LM Wind Power : la naissance d’un géant – partie 1/2
Le 14 juillet 2021, Justin Trudeau, premier ministre du Canada, Heather Chalmers, présidente-directrice générale de General Electric (GE) Canada, et Alexandre Boulay, chef des opérations Amériques chez LM Wind Power, sont réunis à Gaspé en compagnie de plusieurs autres ministres et dignitaires afin d’annoncer des investissements chiffrés entre 160 et 170 millions de dollars visant à agrandir l’usine de pales d’éoliennes de la pointe gaspésienne. Le but avoué : manufacturer les plus grandes pales au monde, se positionner comme un chef de file international et assurer la pérennité de l’entreprise pour encore au moins 10 ans. Retour sur une épopée gargantuesque.
GASPÉ | Les futures pales feront 107 mètres de longueur, l’équivalent d’un terrain de football américain, et seront destinées au marché offshore. Autrement dit, des éoliennes qui seront implantées en haute mer, au large des côtes, plutôt que sur terre. Les pales seront pratiquement trois fois plus longues que celles de 37 mètres fabriquées à l’ouverture de l’usine en 2006, qui se retrouvent, par exemple, dans des parcs comme celui de L’Anse-à-Valleau. Elles seront aussi presque deux fois plus imposantes que celles de 55,8 mètres sorties des ateliers en 2015, qui étaient les plus longues fabriquées au Canada. Aujourd’hui, ce sont les pales de 47 mètres qui sont en vogue, mais demain, ce seront les 107 mètres qui domineront.
L’agrandissement – dont les travaux sont toujours en cours – fera plus que doubler la taille de l’usine. Conséquemment, ce sont 200 travailleurs qui viendront s’ajouter aux 480 autres déjà sur place. Et il y en aura probablement bien davantage avant longtemps. « Ça sera peut-être 400 ou même 600 [nouveaux emplois]. C’est énorme ce qui se passe! », expliquait l’an dernier le maire de Gaspé, Daniel Côté. Il n’est donc pas impossible que le nombre d’employés puisse atteindre la barre symbolique des 1000 dans un horizon de quelques années. LM Wind Power est déjà le plus gros employeur privé de la péninsule et compte sur le soutien d’une main-d’oeuvre de plus de 20 nationalités différentes.
Avec un peu de recul, il faut avouer que les chiffres sont mirobolants. D’autant plus que le premier béton n’était même pas coulé, en 2005, qu’on entendait les détracteurs affirmer que le projet serait mort et enterré 10 ans plus tard pour une usine située à plus de 900 kilomètres de Montréal. En 2016, on prédisait même la fin de la filière éolienne québécoise. « La question qu’il faudrait toujours se poser avant de développer de l’énergie, c’est : est-ce qu’il y a un marché? La réponse est non et ce sera non pour encore longtemps », prophétisait alors Roger Lanoue, un ancien dirigeant d’Hydro-Québec et alors coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques.
Il est vrai que certains joueurs sont tombés au combat au fil des ans, le dernier en date étant Marmen à Matane, qui se concentrait sur les tours d’éoliennes et qui assemblait des nacelles à ses débuts. L’usine matanaise a été érigée en 2005 – tout comme celle de LM Wind Power à Gaspé – mais plus aucune composante éolienne n’en sort depuis septembre 2021. Même son de cloche chez le turbinier Enercon, également à Matane, qui, lui, a mis un terme à ses activités en 2016. Ou Fabrication Delta à New Richmond qui a abandonné le marché des tours et des moyeux. Reste donc les infrastructures de Gaspé, qui au contraire, ne cessent de prendre de l’ampleur et qui augmenteront significativement leur rôle de pourvoyeur de premier plan dans un contexte mondial de transition énergétique verte. Bien malin celui qui aurait pu imaginer un tel scénario il y a 20 ans.
Alexandre Boulay, accompagné du superviseur de chantier Carsten Nymann et d’Anik Synnott, adjointe administrative. Le trio montre les plans de l’usine LM Glassfiber, du nom de la compagnie en juillet 2005, alors que la mise en chantier venait de s’amorcer. Photo : Gilles Gagné
L’embryon prend forme
Au début des années 2000, un marasme économique certain frappe la Gaspésie. Le mot est même un peu faible, frôlant l’euphémisme.
La fin de l’exploitation de la mine de cuivre à Murdochville en 1999 et la fermeture définitive de la fonderie par Noranda en 2002 marquent les esprits. Au total, 660 emplois sont perdus.
Pratiquement au même moment, entre novembre 1998 et octobre 1999, ce sont 560 autres travailleurs oeuvrant à la fabrication de papier journal qui perdent leur gagne-pain avec la fin des opérations de l’usine Gaspésia à Chandler. L’ambitieux plan de relance qui suivra sera un retentissant échec. Les travaux de transformation sont officiellement abandonnés en 2004, en raison de dépassements de coûts faramineux qui engloutiront 312 millions de dollars.
En août 2005, c’est Smurfit-Stone qui lance la serviette avec sa cartonnerie de New Richmond, envoyant 295 personnes au chômage et tirant un trait définitif à l’épopée papetière dans la région. Tout cela vient avec, en toile de fond, la crise du poisson de fond quelques années plus tôt.
Démographiquement, de 1998 à 2002, la saignée est à son apogée en Gaspésie. Le solde migratoire interrégional obtient ses pires statistiques en 35 ans, alors qu’on assiste à 8091 départs de plus que d’arrivées. Quant au tourisme, il est loin d’être ce qu’il est aujourd’hui.
Bref, une morosité flotte en Gaspésie, même si la situation est un peu plus rose à Gaspé, qui réussit malgré tout à se sortir la tête de l’eau comparativement à d’autres agglomérations plus durement touchées. L’implantation coup sur coup du Centre de gestion des prêts étudiants de Desjardins, en 2002, et l’arrivée d’un centre de service à la clientèle de ce qui s’appelle maintenant le ministère de la Solidarité sociale, permettra pour chacun des organismes la création de 100 emplois, pour un total de 200. Gaspé se relève tranquillement, mais demeure tout de même fragile. Personne ne veut rejouer dans ce mauvais scénario en mettant tous ses oeufs dans le même panier, pour devenir la prochaine ville monoindustrielle qui s’en mordra les doigts quelques années plus tard.
François Roussy, qui a été à la tête de la municipalité de novembre 2005 jusqu’en 2013, garde un souvenir indélébile de cette époque, avec des projets en gestation qui se rendaient rarement à leur réalisation. « Ça n’allait pas bien en Gaspésie. C’était un peu mieux ici pour Gaspé, mais on arrivait d’une crise où il y avait environ 500 maisons à vendre, se remémore l’exmaire de l’époque. Les gens étaient nerveux. Aucun projet qu’on croyait qui allait lever ne fonctionnait. Quand je suis arrivé, on gérait des fonds de création d’emplois municipaux. On donnait des timbres de chômage à des gens; c’est ça qu’on faisait! Disons que l’économie n’était pas à son meilleur. »
Que faire dans les circonstances? Pour certains, rester les bras croisés n’est pas une option. Il faut un plan, une idée, préparer une contre-attaque. Tout près, à Cap-Chat, le premier parc éolien du Québec vient de démarrer ses activités, en 1998. Deux ans plus tard, c’est le TechnoCentre éolien de Gaspé qui voit le jour, le Centre collégial de transfert de technologie (CCTT). Tranquillement, l’éolien s’immisce dans les conversations et apparaît dans l’air du temps, même si à peu près personne ne se doute véritablement de tout le potentiel de la filière. Le 3 mars 2001, Bernard Landry est désigné comme premier ministre du Québec. Seulement trois semaines plus tôt, il s’était lui-même nommé président du comité de relance de la Gaspésie. Il demande alors à Évangéliste Bourdages, qui a déjà contribué à mettre sur pied le TechnoCentre éolien, de le présider, ce qu’il fera pendant quelques années.
Ce dernier a fondé, en 1982, le Groupe Ohméga de Gaspé qui oeuvrait alors principalement dans le domaine de l’électricité de construction, mais qui a ensuite ouvert ses horizons avec d’autres secteurs d’activités dont l’automatisation. L’entreprise avait déjà contribué à récolter des données importantes quant au potentiel éolien de la région. « On avait commencé à faire des mesures de vent pour le ministère des Ressources naturelles. C’était nos débuts en télémétrie et le gouvernement voulait avoir des données en temps réel à leurs bureaux de Québec à tous les matins, ce que les autres systèmes ne faisaient pas à l’époque. C’est comme ça qu’on a été mis au parfum de l’éolien et comme quoi on avait un potentiel, alors que le politique cherchait des avenues de développement pour la Gaspésie », explique M. Bourdages.
Ardent défenseur de la Gaspésie, l’homme né à Saint-Elzéar a toujours mis l’accent sur l’importance de pouvoir redonner à son milieu, ayant lui-même pu gagner sa vie dans sa région natale contrairement à ses 11 frères et soeurs
qui ont dû s’expatrier. « La situation générale de la région m’interpellait. J’ai dit à M. Landry de nous donner un budget pour qu’on puisse faire une analyse de marché sur le potentiel de développement éolien à travers le monde.
Le mandat a été donné et l’analyse était assez étonnante, en montrant que ça ne bougeait pas beaucoup de ce côté de l’Atlantique, mais qu’il y avait une réelle effervescence en Europe. »
À peu près au même moment, le TechnoCentre compte dans ses rangs un stagiaire dans la jeune vingtaine qui étudie
alors en génie des matériaux à l’Université Laval : un certain Alexandre Boulay. L’un de ses projets d’études est d’évaluer la possibilité d’ouvrir une usine de pales d’éoliennes en Gaspésie.
Fait moins connu, plusieurs autres idées avaient aussi été lancées à l’époque, comme celle de convertir la fonderie de Norcast à Mont-Joli en usine de moyeux d’éoliennes. Ou encore la possibilité de construire des nacelles à Sainte-
Anne-des-Monts. Pour les pales à Gaspé, on regarde les options et on lorgne initialement vers le terrain où se construira plus tard GDS devenu aujourd’hui le garage municipal de la Ville de Gaspé. D’autres acteurs s’intéressent à ce créneau, comme par exemple Fibre de verre Rioux de Trois-Pistoles, qui dit ouvertement vouloir convertir ses installations. Tout est à faire et aucune idée n’est écartée à ce moment. C’est aussi en 2001 qu’Hydro-Québec
Le chantier de construction au tout début de l’aventure, à la mi-juillet 2005, réalisé par LFG Construction de Carleton-sur-Mer. Photo : Gilles Gagné
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