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11 septembre 2025 16 h 40

L’érosion côtière en Gaspésie : des endroits à surveiller à court terme

Depuis 25 ans, l’érosion côtière constitue un problème prenant de l’ampleur en Gaspésie. Des tempêtes alliées à de fortes marées, l’absence d’un couvert de glace en hiver, des épisodes de vent et de pluies soudaines de plus en plus fréquents contribuent à identifier des secteurs plus fragiles et à accélérer le processus de décision, le cheminement des études et les actions qui en découlent. GRAFFICI s’intéresse dans ce dossier à l’évolution récente de l’érosion côtière, notamment en identifiant des endroits où des interventions sont en cours, ou qui en feront l’objet sous peu.

Avignon : Maria en action et Carleton en planification

MARIA | Les plus importants travaux de protection des berges en cours en Gaspésie sont réalisés depuis le début de juillet à Maria. Ils consistent à recharger la plage de la municipalité sur une distance de 1,2 kilomètre, de façon à soustraire un secteur résidentiel, commercial et institutionnel aux assauts marins.

Le volume de galets, ou d’agrégats, est majeur. Il s’élèvera entre 500 000 et 550 000 tonnes quand le transport d’une carrière de Nouvelle jusqu’au littoral de Maria sera complété, en novembre. La majeure partie de ce transport est réalisé par train.

« Ces travaux sont urgents. On est à la veille de perdre le marché d’alimentation à cause de l’érosion et éventuellement, l’hôpital sera menacé », précise le maire de Maria, Jean-Claude Landry.

Un programme mis de l’avant par le gouvernement du Québec et la municipalité offre des indemnisations aux 48 propriétaires de la rue des Tournepierres afin qu’ils quittent ce secteur particulièrement soumis aux éléments lors de la grande tempête du 6 décembre 2010, et à quelques occasions depuis 15 ans.

Les travaux de recharge de plage, et ce qu’ils impliquent comme ouvrage connexe, se traduisent par un contrat de 22,3 millions de dollars (M$). La Municipalité de Maria débourse 10 % de la note et le gouvernement du Québec paie le reste.

Pendant ce temps, à Carleton, le maire Mathieu Lapointe, également préfet de la MRC d’Avignon, précise que « la problématique d’érosion ne semble pas aussi préoccupante à Nouvelle et Escuminac. Reste Carleton et Maria. À Carleton, le secteur prioritaire est celui de la pointe Tracadigash ».

L’érosion après la courbe serrée menant au camping municipal, de même que dans le secteur du goulet, là où les deux langues de sable se rapprochent, en plus de la submersion sur le camping, comme c’est arrivé le 6 décembre 2010, constituent les principales sources de préoccupation, bien que les résidences permanentes soient rares, et concentrées sur la rue du Quai.

« Il y a aussi le banc de Saint-Omer qui est problématique. Si la mer passe par-dessus le banc, elle risque de faire disparaître le barachois et exposer les maisons, et le CLSC, aux fortes marées. C’est préoccupant, oui, mais la non-intervention est ce qui est indiqué par les spécialistes », conclut le préfet Lapointe.


Depuis le début de juillet, des travaux majeurs visent à protéger le secteur névralgique de Maria. Photo : Gilles Gagné

Bonaventure : le coeur de New Richmond à surveiller

NEW RICHMOND | Le hasard fait que quelques-uns des endroits les plus fragiles de la MRC de Bonaventure se situent dans la ville que dirige aussi le préfet, Éric Dubé. C’est aussi là, parmi les municipalités côtières, qu’est localisée la plus grande distance entre la route 132 et la baie des Chaleurs, une caractéristique qui pourrait se traduire par du « mouvement », comme des déplacements de maisons.

L’année 2025-2026 constitue la première de trois années du Plan climat, un exercice « imposé » aux zones côtières par l’État québécois dans le but d’identifier des secteurs d’intervention à prioriser.

M. Dubé signale que « pour le moment, nous n’avons pas de zones prioritaires comme à Maria. On va le savoir avec les prochains Plans climat. Ce qu’on voit à l’évidence, c’est la protection de la zone du pont H.A Leblanc, qui enjambe la rivière Petite-Cascapédia près de la pointe Taylor. Il y a près de 2 M$ à investir là, mais ce n’est pas urgent. Par contre, ça va coûter moins cher si on investit 1,7 M$ maintenant plutôt que de mettre 10 M$ quand le chemin sera cassé. C’est dans la boucle [de demande de financement], mais on sera rendu là un jour. »

Un peu plus à l’ouest, toujours à New Richmond, le secteur du chemin de la Plage sera dans la même situation.

« Le plus gros glissement, c’est dans le chemin de la Plage qu’il a eu lieu, analyse Éric Dubé. Il faudra aussi surveiller le secteur de la salle de spectacle et de l’hôtel de ville de New Richmond. Je ne m’attends pas à voir dans la MRC de Bonaventure des secteurs résidentiels menacés, mais je ne vois pas d’aide massive arriver avant quelques années non plus. On surveille pour qu’il ne s’abatte pas d’arbres, qui retiennent le sol. Ma crainte, c’est que les secteurs résidentiels, à moins d’un secteur densifié, soient ceux où on risque de voir des maisons être tassées, quand la route 132 est trop loin de la mer pour qu’ils soient considérés comme des éléments qui la protègent. »

Le secteur de l’Île, à Saint-Siméon, et la zone située à la limite municipale de Hope Town et de Saint-Godefroi, où la falaise s’est rapprochée de quelques maisons, représentent d’autres endroits à surveiller dans un avenir prévisible.


Le secteur sud du centre-ville de New Richmond, près de l’église et de l’hôtel de ville, sera à protéger avant longtemps. Photo : Gilles Gagné

La Côte-de-Gaspé : passé et futur

Lorsque l’érosion et la submersion côtières sont abordées dans La Côte-de-Gaspé, L’Anse-à-Valleau et Rivière-au-Renard arrivent en haut de liste.

Le premier village a été affecté par les grandes tempêtes en décembre 2016. La rue principale – la rue des Touristes – est à risque. « Si on laisse aller la nature, il faudrait sacrifier ce beau village. On n’est pas prêts à ça comme ville. Sans protection, plusieurs dizaines de maisons seraient à délocaliser », explique le préfet Daniel Côté.

Après tergiversations quant à son déplacement ou à sa sécurisation, il a finalement été décidé par Québec d’enrocher la partie centrale de la rue des Touristes. Gaspé, elle, voudrait un enrochement complet.

Des plans et devis sont en préparation pour les deux options, avec un enrochement total ou partiel. Québec paiera 80 % de la facture totale.

« Les berges de juridiction provinciale se font frapper par la mer qui est de juridiction fédérale. Le municipal a peu à voir là-dedans, mais quand on vient déplacer ou exproprier des citoyens, ça tombe dans notre cour. On ne peut pas prendre tout ça sur nos épaules, c’est trop coûteux », analyse celui qui est également maire de Gaspé.

À Rivière-au-Renard, la stratégie a été différente avec une recharge de plage en galets, un peu comme à Percé. Le secteur de la rue du Banc a ainsi été rendu plus résilient aux aléas climatiques. Malgré des craintes lors des grandes tempêtes de décembre 2022, l’infrastructure a tenu bon. Avec plusieurs autres secteurs à risque sous son aile, la Ville de Gaspé a inscrit la lutte contre les changements climatiques et la résilience du territoire comme l’une des quatre priorités de sa planification stratégique 2025-2034. Le schéma d’aménagement de la MRC va aussi en ce sens.

« On détermine des zones très susceptibles où on ne pourra plus se construire à l’avenir pour éviter que les gens subissent des périls ou risquent de se faire délocaliser, précise Daniel Côté. On est mieux de le faire en amont avec une bonne planification parce qu’au Québec, on agit très peu de manière préventive. On agit souvent quand la maison est en train de tomber dans la mer, même si ça coûte plus cher de réparer que de prévenir. »


Des anciens chalets touristiques entre la mer et la rue des Touristes à L’Anse-à-Valleau devront être démolis ou déplacés. Photo : Jean-Philippe Thibault

La Haute-Gaspésie : des dizaines de millions pour en sauver des centaines

En 2023, le gouvernement du Québec a annoncé des investissements futurs de près de 14 millions de dollars pour des travaux de protection des berges à Sainte-Anne-des-Monts. Le tout faisait partie d’une enveloppe plus large de 67,4 millions pour six projets dans l’Est-du-Québec.

L’érosion et la submersion côtières frappent évidemment la péninsule gaspésienne, une des régions les plus touchées au Québec avec le Bas-Saint-Laurent, la Côte-Nord, les Îles-de-la-Madeleine, la Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches. Des études ont enregistré un taux de recul moyen des côtes de 0,37 mètres par année entre 2000 et 2023, selon le consortium Ouranos.

Ce nombre varie dépendamment du type de sol. Les côtes rocheuses à plusieurs endroits atténuent l’érosion en Gaspésie, mais tout le monde peut être à risque. La tempête Fiona en 2022 a fait subir à une plage des Îles-de-la-
Madeleine un recul de près de 18 mètres.

Ouranos estime d’ailleurs que d’ici 2060, environ 25 % de la superficie des plages et des marais est à risque de disparaître si aucune mesure n’est mise en place pour limiter les impacts du coincement côtier.

Dans la plus grande ville de La Haute-Gaspésie, le but est de sécuriser la portion comprise entre le quai, face à l’église, et la pointe ouest de Sainte-Anne-des-Monts. Un chargé de projet a déjà été embauché à temps partiel et environ 500 000 $ ont été injectés jusqu’ici dans la démarche.

La hauteur des seuils des maisons dans le secteur visé a, par exemple, été répertoriée par des arpenteurs. L’essentiel des travaux à effectuer restent cependant à être précisés.

« On ne sait pas la distance à protéger puisque les études sont en cours. Même les solutions ne sont pas identifiées parce que certains secteurs peuvent bien aller et d’autres, moins. C’est là où le bât blesse; on attend beaucoup après les études », explique Martin Richard, le directeur général de la Ville de Sainte-Anne-des-Monts.

Des études de caractérisation doivent être produites pour obtenir des autorisations de certification environnementale. D’autres documents relatifs à la faune et aux bruits doivent être validés.

« On fait toute la ribambelle des études que le ministère de l’Environnement demande dans un projet comme ça, explique pour sa part le maire de Sainte-Anne-des-Monts, Simon Deschênes. Pour nous, ce n’est cependant pas en fast track; c’est sur le long terme. La différence avec Maria par exemple, c’est que pour eux, le processus s’est accéléré avec des maisons en danger imminent, ce qui n’est pas le cas pour nous présentement. »

S’il n’y a pas urgence, il n’en demeure pas moins que certaines infrastructures municipales névralgiques devront être protégées de l’érosion. « Notre assainissement des eaux est faite sur le long de la 1re Avenue, explique Martin Richard. Le gouvernement ne peut pas dire que le fleuve va reprendre ses droits, qu’on va enlever les maisons et que tout va bien aller : ce n’est pas vrai. Tout le système d’égout dans l’ouest de la ville passe à travers ces maisons. C’est une question de coûts-bénéfices. C’est clair et net que plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars sont en jeu ici. On est mieux de sécuriser tout ça, sinon ça va coûter cher. »

Chose certaine, avant d’aller plus loin, la population sera consultée et informée. Des consultations publiques devraient se tenir d’ici la fin de l’année, espère le maire Deschênes.

« Il faut s’assurer d’avoir l’acceptabilité des gens. Ça, nous, on y tient. On veut même accélérer le processus parce que ça fait deux ans que l’annonce a été faite et les gens restent sur leur appétit. On veut que les gens adhèrent à la démarche. »

La route 132

Québec a déposé le 9 décembre 2024 une étude d’impact afin de mettre en place un programme d’intervention de 10 ans pour les secteurs routiers vulnérables aux aléas côtiers au Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. L’étude est présentement en analyse.

Dans ces trois secteurs, le ministère des Transports évalue que d’ici 2100, pas moins de 139 kilomètres de route seront vulnérables à l’érosion, et 176 kilomètres à la submersion.

Certaines portions sont évidemment à risque sur la route 132. Le 30 décembre 2016, une section avait par exemple été emportée entre Marsoui et La Martre lors d’une tempête.

Récemment, le ministère a justement injecté 4,9 M$ pour revamper des murs de soutènement dans ce secteur. Trois zones de travaux étaient visées. « Enfin, il y a des sommes dédiées pour l’érosion au ministère des Transports depuis quelques années et surtout dans le tronçon à l’est de La Haute-Gaspésie, se réjouit Simon Deschênes. Il y a maintenant des travaux récurrents à cet effet. »


De l’enrochement a déjà été fait dans le secteur à l’est du quai, derrière la caisse Desjardins de Sainte-Anne-des-Monts. Photo : Jean-Philippe Thibault

Rocher-Percé : ne rien faire coûterait cher

Comme partout sur la péninsule, la MRC du Rocher-Percé n’échappe pas aux problèmes d’érosion. Déjà en 2016, un rapport d’Ouranos détaillait quelques particularités.

Par exemple, on estimait que sur un horizon de 50 ans, si rien n’était fait, les trois bâtiments du motel La Côte Surprise étaient en danger, de même qu’une trentaine d’emplacements de camping. L’analyse coûts-avantages montrait que ne pas intervenir conduirait à une valeur nette négative de 560 000 $ en cinq décennies pour ce commerce en particulier.

Au coeur du village, la Villa Frederick-James était ciblée. Celle-ci a depuis été déménagée (et restaurée) moyennant quelque 25,5 M$ de Québec.

L’analyse coûts-avantages tendait aussi à démontrer que la recharge de plage avec galets était la mesure la plus avantageuse du point de vue économique. L’étude notait que l’absence d’intervention sur le littoral de l’Anse du sud
mènerait à plus de 750 millions de dollars en pertes économiques pour la Gaspésie en 50 ans par rapport à la non-intervention, soit trois quarts de milliard.

Depuis, la promenade, le quai et la plage ont été reconstruits, avec certains enjeux qui restent à régler.

Percé n’a toutefois pas le monopole de l’érosion côtière. À Sainte-Thérèse-de-Gaspé, des parcelles inquiètent près du quai. « C’est dans le coin de Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, explique le préfet du Rocher-Percé, Samuel Parisé. C’est l’endroit le plus préoccupant. Il y a des terrains qui sont en train de s’affaisser, qui pourraient avoir un impact sur des maisons et des industries. »

Comme son homologue dans La Côte-de- Gaspé, il déplore le manque de prévention. « Le ministère est plus dans la réaction à l’urgence que dans la prévention. À l’interne, on en parle et ça nous préoccupe, mais pas de façon majeure, avoue-t-il candidement. On n’a pas encore pris le dossier par les cornes pour le moment, mais il faudra le faire un jour. »


Des portions de route près des côtes sont à risque, comme sur cette photo prise à L’Anse-à-Beaufils. Photo : Steve Methot