Perspectives d’avenir mitigées pour la Gaspésie
GASPÉ – Les manufacturiers gaspésiens de composantes d’éoliennes envisagent de récolter une partie seulement des contrats liés à l’appel d’offres communautaire de 450 mégawatts (MW). Mais la filière éolienne est loin de se limiter aux pales et aux tours, et certaines entreprises plus modestes, notamment en maintenance d’éoliennes, ont le vent dans les voiles.
Hydro-Québec a retenu trois projets de parcs liés à trois turbiniers différents. D’ici la fin 2016, le parc Roncevaux sera érigé sur les Plateaux de Matapédia; le turbinier GE construira ces éoliennes pour un total de 74,8 MW. Siemens fabriquera les éoliennes du parc Nicolas-Riou au Bas-Saint-Laurent (224,4 MW) et Vestas se chargera de celles du parc Mont-Sainte-Marguerite (147,2 MW), dans Chaudière-Appalaches.
Les promoteurs doivent dépenser 35 % des coûts de l’éolienne en Gaspésie ou dans la MRC de la Matanie, stipule l’appel d’offres.
« On est en contact avec Siemens et Vestas, pas avec GE », indique le directeur général de Fabrication Delta, Élie Arsenault. Depuis près de deux mois, les 133 employés de l’usine de New Richmond fabriquent 16 tours d’acier pour Vestas, qui les installera dans un parc éolien aux États-Unis, indique-t-il. « On a bien confiance de faire des travaux pour Vestas [dans le cadre du 450 MW]. » Ce serait toutefois une partie du contrat de fabrication, précise M. Arsenault.
Le directeur général affirme aussi avoir de « bonnes discussions » avec le turbinier Siemens. « On a une très grande expérience, beaucoup de sections de tours derrière la cravate », fait valoir M. Arsenault.
Mais Fabrication Delta n’est pas seule sur les rangs. Marmen Énergie* a fait part récemment de son enthousiasme devant les résultats de l’appel d’offres en annonçant des investissements et l’embauche d’ouvriers à son usine de tours de Matane.
Chez LM Wind Power, le fabricant de pales de Gaspé, le directeur Alexandre Boulay est clair : « Pour les projets attribués à Vestas et Siemens, il est peu probable que notre usine fabrique les pales puisque ces deux turbiniers fabriquent leurs propres pales et possèdent des usines en Amérique du Nord. » Siemens fabrique des pales à Tillsonburg, Ontario, et Vestas compte deux usines de pales au Colorado.
En ce qui concerne GE, M. Boulay refuse de commenter. Toutefois, entre 2006 à 2012, l’usine a fabriqué des pales pour 1000 MW d’éoliennes de ce turbinier, qui a recours à des sous-traitants pour ses composantes.
Contenu régional
Le résultat de l’appel d’offres introduit « deux nouveaux joueurs qui n’ont pas de chaîne d’approvisionnement » en Gaspésie, soit Siemens et Vestas, analyse Christian Babin, président du Créneau éolien ACCORD Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, qui a été « surpris » du choix d’Hydro-Québec.
Comment les turbiniers feront-ils pour respecter les 35 % de contenu régional? La facture additionnée des pales et des tours atteint à peine ce total. Toutefois, une clause de l’appel d’offres permet aux promoteurs d’inclure dans les 35 % des composantes fabriquées en Gaspésie, puis exportées. Et ils pourraient s’en prévaloir, estime M. Babin.
Par ailleurs, M. Babin a peu d’espoir de voir des ateliers de composantes stratégiques (comme des convertisseurs électroniques ou des systèmes de freinage) s’établir en Gaspésie, même si l’appel d’offres encourageait ce type d’investissement. « Ça n’avait pas assez de valeur dans la grille d’évaluation », estime le président du Créneau.
Selon Frédéric Côté, directeur du TechnoCentre éolien, la petite taille de l’appel d’offres n’était pas de nature à développer des usines de composantes stratégiques. « 450 MW, ce n’est pas un gros volume, surtout quand on ne connaît pas la suite [des commandes d’Hydro-Québec] », dit-il.
Malgré tout, le faible prix des soumissions retenues – 6,3 ¢ du kilowatt/heure, sans les coûts de transport ni d’équilibrage – est « un signal à long terme pour la filière », déclare M. Côté. « On est aussi peu cher, sinon moins cher que l’hydro-électricité », ajoute-t-il. Hydro-Québec paie 7,5 ¢ du kWh (en dollars de 2013) pour l’électricité issue du premier appel d’offres de 1000 MW d’énergie éolienne et 9,65 ¢ pour celui de 2000 MW.
Le chapitre suivant de l’éolien québécois sera connu quand Québec présentera sa future stratégie énergétique, à la fin de 2015. L’industrie éolienne réclame toujours 300 à 350 MW de nouveaux parcs annuellement jusqu’en 2025, l’année où les parcs les plus anciens devront être renouvelés.
D’autres parcs à Escuminac et Murdochville
Les parcs éoliens issus de l’appel d’offres de 450 MW ne seront pas les seuls à occuper les travailleurs ces années-ci. Les Micmacs de la Gaspésie et Innergex construisent un parc de 150 MW dans l’arrière-pays d’Escuminac. Le déboisement est terminé, les travaux se poursuivront ce printemps et les éoliennes seront érigées en 2016. C’est LM Wind Power, de Gaspé, qui fabriquera les pales des 50 éoliennes de Senvion, modèle 3 MW, confirme François Morin, porte-parole d’Innergex.
Près de Murdochville, EDF Énergies Nouvelles Canada a commencé la construction des chemins desservant son futur parc de 74 MW du Mont Rothery. Le chantier est fermé pour l’hiver, mais redémarrera ce printemps. Les composantes seront érigées en juillet et l’électricité, livrée dès le 1er décembre 2015. LM Wind Power a construit les pales et Marmen, les tours des 37 éoliennes de Senvion d’une puissance de 2 MW chacune.
De l’ouvrage dans la maintenance
Les gens d’affaires gaspésiens ont aussi développé des entreprises en opération et maintenance de parcs éoliens, un secteur qui peut prospérer sans la construction de nouveaux parcs. Travaux sur corde Suspendem, une entreprise de Gaspé a triplé son chiffre d’affaires chaque année depuis trois ans, indique son président, Shaun Stanley. La somme de ses contrats annuels atteint maintenant « entre 1 M$ et 5 M$ », dit M. Stanley, qui ne souhaite pas détailler davantage.
Suspendem emploie ainsi 32 personnes qui inspectent, réparent ou entretiennent des parties de l’éolienne difficiles d’accès. Ils le font suspendus à des cordes ou juchés sur des plates-formes, au Québec et dans le reste du Canada.
Quant à l’entreprise Plaquettes de freins B.B, elle vise l’été 2015 pour démarrer la fabrication à Gaspé de plaquettes destinées aux éoliennes de grande puissance de toute l’Amérique du Nord. L’entreprise s’installerait dans l’ancienne usine de GDS dans le parc industriel portuaire. Elle prévoit employer huit à dix personnes au départ et jusqu’à 30 ou 35 dans trois ans.
Des représentants de Suspendem et de Plaquettes de freins B.B étaient d’ailleurs en Californie au début février pour rencontrer d’éventuels clients.
Les perspectives d’emploi en éolien demeurent prometteuses en Gaspésie et en Matanie. Selon une étude récente du Créneau éolien ACCORD, plus de 60 % des entreprises prévoient une croissance de leurs activités d’ici cinq ans. Elles auront notamment besoin d’une quarantaine de techniciens en maintenance d’ici 2019.