Quand l’approche populationnelle nuit aux régions rurales
Dans la plupart des postes budgétaires gouvernementaux, « l’approche populationnelle », c’est-à-dire la distribution des fonds ou du personnel en fonction de la répartition de la population sur le territoire québécois ou canadien, prévaut dans les décisions étatiques.
Certains observateurs jugent cette approche légitime, par souci « d’équité ». Le nombre de « dollars par habitant » doit prévaloir, selon eux; une sorte de pensée magique selon laquelle les besoins citoyens seraient uniformément répartis et l’ensemble des actions passées auraient été bien avisées. Ces décisions auraient conséquemment donné des résultats homogènes.
Si cette logique arithmétique semble parfois tenir la route au premier regard, elle est souvent simpliste à outrance et elle est carrément injuste dans certains secteurs, laissés pour compte en matière de développement. La culture constitue un bel exemple de déséquilibre découlant de cette approche populationnelle.
Il est irresponsable d’exclure le contexte quand on analyse un budget, de faire abstraction de la façon avec laquelle une communauté peut être frappée par une crise, une fermeture d’usine, l’incurie de politiques passées, comme celle de la fermeture de villages, ou les préjugés par rapport au potentiel des communautés rurales. Ce type d’errance constitue souvent le déclencheur du lent effritement des services dans ces communautés.
Dans la vraie vie, tous ces facteurs se juxtaposent pour dicter une réflexion et l’adoption de mesures très différentes de celles prônées selon l’approche populationnelle. Ça demande toutefois davantage de réflexion, et cet effort ne rime pas toujours bien avec la nature humaine.
Ce manque d’égard vis-à-vis le contexte général crée des situations éminemment déséquilibrées. Si on fait jusqu’à un certain point abstraction de l’argent, l’approche populationnelle dans la préparation des cartes électorales a créé des circonscriptions rurales démesurément grandes, sous-desservies en matière de ministères, et trop vastes pour une seule personne devant de surcroît se rendre à Québec ou à Ottawa une fois par semaine!
La vraie question de l’équité
Il y a une trentaine d’années, certains chantres du développement urbain prônaient que la distribution des deniers publics se fasse en fonction des taxes perçues dans chaque région.
Il va sans dire que cette approche était particulièrement bancale et inéquitable. Ainsi, la firme Alcan, dont presque toutes les activités économiques de production d’aluminium étaient générées au Saguenay, au Lac-Saint-Jean et à Shawinigan, en Mauricie, envoyait ses remises au gouvernement à partir de son siège social de Montréal, ville d’où émanait artificiellement les taxes générées par le métal gris.
Le même phénomène se reproduisait pour la majorité des entreprises de pâtes et papiers et de bois d’oeuvre, de même que pour les sociétés minières, malgré l’infime proportion de leurs activités se déroulant dans la métropole.
À l’inverse, si les gens des régions rurales avaient historiquement décidé de pousser cette approche arithmétique jusqu’au bout, en tenant compte du partage des ressources naturelles, ce modèle aurait désavantagé considérablement Montréal, même si les chèques de remises d’impôt émanaient de la métropole.
Imaginez si les revenus d’Hydro-Québec étaient redistribués en fonction de l’origine de la source d’électricité. Cette base de répartition rendrait démesurément riches la Côte-Nord, le Nord-du-Québec et la Mauricie.
Pensons à la forêt. Les principales sources de bois d’oeuvre, de panneaux, de meubles sont essentiellement situées hors des grands centres.
Songeons aux centaines de milliers de parents et d’étudiants de régions rurales qui, annuellement, se saignent financièrement à blanc pour faire vivre les universités en milieu urbain, alors que les meneurs de ces mêmes régions réclament avec raison une plus grande variété de programmes académiques, ou un programme académique universitaire tout court, pour donner un choix à la jeunesse.
Misons sur la solidarité
La solidarité constitue généralement le fondement des sociétés les plus égalitaires, celles où l’indice de bonheur est le plus élevé. Pourquoi se démener à ce point dans la vie si ce n’est pas pour être heureux?
« La solidarité constitue généralement le
fondement des sociétés les plus égalitaires, celles
où l’indice de bonheur est le plus élevé. »
Les élus de milieux urbains favorisent souvent l’approche populationnelle parce qu’elle les favorise. En culture par exemple, il existe peu ou pas de sièges sociaux de grandes compagnies ou de grandes organisations dans les régions rurales, ce qui tend à diminuer l’ampleur et la diversité des sources de financement d’événements culturels. Il suffit de regarder les noms de compagnies accolés aux grands événements de Québec ou de Montréal pour comprendre la contribution des partenaires privés et publics majeurs dans ce type de financement.
Dans les régions rurales, l’huile de bras constitue souvent le premier investissement, et cette énergie, si on veut éviter l’épuisement, a conséquemment besoin d’une plus grande part de deniers publics pour perpétuer les événements et les lieux de diffusion. L’approche populationnelle empêche souvent la concrétisation de cette aide.
Or, l’épanouissement des régions, qui semble si importantes quand on écoute les ministres en visite ici, serait plus dynamique si on affranchissait les territoires du bête calcul des enveloppes per capita.
Certaines personnes feront valoir qu’en culture, la Gaspésie est l’une des quatre régions à avoir bénéficié d’un Espace bleu, une idée en phase terminale. Ainsi, le concept de la villa Frederick James de Percé reste à définir. Si tout le monde s’entend sur le fait qu’il était urgent de sauver la demeure datant de 1888, que 25,5 millions de dollars aient été consacrés à un seul projet en attente de vocation, dans un édifice placé sur un bunker extravagant de béton, ne place pas la Gaspésie dans une position privilégiée en culture.
Où tracer la ligne?
Nous attendons des décisions éclairées des pouvoirs publics. Loin d’être la norme, l’approche populationnelle devrait être utilisée avec réserve, en fonction des contextes spécifiques, comme les cycles économiques.
Il faut bien sûr un financement de base afin d’assurer une stabilité au sein des équipes muséales et d’animation culturelle. Mais il est parfois nécessaire d’appuyer ce qu’il est convenu d’appeler « l’écosystème » afin de s’assurer de sa plus grande autonomie.
Par exemple, il existe un nombre important de personnes tirant leurs revenus des arts visuels en Gaspésie. Il y a des galeries, des ateliers-boutiques, le centre régional de création Vaste et vague, de Carleton-sur-Mer. Il n’existe toutefois aucun musée d’arts visuels bien appuyé financièrement en Gaspésie, l’une des seules régions au Québec à ne pas compter sur cet atout.
Il manque conséquemment un élément important pour que cet écosystème soit plus autonome. Un musée d’arts visuels se traduit par la présence de collections et d’achat d’oeuvres, une pierre d’assise fondamentale pour ce secteur. Peu d’incitatifs favorisent la collection d’oeuvres d’art dans la région.
Certains défenseurs de l’action gouvernementale diront, statistiques à l’appui, que la distribution des budgets, notamment en culture, tient compte d’éléments de péréquation régionale, de critères tenant notamment compte des distances entre Montréal, Québec et les autres régions. Il est toutefois évident qu’un peu plus d’audace et une analyse plus fine seraient bienvenues, en culture et dans d’autres secteurs.