Une rentrée sur toile de fond de COVID-19 (texte 3/3)
Comme ceux d’ailleurs en province, les professeurs de la région ont effectué leur rentrée scolaire il y a quelques semaines, une étape venant un peu plus tard que prévu et compliquée par les précautions à prendre en raison du contexte de pandémie. Comment ces enseignantes, enseignants et membres du personnel de soutien ont-ils abordé cette rentrée 2020? S’attendaient-ils à mieux ou à pire que ce qu’ils ont vécu le printemps passé? Avaient-ils de l’appréhension, de la hâte? GRAFFICI a rencontré cinq personnes œuvrant dans le domaine de l’éducation; elles nous ont présenté leur façon de voir et de faire, à la fin du mois d'août, ainsi que leur perception du moment.
La fin d’un milieu de vie
CARLETON-SUR-MER | Animateur de vie étudiante depuis la création du campus collégial de Carleton-sur-Mer en 1989, Régis Leblanc se souviendra longtemps des effets de la pandémie de COVID-19, tant professionnellement que personnellement.
En 27 jours, le coronavirus lui a fait perdre la possibilité d’intervenir à la mesure de son talent avec les étudiants, tout en le confinant au travail à la maison. Le 7 avril, la COVID-19 lui a aussi enlevé sa mère, sans qu’il ait pu lui faire ses adieux.
S’il s’attarde peu en entrevue sur ce chapitre personnel, il est intarissable et émotif à propos des effets de la pandémie sur son travail et sur les liens qu’il entretient depuis des décennies avec les étudiants, les professeurs et les membres du personnel de soutien du Cégep de la Gaspésie et des Îles. Les contacts à distance, par le biais d’un écran d’ordinateur, n’ont pas le même impact. «Le cégep est un milieu de vie. Si on le vit six mois chez soi, c’est une expérience qu’on n’aura pas vécue», dit-il.
Quiconque passe du temps avec un ex-étudiant du campus de Carleton-sur-Mer entendra le nom de «Régis» à un moment donné. Ses 31 ans d’animation de vie étudiante ont façonné le séjour de milliers de jeunes. Grâce à ses interventions dans l’organisation d’activités socioculturelles, dans la recherche de logement, en appuyant les étudiants avec leur formulaire d’aide financière et en les encourageant à rester actifs, Régis Leblanc a indubitablement convaincu plusieurs de poursuivre leurs études. Il a aussi certainement embelli le passage des autres.
«Notre beau party de rentrée à Écovoile, sur la mer, n’a pas lieu. C’est une rentrée vraiment pas ordinaire. De mon point de vue, c’est le deuil des activités socioculturelles. Un gala de diplômation sur Facebook, les étudiants chez eux, c’est vraiment différent. Il n’y a pas d’échange. Les humains sont des animaux grégaires», souligne-t-il.
Mince consolation, Régis Leblanc, en joignant l’équipe de communications du Cégep de la Gaspésie et des Îles en 2017, s’était détaché partiellement du contact avec les étudiants. Il n’a gardé qu’une journée de vie étudiante par semaine.
L’obligation décrétée par le ministère de l’Enseignement supérieur de maximiser les cours à distance force ceux de français, de philosophie, d’anglais et de mathématiques à prendre forme sur Zoom. La dispensation des cours requérant du travail en laboratoire, par exemple la chimie, la physique et la biologie, continue quant à elle, moyennant une haute sécurité.
«On a les moyens de joindre nos étudiants à distance. La Gaspésie, avec le travail de Daniel Labillois, a développé cette formation depuis longtemps. Il y a deux courants. Il y a des gens qui disent « bien voilà, c’est une opportunité d’agrandir les portes de la formation chez les gens dépourvus de mobilité ». Nous aurons 40 étudiants en techniques juridiques au lieu de trois ou quatre en « présentiel ». Des jeunes ont levé la main pour dire « wow, ça me convient ». Mais je pense aussi qu’on risque de perdre ceux qui ont besoin de contacts humains», note Régis Leblanc. Depuis le 12 mars, il travaille à partir de chez lui et depuis le 18 août, il se présente au campus de Carleton-sur-Mer deux demi journées par semaine.
«Je devais partir en tournée de recrutement d’étudiants, sur la Côte-Nord. Au lieu de ça, je vais être chez moi à parler à ces groupes, sur un écran, et je devrai essayer d’être dynamique ! Ce n’est pas la même drive (motivation) disons», conclut-il.
Régis Leblanc ne met les pieds au campus de Carleton-sur-Mer, sa deuxième maison depuis 1989, que deux demi-journées par semaine. Il passe le reste de son temps de travail chez lui. Photo : Gilles Gagné
Une inquiétude pour les étudiants moins autonomes
GASPÉ | Stéphanie Harnois, enseignante en géographie et en sciences sociales au Cégep de la Gaspésie et des Îles, verra peu ses étudiants en 2020-2021. À moins de changements majeurs et peu probables dans la façon de traiter la COVID-19, elle enseignera à distance à ses quatre groupes et elle verra ses étudiants en dehors des cours, par hasard ou s’ils ont besoin d’une rencontre, moyennant les artifices de protection socio-sanitaire.
Grâce à 16 ans d’enseignement collégial à Gaspé, Mme Harnois sait que certains de ses étudiants sont plus vulnérables quand ils sont contraints à l’éducation à distance, une façon de faire adoptée depuis la mi-mars par son cégep, comme à peu près tous les établissements.
«On a eu un certain taux de décrochage, le printemps dernier. Je ne connais pas les chiffres. J’ai une inquiétude pour celles et ceux de première année qui bénéficient de cours adaptés et avec assistance. L’éducation à distance est aussi mal adaptée à une personne avec trouble de déficit de l’attention et d’hyperactivité (TDAH), pour qui c’est difficile de rester devant un écran», souligne-t-elle.
Elle voit deux grands courants parmi les étudiants collégiaux; la façon d’aborder l’enseignement à distance diffère beaucoup d’une catégorie à l’autre. «Il y a trois qualités qui facilitent l’adaptation à l’enseignement à distance; les gens hyper disciplinés, très responsables et flexibles partent avec une avance. En autonomie, (les étudiants) ont plus de travail. C’est moins inquiétant pour ceux qui sont habitués dans la gestion d’horaires multiples et pour ceux qui ont un but à court, moyen et long terme. Ils sont motivés. Ceux qui ne sont pas plus motivés qu’il faut, dont le choix de carrière n’est pas clair et qui voient le cégep comme un banc d’essai, auront besoin d’une attention particulière», analyse Stéphanie Harnois.
Garder les étudiants dans un contexte «externe», majoritairement hors cégep, présente aussi ses défis pour le professeur. «Il est difficile pour un enseignant de faire corps avec son groupe. Certains étudiants suivent le cours quand il y a cinq ou six personnes à la maison. C’est sans compter les problèmes de communication. La grande difficulté, c’est de les garder captivés, intéressés, engagés. En classe, il y a des discussions, des sorties, des méthodes pédagogiques variées. Sur Zoom, c’est stoïque. Pour un prof, c’est difficile de décoder le message des étudiants. C’est beaucoup moins spontané comme méthode d’enseignement. Les gens sont dans un mode attentiste. L’humanisme manque cruellement», dit-elle.
L’enseignement à distance complique également l’animation des cours. «On instrumentalise l’enseignement davantage parce que les circonstances l’exigent. Ce n’est pas la solution à tous les maux. L’expérience de milieu de vie est grandement affectée. C’est un pansement sur une plaie. Un professeur peut transmettre une passion, mais je ne peux pas me promener devant eux, en classe, et être aussi expressive, malgré quelques cours en présence», dit-elle.
Un cégep avec des petits groupes comme le Cégep de la Gaspésie et des Îles, avec ses antennes à Carleton, Grande Rivière et Cap-aux-Meules, peut toutefois mieux s’adapter aux désavantages de l’enseignement à distance, assure-t-elle.
« On peut se rattraper en suivi individuel. Le Cégep a une tradition de contacts entre étudiants et professeurs, d’une bonne relation. Il peut s’installer une confiance, un climat de confidence. S’il y a une part humaniste à récupérer de ce qui se passe présentement, c’est dans ce rapport individuel. Seul à seul, c’est possible ici. Au Cégep du Vieux-Montréal, avec un groupe de 180 étudiants suivant le cours sur Zoom, comment réserver 15 minutes à chacun d’eux, en suivi hors classe? Ça me semble irréel », affirme Mme Harnois.
L’enseignante Stéphanie Harnois s’inquiète pour ceux qui n’ont pas encore atteint un haut degré de motivation au Cégep. Photo : Nelson Sergerie