Véronique Amiard : photographe du silence
SAINTE-ANNE-DES-MONTS | Véronique Amiard est une photographe qui n'a pas froid aux yeux. Par des températures glaciales de -30˚C , elle installe son trépied pendant des heures, voire des jours, pour photographier la faune du Parc national de la Gaspésie. Dans le silence imposé par sa surdité de naissance, l'artiste se fond tant et si bien dans la nature qu'elle arrive à obtenir la confiance des animaux sauvages.
«J ‘aime l’hiver, mentionne la photographe animalière originaire de Meaux, dans la banlieue parisienne. C’est ma saison préférée. J’aime la lumière, même si tout est blanc. L’hiver me rejoint parce que c’est difficile d’arriver à survivre l’hiver. J’aime les tempêtes; il y a quelque chose de grisant!»
Véronique Amiard capte des images d’animaux en forêt par temps très froid et parfois dans le blizzard. «La faune ici se laisse assez approcher, se réjouit-elle. Mais, je ne fais pas de photos à tout prix. Je sens quand l’animal est nerveux. J’ai toujours pensé que les animaux sont des êtres sensibles. Ils vivent à notre contact. Ils sont conscients. Les animaux ont une intelligence, une émotion, des sentiments. Chaque animal a son caractère. C’est ce que je veux mettre en boîte.»
Si Mme Amiard aime autant se retrouver dans le silence de la forêt, elle croit que c’est parce qu’elle n’a pas d’effort à faire. «Quand je suis en société, ça me demande toujours des efforts », considère la dame qui communique en lisant sur les lèvres de ses interlocuteurs et grâce à un appareil auditif qui lui permet d’entendre un peu, bien que faiblement.
Sa passion pour la photo s’est révélée à l’âge de huit ans lorsque ses parents lui ont offert son premier appareil photo automatique. Les premiers rudiments lui ont été enseignés par son père qui était un adepte de la photographie. Sa fascination pour le huitième art ne s’est jamais estompée. «Quand j’étais jeune, je voulais gagner ma vie avec la photo, mais mes parents ne voulaient pas », raconte-t-elle.
Véronique Amiard a développé son art de façon autodidacte. Elle a lu beaucoup de livres sur le sujet. Elle a aussi appris par Internet et par ses rencontres avec d’autres photographes. Elle possède également un équipement qui lui permet d’optimiser son talent.
De la région parisienne à la Haute-Gaspésie
Elle a fait des études à l’Université de Savoie, à Chamberry, afin de devenir enseignante spécialisée auprès des enfants sourds. Une fois ses diplômes obtenus, elle a enseigné les mathématiques, le français, la biologie et les sciences naturelles en langage des signes au primaire. Elle a pratiqué sa profession pendant 12 ans, jusqu’à ce qu’elle parte d’Argenteuil, à environ 20 km de Paris, pour venir vivre en Haute-Gaspésie. «Je me suis installée directement à Sainte-Anne-des-Monts, précise Véronique Amiard. C’est l’amour qui m’a amenée ici. Mais, ça me disait de partir. J’ai toujours aimé la nature et je n’y avais pas accès comme ça chez moi.»
Son histoire d’amour avec la région dure depuis 15 ans. Cependant, la quadragénaire n’arrive pas à vivre de son art. Après avoir tenu un gîte du passant pendant 12 ans, la Néo-Gaspésienne travaille maintenant au Restaurant du Quai de Sainte-Anne-des-Monts, où elle gère l’accueil, l’inventaire et un peu de tout. «J’ai toujours aimé travailler avec le public, souligne-t-elle. Comme c’est saisonnier, ça me permet d’aller en France deux mois par année.» De plus, elle dispose de ses journées d’hiver pour aller faire de la photographie.
Découvrir et apprivoiser la solitude
Après s’être familiarisée avec le Parc de la Gaspésie et avoir appris à faire un feu sans allumette ainsi qu’un abri sous la neige, l’artiste n’a plus peur d’aller seule en forêt. «C’est là que j’ai découvert et apprivoisé la solitude, mentionne Mme Amiard. J’aime être seule parce que j’apprends à me connaître. Du fait que je sois sourde, on ne me recommandait pas d’aller seule en forêt. Mais quand on a peur, c’est parce qu’on ne connaît pas. Je me suis aperçue que ce n’était pas dangereux. »
Une rencontre marquante
En 2009, pendant qu’elle arpentait le mont Ernest-Laforce, la photographe a rencontré Philippe Henry. Avec le cinéaste français établi au Québec depuis 25 ans, Véronique Amiard s’est prêtée au tournage d’un film sur son travail de photo en forêt, pendant quatre mois à l’hiver 2018. C’est là qu’elle a fait la rencontre exceptionnelle d’un jeune orignal qu’elle a surnommé Poney.
En mars 2018, le veau et sa mère sont demeurés pendant deux semaines près de la rivière Sainte-Anne. La photographe et le cinéaste les ont observés à cet endroit pendant autant de temps. Curieux, Poney s’est avancé vers Véronique, sous l’oeil attentif de sa mère. «Au début, j’ai cru que c’était une coïncidence, raconte-t-elle. Mais au bout de quelques jours, il s’est approché, me sentait et est resté là, à côté de moi, pendant une demi-heure. Quelle était sa motivation? Je ne le nourrissais pas, je ne faisais rien. Je ne le dérangeais pas. Sa mère le surveillait et elle ne faisait rien. Mais, il avait une communication visuelle avec elle. Il continuait, comme s’il avait son approbation. Il avait confiance en moi et j’avais confiance en lui.» Ces moments uniques gravés sur DVD se retrouvent dans le film Boréale au coeur de l’hiver de Philippe Henry.
Les images du film d’environ une heure reflètent admirablement bien l’essence du travail de l’artiste. «Je fais de la photo pour passer des émotions, décrit-elle. La nature est belle. Il faut la protéger. De plus en plus, on s’échappe de la nature. C’est pour ça que j’aimerais aller loin dans le Grand Nord. Le climat change très, très vite. Ça m’interpelle.»
Son chouchou : le cerf de Virginie
Si elle adore photographier le plus grand des cervidés, de même que le harfang des neiges, les oiseaux de proie et l’arlequin plongeur, elle préfère par-dessous tout immortaliser en image le cerf de Virginie. «C’est parce qu’il est toujours en mode de survie, explique-t-elle. Il est plus difficile à photographier. Il est beau et gracieux.»
Véronique Amiard souhaite pouvoir intégrer des agences de photos et, comme elle aime aussi filmer, elle rêve de réaliser un longmétrage, seule, sur les différentes saisons, qui serait adapté pour les enfants sourds. «Ce serait pour les petits, spécifie-t’elle. On me verrait faire le langage des signes. J’aimerais aussi sortir un vrai livre de photos.»