PÉTROLIA ENVOIE SES DÉBLAIS DE FORAGE À SAINT-ALPHONSE
GASPÉ, avril 2015 – Les gestionnaires du dépotoir de Gaspé viennent de se doter de règles plus exigeantes pour recevoir des résidus de forages pétroliers. Depuis, Pétrolia a plutôt expédié les déblais de son dernier forage de Gaspé au dépotoir de Saint-Alphonse, dans la Baie-des-Chaleurs, tandis que Junex pourrait en disposer en Mauricie.
Du 26 mars au 8 avril, Pétrolia a expédié environ 415 tonnes (19 voyages de camion) de résidus de forage de son puits Haldimand n° 4 horizontal (à Gaspé) au dépotoir de Saint-Alphonse.
À Saint-Alphonse, on explique que les résidus respectent les normes édictées par le ministère du Développement durable, vérification faite auprès de ce ministère. Contrairement à Gaspé, la municipalité de Saint-Alphonse n’a pas ajouté de règles locales.
« Des démarches auprès du LET [lieu d’enfouissement technique] de Gaspé s’étant avérées vaines, Pétrolia a choisi d’envoyer ces retailles au LET de St-Alphonse de Bonaventure », a expliqué Pétrolia par courriel.
Le dépotoir de Saint-Alphonse facture 115 $ la tonne pour recevoir des résidus de forage. À Gaspé, il en coûte 150 $ la tonne.
La municipalité de Saint-Alphonse a refusé de fournir à GRAFFICI une copie des résultats de tests des résidus.
Gaspé s’est doté de règles plus strictes
Les règles locales plus sévères édictées au dépotoir de Gaspé datent du 16 mars 2015.
Fin 2012 et début 2013, 1500 tonnes de déblais (la partie solide des résidus) des forages de Pétrolia à Bourque et Haldimand avaient abouti au dépotoir de Gaspé. À cette époque, les règles étaient floues. Gaspé avait d’ailleurs été réprimandée pour avoir utilisé les résidus comme matériel de recouvrement.
Depuis, le ministère québécois du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs a clarifié ses règles : ces résidus sont considérés comme des matières potentiellement dangereuses et doivent être analysés en vertu du règlement sur ce sujet.
La firme doit s’assurer que les concentrations d’hydrocarbures et de certains composés organiques volatils ne dépassent pas un seuil établi par le Règlement. Elle doit faire des tests de lixiviation pour vérifier quelle quantité de métaux et de nitrates est susceptible de s’écouler dans le lixiviat (« jus de poubelle ») et donc de se retrouver dans la nature.
Toutefois, la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie, qui gère le dépotoir de Gaspé, a cru bon d’adopter des règles plus strictes, dans un contexte où Junex et Pétrolia envisagent de forer à nouveau et éventuellement d’exploiter du pétrole à Gaspé et aux alentours.
Contre-expertise
Avec le règlement provincial actuel, « la pétrolière pourrait nous arriver avec ses résidus, ses résultats et ce serait correct », indique Jocelyn Villeneuve, directeur de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et de l’environnement à la Ville de Gaspé.
La Régie effectuera dorénavant une seconde caractérisation des résidus, et enverra la facture de ces tests à la compagnie. « On voulait être certains et on a cette responsabilité de faire une contre-expertise », dit M. Villeneuve.
La Régie a établi des critères plus sévères pour certaines catégories de contaminants. Le seuil maximal d’hydrocarbures dans les résidus sera de 3500 mg/kg, soit le critère industriel pour les sols contaminés. Le règlement provincial permet jusqu’à 30 000 mg/kg, soit huit fois et demie plus.
Les concentrations de composés organiques volatils sont plafonnées à 1000 mg/kg par la Régie alors qu’ils auraient pu être dix fois plus abondants dans certains cas, selon les règles du ministère.
Peu importe les résultats des tests, la Régie se réserve le droit de refuser des résidus de forage et de faire tout échantillonnage supplémentaire.
Junex en Mauricie?
Junex a extrait environ 200 tonnes de résidus solides de son puits horizontal Galt n° 4, foré en novembre 2014 à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Gaspé. Les déblais sont toujours sur place, dans des bassins couverts, indique le vice-président aux opérations de Junex, Mathieu Lavoie.
Les déblais ont subi tous les tests sauf la granulométrie (mesure de la taille des particules). Selon les résultats obtenus à ce jour, Junex pourrait en disposer au dépotoir de Gaspé, dit M. Lavoie. Le prix facturé – 150 $ la tonne – risque de faire pencher la balance vers un site de décontamination de confinement des sols contaminés, à Grandes-Piles en Mauricie. « Ça revient moins cher de descendre ça [à Grandes-Piles] que d’amener ça à Gaspé », dit M. Lavoie. Les 200 tonnes équivalent à une dizaine de voyages de camions-bennes.
Interrogé sur les règles édictées par la Régie intermunicipale, M. Lavoie répond que « je pense qu’ils en ont mis un peu trop. C’est plus que le ministère en demande. Ils veulent se couvrir, mais c’est lourd comme principes pour pouvoir disposer des “cuttings”. »
Junex a envoyé la partie liquide de ses boues de forage aux installations de Newalta, à Châteauguay en Montérégie.
Composition des déblais de forage
Les déblais de forage sont composés de roche broyée, mélangée à des restes du fluide de forage. Dans le cas d’Haldimand n° 4, Pétrolia a utilisé un fluide à base d’eau près de la surface et dans la partie intermédiaire du forage. Cette eau était notamment additionnée d’argile, de soude caustique et de bicarbonate de soude, ainsi que de baryte, dont l’ingrédient principal est le sulfate de baryum, connu pour son utilisation comme agent de contraste en radiologie.
Pétrolia n’a pas expédié à Saint-Alphonse les déblais de la partie profonde du forage, où le fluide était à base d’un distillat de pétrole.
Un stop demandé pour évaluer
Le comité Ensemble pour l’avenir durable du grand Gaspé demande qu’on mette le holà aux travaux de forage. Ses préoccupations sont plus vastes que l’enfouissement des déblais de forage. « On sait que certains additifs chimiques mis dans les boues [de forage] sont toxiques, dit Lise Chartrand, présidente du comité. Mais ce qui nous fait sursauter, c’est l’ampleur que c’est en train de prendre. »
Dans le scénario d’une éventuelle exploitation, Junex évoque une trentaine de puits et Pétrolia a déjà parlé de six ou sept plateformes de forage, rappelle Mme Chartrand. « On s’en va une étape après l’autre – droits de prospection, boues de forage – et il n’y a jamais eu d’évaluation environnementale propre à Gaspé ni d’audiences publiques, dit-elle. On aimerait que des experts viennent nous dire ce qu’ils en pensent, que ce soient des torchères, des boues de forage, de la contamination des nappes phréatiques, des prélèvements d’eau. [Actuellement], c’est comme si on prenait pour acquis que ce développement va de l’avant. »
L’Institut national de santé publique du Québec, dans une étude publiée récemment, répertorie les risques associés à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures, dont plusieurs sont encore peu documentés. L’étude préparée pour l’Évaluation environnementale stratégique globale sur les hydrocarbures doit guider le gouvernement dans ses décisions.