelques minutes plus tard, Marc Lépine se suicide. Quatorze femmes ont perdu la vie ce jour-là. Dans la lettre d’adieu retrouvée sur lui, le tueur avait dressé une liste de 15 femmes connues, identifiées comme « des féministes à abattre ».

« Je me suis rendu compte, ce jour-là, que c’était un meurtre qui visait exclusivement des femmes. Quand on subit quelque chose uniquement parce qu’on est une femme… c’est inacceptable! »

« Je pense que le féminisme est, d’abord et avant tout, collectif. Dans le sens que, sur le plan individuel, il y a des femmes qui ont toujours tiré leur épingle du jeu pour toutes sortes de raisons : force de caractère, éducation, détermination, enfance heureuse, conjoint ou conjointe facilitants… Il y a comme plein d’éléments qui peuvent faire en sorte que oups! La vie va assez bien. Sauf que quand tu te mets à regarder la situation collective des femmes, des actes de haine comme celui de Polytechnique ou d’autres horreurs du genre, c’est tout autre chose et il reste encore un énorme travail à faire au Québec, comme ailleurs. Quoique c’est encore pire à l’étranger. Il y a des femmes dans les pays musulmans qui n’ont même pas le droit de conduire. Et on ne parle pas de l’accès à l’éducation. »

Inquiète pour l’avenir
Mme Forest dit se sentir bien à la retraite, d’autant plus qu’elle se verrait bien mal gérer « la décroissance actuelle », dit-elle.

« Parce que la décroissance a un nom, dit-elle. Elle s’appelle Mireille, Céline, Nastassia », des femmes qui sont toujours au service de la Table régionale des groupes de femmes, mais risquent de perdre leur emploi, « parce qu’il n’y a plus d’argent pour les payer », déplore Mme Forest.

« La Gaspésie a été la seule région du Québec à financer régionalement l’avancement de sa condition féminine. Ç’a duré neuf ans. Ce n’est pas rien. On avait une entente de collaboration qui était unique au Québec et qui nous donnait accès à des fonds. La direction régionale d’Emploi-Québec, la CRÉ et d’autres partenaires étaient impliqués. Mais tout ça fout le camp actuellement. »

« Comme mouvement, je pense qu’on va reculer avec l’austérité. Parce que ça nous enlève des moyens financiers et des outils pour développer des alliances. On n’est plus reconnus et il n’y a plus de lieux où on peut interagir. Je suis très inquiète! », conclut Mme Forest.

Tranche de vie
Marie-Thérèse Forest est native de Montréal. Elle arrive en Gaspésie à l’époque du développement de la radio communautaire, au début des années 1980. Elle donne un cours itinérant pour favoriser l’implantation desdites radios. Au départ, elle échange sa maison de Montréal contre celle d’une amie de Maria.

« Je n’ai jamais pu repartir. J’ai des amis ici que je n’aurais pas ailleurs. Je ne peux pas faire de sport, parce que je suis limitée, mais je vais beaucoup dehors et j’apprécie la mer et l’environnement qu’on a ici. »

Mme Forest est en fauteuil roulant depuis 15 ans. Son cervelet dégénère, parce qu’il n’est plus alimenté par une certaine protéine qui agit sur l’équilibre depuis qu’elle est passée sous un taxi au centre-ville de Montréal à l’âge de 25 ans.

Cela ne l’a pas empêchée d’avoir une fille, aujourd’hui âgée de 35 ans, et de mener une vie d’accomplissements et de réalisations qui lui valent sans contredit la reconnaissance, le respect, voire même l’admiration de tous ceux qui croisent son chemin.

Pour les férus d’histoire…
Thérèse Casgrain sera la première femme chef de parti politique au Québec. Elle dirigera la branche québécoise du Parti social-démocratique (CCF), un parti fédéral, de 1951 à 1957. C’est sous la pression d’un mouvement féministe qu’elle a mené que les Québécoises pourront finalement voter aux élections provinciales du 25 avril 1940, soit 24 ans après les Manitobaines, qui furent les premières à avoir ce droit au Canada.

Toutefois, ce n’est qu’en 1961 que les femmes auront une voix dans l’enceinte parlementaire du Québec. Cette voix, c’est Marie-Claire Kirkland-Casgrain, première femme élue députée provinciale et la première à être ministre. Elle fait avancer la cause des femmes en présentant un projet de loi qui, en 1964, met fin à l’incapacité juridique des femmes mariées. Cependant, la présence significative des femmes à l’Assemblée nationale ne se fait sentir que dans les années 1980. Il faut attendre 1985 pour que les candidates élues dépassent la dizaine : 18 en 1985, 23 en 1989 et 1994, pour atteindre finalement 29 aux élections générales de 1998, soit 23 % des sièges.
Depuis l’adoption de la Charte québécoise des droits et libertés en 1975, toute discrimination fondée sur le sexe est interdite.

Pour en savoir plus sur la condition féminine en Gaspésie et ailleurs, voici quelques liens :
http://www.femmesgim.qc.ca/organisation.html
https://www.csf.gouv.qc.ca/
http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/conditions-vie-societe/egalite-hommes-femmes.pdf

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