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11 septembre 2019 17 h 30

Percé, l’ensorceleuse

Pascal Alain

Chroniqueur

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Carleton-sur-Mer | Chaque été qui passe m’amène inévitablement à Percé. Qu’on aime ou pas la flopée de boutiques, ce village me semble toujours aussi magique et fascinant. Sur place, je m’amuse à imaginer la vie au 17e siècle, au temps où des équipages venant d’Europe faisaient la course pour s’approprier les graves servant au séchage de la fameuse morue tant convoitée.

Se retrouver à Percé sans jeter un regard à son célèbre rocher est tout simplement impensable. En le voyant, il me vient en mémoire l’une des premières illustrations connues du rocher. Il faut remonter à l’année 1758, à l’époque où l’Amérique est plongée dans la Guerre de la Conquête, conflit opposant les deux grandes puissances impérialistes du temps, la France et la GrandeBretagne, assoiffées de richesses. En ce mois de septembre 1758, le général britannique James Wolfe débarque en Gaspésie avec ses troupes, en vue de détruire toutes les installations et habitations de la côte. Pendant que « l’ouragan » Wolfe fait des ravages, le capitaine Hervey Smith effectue un dessin montrant un navire britannique qui navigue vers le rocher percé. Ce dernier est alors muni de deux arches. De retour à Londres, Smith fait publier son dessin qui marque l’imaginaire. Le rocher entrait ainsi dans l’histoire…

Puis, le temps a filé à vive allure, propulsant le village de Percé à travers les siècles. En 1956, les artistes Suzanne Guité et Alberto Tommi ouvrent, à même un vieux hangar de la compagnie Robin, le Centre d’art de Percé. En peu de temps, l’endroit devient un carrefour de création multidisciplinaire où se côtoient peinture, sculpture, métiers d’art, théâtre, cinéma et chanson. Des artistes québécois de renom montent sur les planches de ce lieu mythique pour ne nommer que Félix Leclerc, Jean-Pierre Ferland, Raymond Lévesque, Pauline Julien, Claude Léveillée et bien d’autres. Un certain Gaston Miron s’y arrête pour visiter son amie Suzanne.

Par ses paysages uniques, Percé maîtrise l’art de séduire et d’inspirer ceux qui s’y aventurent. Précédant la grande Suzanne Guité, de nombreux artistes se font ensorceler par l’aura que dégage ce village. Le peintre Marc-Aurèle Fortin y immortalise de nombreuses scènes. Son confrère automatiste Paul-Émile Borduas, co-auteur du Refus global en 1948, s’y amène une décennie avant la parution de ce manifeste. On le retrouve donc à Percé, en 1938, cette fois avec un appareil photo, gravant sur pellicule la Gaspésie pittoresque. La plupart des clichés de Borduas issus de Percé révèlent une composition laissant présager ses futurs tableaux.

À l’automne 1944, c’est au tour du père du surréalisme, le Français André Breton, alors en exil, de se ressourcer à Percé. Le lieu l’inspire et l’influence au point où il entame la rédaction de son essai-récit Arcane 17, une œuvre complexe et particulièrement riche d’influences littéraires, poétiques, politiques et ésotériques.

Quant à la décennie 1960, elle consacre le Centre d’art de Percé comme lieu de rassemblement artistique sans pareil. Non loin du Centre, trois jeunes hommes répondant aux noms de Jacques Rose, Paul Rose et Francis Simard ouvrent, à l’été 1969, une auberge de jeunesse connue sous le nom de la Maison du pêcheur. La jeunesse envahit Percé et fait des mécontents. Ce même été, le jeune gangster Jacques Mesrine est accusé du meurtre d’Évelyne Lebouthillier, propriétaire de l’auberge Les Trois Sœurs. Certains considèrent que cette jeunesse dérange les riches touristes américains. Au Québec, Percé devient le symbole du mouvement de la contre-culture. En 1970, les frères Rose et Francis Simard sont rejoints à Montréal par le Gaspésien Bernard Lortie. Ensemble, ils mettent sur pied la cellule Chénier du Front de libération du Québec, qui sera au coeur des événements de la Crise d’octobre.

Percé a bien changé. Tout change, non? Il n’en demeure pas moins que ce village, sculpté par je ne sais qui, possède toujours une force attractive qui dépasse l’entendement. Percé, l’ensorceleuse, n’a pas fini de nous surprendre…

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