Redécouvrir La Bolduc
CARLETON-SUR-MER, mars 2018 – Ces jours-ci, la vie de La Bolduc est portée au grand écran. Peu de Gaspésiens ont bénéficié de cet honneur. Cette Gaspésienne mérite-t-elle cette reconnaissance? S’il y a encore des sceptiques, espérons que ce film pourra nous montrer la véritable dimension de ce phénomène unique qu’est La Bolduc. Retour sur l’une des plus grandes de son époque.
Mary Travers naît à Newport, le 4 juin 1894, dans une famille modeste. Son père, Lawrence Travers, est de souche irlandaise, et sa mère, Adéline Cyr, est canadienne-française. Lawrence apprend le violon, l’accordéon et l’harmonica à Mary. À 12 ans, on l’aperçoit dans les veillées de musique du village et lors des mariages. En 1907, à 13 ans, elle quitte sa Gaspésie pour s’installer avec sa demi-sœur à Montréal. Elle devient ménagère dans une famille bourgeoise.
À l’été 1914, Mary se marie puis devient couturière. La musique occupe ses rares moments libres et permet d’arrondir les fins de mois. Au début, on l’invite dans les soirées de musique. Rapidement, on réclame madame Bolduc qui, dans un monde d’hommes, prend le nom de son mari, Edmond Bolduc.
Envolée fulgurante
En 1928, sa carrière connaît une envolée fulgurante. La Bolduc participe à une veillée de musiciens au Monument National qu’on diffuse sur les ondes de la station CKAC. Après l’émission, la vie de la famille Bolduc bascule. En quelques mois, elle enregistre son premier disque en accompagnant le chanteur Ovila Légaré, en plus d’être repérée par la compagnie de disque Starr.
Décembre 1929, elle lance un disque sur lequel on retrouve La Cuisinière. À Montréal, rue Sainte-Catherine, c’est la folie : en 30 jours, 10 000 copies sont vendues. Mary Travers est la chanteuse la plus populaire du Québec, la Lady Gaga du temps. Elle devient la première Québécoise à gagner sa vie comme auteure, compositrice et interprète de la chanson au Québec.
Un apport majeur
La Bolduc apporte un nouveau souffle à la chanson québécoise. Elle maîtrise l’art de raconter le quotidien des gens ordinaires, tout ça dans la langue du peuple. Elle n’est pas la seule à écrire des textes intéressants à l’époque. Cependant, le style de ses contemporains est ancré dans la chansonnette française ou dans des adaptations de chansons américaines. La Bolduc, elle, n’emprunte pas de style. Elle possède le sien. Les refrains sont turlutés, l’harmonica est bien présent entre les couplets et ses chansons se démarquent par leur humour distinctif.
Après ce succès, La Bolduc enregistre un nouveau disque par mois. Composées dans la cuisine, ses chansons sont inspirées du folklore qu’elle connaît. Ça sent la Gaspésie. C’est rempli d’anecdotes et de personnages comiques qui font rire les gens. En pleine crise économique, les gens s’accrochent à sa musique. Elle est la voix des plus démunis, des mères de familles qui élèvent une trâlée d’enfants dans la misère.
Dans les sous-sols d’église, d’abord
Puis arrivent, à l’automne 1930, les premiers spectacles présentés dans les sous-sols d’église ou les salles de cinéma. Le public connaît toutes les paroles. La Bolduc passe de la pauvreté au succès et à la richesse en deux ans. En 1932, la crise ralentit la production et la vente de disques. La chansonnière part en tournée avec Jean Grimaldi. La crise apaisée, elle enregistre de nouveau pour repartir en tournée en Nouvelle-Angleterre.
En juin 1936, Grimaldi et La Bolduc partent à l’assaut du Québec avec Olivier Guimond, Manda Parent, Rose Ouellette… Sur la route, un accident survient. Une blessure à la jambe de La Bolduc se transforme en tumeur maligne, ce qui lui fait perdre l’inspiration. Elle va enregistrer ses derniers disques en 1939. Le cancer aura raison d’elle le 20 février 1941. Elle a 46 ans. La Bolduc repose au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Montréal parmi de nombreuses autres célébrités.
La Bolduc, une autodidacte que certaines gens d’ici et d’ailleurs ont déjà snobée, est toujours considérée comme la première chansonnière du Québec. La voilà passée à l’histoire.
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NOTE SUR L’AUTEUR
Pascal Alain est né et habite à Carleton-sur-Mer. Historien de formation, il est aussi détenteur d’une maîtrise en développement régional. Œuvrant professionnellement dans le secteur municipal, il est l’auteur de plusieurs conférences sur l’histoire et le développement régional. Il est aussi l’un des membres fondateurs du GRAFFICI.