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Éditorial
18 novembre 2021 10 h 44

Le pétrole semble réglé, mais qu’en est-il des forêts?

Gilles Gagné

Éditorialiste

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En termes de baseball, on dirait que le gouvernement de la Coalition avenir Québec a frappé un coup sûr quand il a décrété qu’il abolira sous peu l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures sur son territoire de juridiction. Ainsi, il sera désormais interdit d’amorcer des travaux pour y trouver du pétrole et du gaz.

Comme la probabilité la plus élevée d’en trouver se situait en Gaspésie, la région est libérée de la menace qui pesait contre la qualité de son environnement.

Il serait exagéré de lier la décision du gouvernement de François Legault à ses seules convictions environnementales, convictions qui restent largement à prouver. Si l’État coupe les vivres réglementaires aux sociétés d’exploration pétrolière, c’est avant tout parce que le Québec ne recèle pas de grands gisements susceptibles d’être rentables.

La Gaspésie constitue un exemple éclairant pour illustrer cette réalité. Il y a ici du pétrole léger et facile à raffiner. Il est toutefois situé dans une multitude de petites « poches » souterraines, comme l’ont démontré les travaux exploratoires à Galt, réalisés par Junex, maintenant connue sous le nom de Gaspé Énergies, elle-même subordonnée à Ressources Utica.

Les forages à Haldimand, à Tar Point, à Miguasha, à New Carlisle et à Bourque n’ont pas prouvé l’existence de gisements majeurs. Après 20 ans de recherches, il est temps de tirer un trait et c’est ce que l’État québécois a fait, sans héroïsme environnemental.

Maintenant, faut-il verser des indemnisations aux sociétés pétrolières détenant des permis légaux de forer quand le gouvernement Legault adoptera une loi interdisant l’exploration?

Si le secteur pétrolier s’était conduit de façon responsable et sans bavure au fil des 20 dernières années, on pourrait réfléchir à la pertinence d’indemniser des firmes ayant investi dans un contexte où l’exploration était permise.

Mais l’État québécois ne leur doit rien. Elles ont déjà reçu d’abondants appuis financiers par le biais d’Investissement Québec et de sa filiale Ressources Québec, dans un contexte où certaines de ces compagnies roulaient des épaules, notamment par le biais des tribunaux, pour forer de façon conventionnelle ou par fracturation. Pieridae veut fracturer, dans le secteur de Bourque, près de Murdochville.

Le secteur pétrolier a aussi reçu 62,5 millions de dollars pour se retirer d’Anticosti. Le ministre des Ressources naturelles et ministre responsable de la Gaspésie, Jonatan Julien, s’interroge sur la pertinence de l’indemniser. Pourtant, certaines de ces firmes poursuivent l’État québécois afin de modifier l’interprétation de règlements protégeant les sources d’eau.

Nous ne devons rien à une industrie qui, à l’échelle internationale, a fonctionné par collusion, manoeuvres louches, mensonges, chantage et manipulation depuis sa naissance.

Le gouvernement québécois se sert notamment de cet interdit d’exploration pour montrer son côté « vert ». Il s’agit toutefois d’un vert bien pâle. Le vrai test écologique du gouvernement Legault se situe devant lui, pas derrière. Le troisième lien, ce tunnel insensé projeté entre Lévis et Québec, de même qu’une gestion forestière déficiente, constituent deux des volets les plus préoccupants à l’horizon.

Alors que le projet de tunnel finira probablement par s’éteindre, l’urgence sévit dans le secteur forestier. Le ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour, exprime des intentions inquiétantes et il multiplie les décisions douteuses.

En 2019, il a dit souhaiter que l’industrie forestière québécoise double sa production de bois. Il a drapé cette intention dans une déclaration supposément rassurante pour l’environnement, à l’effet qu’il se planterait davantage d’arbres. L’hypothèse « scientifique » derrière cette déclaration ne tient pourtant pas la route.

Il faut certes continuer à planter des arbres dans des secteurs appauvris, mais il convient surtout de mieux protéger des forêts matures et des forêts anciennes, puisqu’un gros arbre emmagasine bien plus de carbone que des arbres fraîchement plantés. C’est de la géométrie de base.

Au début de 2021, le ministre Dufour a d’autre part mis sur la glace la protection de 82 écosystèmes forestiers jugés primordiaux pour la biodiversité. Il a livré plusieurs de ces écosystèmes à l’industrie, bien qu’il soit revenu sur sa décision quant à la forêt de la rivière Péribonka.

Cette obsession commerciale éclabousse au passage une partie des forêts anciennes de la ZEC des Anses, tout près de Chandler. Cet écosystème n’apparaissait nulle part dans l’ensemble des lieux à protéger par le ministère des Forêts de la Faune et des Parcs. Il a fallu une intervention citoyenne pour qu’il soit au moins soumis à une étude menée par des biologistes. Sans cette mobilisation, les routes forestières seraient déjà construites et les premiers arbres seraient sur le point d’être abattus.

Il existe combien d’exemples similaires à celui de la ZEC des Anses en Gaspésie et au Québec? Quelqu’un réalise-t-il, à la division « Forêts » du ministère, que l’ensemble de ces écosystèmes représente une surface infime du potentiel ligneux québécois?

Comme l’indiquait l’enseignant Pierre- Luc Arsenault dans l’édition de septembre de GRAFFICI, ce qui est arrivé au cours des dernières années au troupeau de caribous de la Gaspésie est un retentissant aveu d’échec de gestion forestière et faunique.

Pourtant, le ministre Dufour a apparemment repoussé à 2024 la stratégie de protection du caribou devant initialement être dévoilée avant la fin de 2021, alors que l’espèce décline rapidement! Il ne reste que 40 caribous forestiers en Gaspésie.

Bien des scientifiques déplorent que la division « Forêts » du ministère y domine outrageusement les divisions « Faune et Parcs ». Ce report vient confirmer les craintes des chercheurs.

Comme l’indique depuis quelques années le chercheur Martin-Hugues Saint-Laurent de l’Université du Québec à Rimouski, le temps était à l’action et au leadership politique pour le caribou, et le ministre a décidé d’attendre, sans
doute pour ménager l’industrie forestière.

Au lieu d’agir avec courage, Pierre Dufour a choisi un report qui mènera inévitablement à une confrontation entre l’industrie forestière et les protecteurs de la biodiversité. Il y aura probablement un perdant, et il y a fort à parier
qu’il s’agira de la faune. Le report la fragilise déjà.

Le ministre gonfle le torse en rappelant qu’il instaure un programme de protection des femelles en gestation par le biais de l’aménagement d’enclos. C’est un détour politique minable vis-à-vis le véritable enjeu qui consiste à restaurer l’habitat du caribou.

Ce cervidé a besoin de lichens pour se nourrir et procréer. Ces lichens poussent dans des forêts matures. Or, les 50 dernières années de gestion forestière au Québec ont été orientées en fonction de rajeunir les peuplements d’arbres
et tout indique que la stratégie perdurera. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec semble penser qu’un bon arbre est un arbre mort, scié sur quatre côtés, et classé en paquets avec ses congénères pour expédition vers les États-Unis. Depuis 1980, la productivité forestière a chuté de 20% pour une aire donnée au Québec.

Si nous perdons le caribou forestier, il y aura un effet domino sur les espèces vivant en symbiose. Si d’autres forêts anciennes disparaissent, nous perdrons tous les connaissances caractérisant leurs milieux particuliers. Les chercheurs ont à peine effleuré le savoir que ces surfaces recèlent, comme le soulignait en septembre à GRAFFICI le professeur Yvan Gagnon, de Gaspé.

La pandémie devrait nous avoir appris que l’empiètement sans subtilité dans des écosystèmes naturels mène à des catastrophes et que la gestion faunique requiert un minimum de doigté.

Le ministre Pierre Dufour saura-t-il écouter la science et la saine logique?