Texte gagnant de la catégorie « ADULTE »
Le concours d’écriture de GRAFFICI était de retour en force cette année et toute notre équipe tient à féliciter les gagnants des quatre différentes catégories. Chacun d’eux recevra un chèque-cadeau de 250$ qu’il pourra utiliser dans une librairie agréée de la région, grâce à la contribution financière des caisses Desjardins de la Gaspésie. Nous vous reproduisons d’ailleurs dans les prochaines pages deux des oeuvres gagnantes. Toute cette démarche n’aurait pas été possible sans la précieuse collaboration de Desjardins, de la démarche Complice Persévérance scolaire Gaspésie-Les Îles, ainsi que de nos nombreux partenaires que nous remercions chaleureusement. Merci également à l’instigateur du projet, Philippe Garon, qui a aussi assuré la production de trois capsules vidéo, ainsi que l’offre d’ateliers d’écriture gratuits sur le territoire. Enfin, merci aux membres du jury Sylvie Poisson, Marie-Claire Martin et Alvina Levesque, qui n’ont pas eu la tâche facile afin de départager les oeuvres reçues. Bonne lecture et, espérons-le, à l’an prochain!
Ton départ
Caroline Plourde de Gaspé
Je suis restée forte ma douce. J’ai ravalé mes larmes pour notre dernier déjeuner ensemble à la maison. J’ai tenté de faire fi de l’immense boule qui me brûlait la gorge. J’ai préparé ton déjeuner préféré ; des grilled-cheese en forme de soucoupe avec un smoothie fraise-banane. Pendant tout le temps que je le préparais, je luttais contre les visions qui apparaissaient dans ma tête. Ton doux visage qui s’éclairait chaque fois que je te préparais ce déjeuner que tu appelais des « Grichi smouuuuti ». Puis, les premières amies invitées à la maison à qui tu voulais les faire découvrir. Ensuite, les fois où, plus vieille, tu m’en as aussi demandé aux petites heures du matin quand tu ne trouvais pas le sommeil et où nous avons vécu des moments magiques alors que tu me confiais tes préoccupations ou tes premières amours. Je me sentais si privilégiée que tu m’accordes ta confiance. En déjeunant, je revoyais ces scènes défiler à une vitesse folle dans ma tête et je me mordais l’intérieur des joues pour ne pas éclater. Je tentais de mémoriser chacun de tes traits, chacune de tes expressions comme pour emmagasiner le plus d’images possibles et m’en faire un album mental pour toutes ces fois où tu me manquerais.
Ça fait 19 ans que nous partageons notre quotidien ensemble, ma douce. 19 ans que je me dévoue corps et âme pour voir à ton bonheur, m’assurer que tu ne manques de rien, panser tes bobos petits et grands. Ceux physiques et ceux de l’âme. Les premières peines d’amitié, puis celles d’amour dont j’aurais tant voulu te préserver. 19 ans que mon sommeil n’est plus le même car mes préoccupations personnelles sont devenues secondaires. Tu as pris toute la place. Dans mon coeur, dans ma tête, dans mon âme. Jusque sous ma peau. Ce matin je n’ai pas voulu te montrer ma peine même si je sais qu’au fond de toi tu sais… Tu essayais de te montrer forte mais je te connais ma puce. Dans toutes ces années, d’abord passées à assurer tes besoins primaires, puis secondaires, tu es devenue mon refuge. L’endroit où je me sens bien, où je me sens moi, où je me sens importante. Je sais que pour toi aussi je représente le confort, la sécurité, l’amour… La certitude que peu importe la bêtise que tu pourrais commettre, toujours je t’aimerai.
Lorsque la porte s’est refermée et que je t’ai vue me regarder par la fenêtre, en me faisant un signe de coeur avec tes petites mains devenues trop grandes, mes lèvres se sont mises à trembler. J’ai attendu, tout sourire, en ravalant toujours et encore plus et en te renvoyant moi aussi un coeur, que la voiture tourne le coin de la rue avant de me liquéfier. Plus rien ne sera comme avant. Toi, tu as le monde devant toi. Tant de choses à vivre, à découvrir. Tu seras à ton tour le phare de quelqu’un. Tu auras ta propre vie et bien que je resterai importante, tu iras de l’avant. Forte et fière comme tu l’es déjà. Je sais ma précieuse que tu rencontreras des embûches mais je sais aussi que tu as les outils pour y faire face. À travers mes larmes, à travers cette peine immense qui me traverse le corps, j’ai néanmoins la fierté du devoir accompli. Des valeurs que j’ai su te transmettre. De celles que toi aussi, tu m’as apprises. J’ai évidemment des remords aussi. Pour toutes ces fois où j’ai perdu patience. Où ma fatigue a pris le dessus, où je n’ai pas su répondre à tes demandes incessantes pour jouer avec toi, où j’ai haussé le ton pour qu’enfin tu te ramasses.
Mais comme tout est une question de balance des proportions, je sais que ma balance penche « du bon bord ». Je sais que je devrai éviter ta chambre pour quelques temps. J’ai pris soin de fermer la porte, sans regarder à l’intérieur tant mon coeur était lourd et que je craignais qu’il ne supporte pas la vue de ta chambre vidée. Malgré mes yeux fermés, ton odeur y régnait encore et a vite fait de s’imprégner dans mon nez. Ton odeur à toi, si particulière et si délicieuse. Tu es partie ma puce. Je devrai apprendre à me redécouvrir, à me redéfinir. Auprès de toi j’avais une mission, une raison de vivre, de prendre soin de moi. Je sais que nos messages seront fréquents pour les prochains temps mais qu’ils s’espaceront au fil des mois à venir. Je le sais car je l’ai vécu moi aussi. On oublie que nos parents ont un vécu.
Ce matin, mon amour, j’ai le coeur gros et l’impression que ma bulle, notre bulle, vient d’éclater. Il me faudra me réhabituer à vivre seule dans la mienne alors que la nôtre était si réconfortante. Pour l’heure elle est bien froide cette bulle sans toi. Le temps arrangera les choses. Ce cher temps. Celui qui a filé si vite auprès de toi et qui déjà me parait
une éternité depuis que tu es partie il y a quelques heures. Au cours des 19 dernières années, j’ai voulu t’enseigner à ne voir que le beau même quand tout parait triste et morne. À t’efforcer de le trouver et ne pas le quitter des yeux.
Il me faudra mettre moi-même mes enseignements en pratique car sans toi, le monde me parait soudainement moins beau. En posant la tête sur l’oreiller, j’ai senti un froissement de papier. J’ai glissé la main sous l’oreiller pour y trouver un message de toi « Merci maman, grâce à toi je sais que j’ai ce qu’il faut pour quitter le nid et même si prendre mon envol me fait de la peine, je sais que j’en suis capable car tu m’as enseignée à voler et à ne me diriger que vers le beau ». J’ai ri, j’ai pleuré et je me suis endormie en remerciant le ciel pour cette extraordinaire aventure à tes côtés.
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Texte gagnant de la catégorie « ADULTE, FRANÇAIS LANGUE SECONDE »