CIEU-FM, 40 ans de radio dans la Baie-des-Chaleurs
CARLETON-SUR-MER | Il y a 40 ans, une jeune équipe, appuyée par des citoyens d’un peu partout dans la Baie-des-Chaleurs, venait de lancer la station de radio CIEU-FM, basée à Carleton-sur-Mer, mais dont le rayonnement allait et s’étend toujours des Plateaux de Matapédia jusqu’aux hauteurs de Port-Daniel et Gascons.
La mise en ondes a été réalisée le 28 octobre 1983 à 14 h 45. La programmation était assurée par quelques animateurs rémunérés mais aussi par quelques dizaines de bénévoles soucieux de présenter aux auditeurs des renseignements d’intérêt public et des styles musicaux variés.
Avant cette mise en ondes, il a fallu tout un travail de préparation, travail qui a démarré avec la réflexion antérieure au concept même de la nécessité d’ajouter une station de radio dans la Baie-des-Chaleurs, précise Yves Routhier, l’un des premiers employés de CIEU-FM.
« Le projet est arrivé dans ma vie en 1979, dans le cadre de l’initiative Ancrés en Gaspésie, un projet d’été. Je travaillais avec Luc Cyr, maintenant documentariste. On a mis sur pied un projet d’animation pour comprendre pourquoi les jeunes s’exilaient. À la fin de l’été 1979, on a organisé un colloque, et on a fait des ateliers. Des projets sont nés là. L’un des constats du colloque, c’est qu’il manquait une radio et des journaux communautaires. Une table de travail de six personnes a été formée », raconte Yves Routhier.
Monique Frappier, sa conjointe et animatrice bénévole pendant 15 ans d’une émission de radio, Les Petites fugues, portant sur la musique classique, se souvient que la réflexion sur le besoin d’ajouter une station de radio du côté sud de la Gaspésie couvait avant 1979.
« Ça s’inscrivait dans les intentions du Conseil populaire des communications de l’Est-du-Québec, le CPOPCEQ, en 1976 et 1977. Dans la Baie-des-Chaleurs, il n’y avait que CHNC en radio et CHAU en télévision.
Radio-Canada ne se rendait même pas partout au milieu des années 1970 », dit-elle.
« Le CPOPCEQ était l’un des bébés des Opérations Dignité », précise Yves Routhier, à propos du vaste mouvement de contestation de d’animation sociale né en réaction à la volonté de l’État québécois de fermer des villages pour concentrer la population.
Le 28 octobre 1983, Pierre Provost, alors président du conseil d’administration de CIEU-FM, célèbre l’ouverture de la station avec Yves Routhier (à gauche), alors directeur de l’information et de la programmation. Photo : Gilbert Lalonde
Marie-Thérèse Forest, de Caplan, a été l’une des bénévoles les plus actives dans les premières années de CIEU-FM, participant notamment à la préparation des mémoires déposés au CRTC et à la formation du personnel. Photo : Gilbert Lalonde
De l’opposition
Avant de devenir directeur des programmes et de la salle des nouvelles de CIEU-FM en 1983, Yves Routhier avait travaillé comme journaliste à CHAU de 1980 à 1982. Devant ses suggestions de couvrir l’évolution de la station de radio, son patron de l’époque avait exprimé de la réticence.
« CIEU-FM, on va leur donner 30 secondes à l’ouverture, et 30 minutes à la fermeture. C’est ce qu’il m’avait dit. Lors des audiences du CRTC à Carleton, pour la demande de permis de CIEU, c’était hiver, il neigeait et mon patron m’a fait monter sur la montagne en “grader” [déneigeuse], pour être certain que le point de vue d’opposition de CHAU passerait aux nouvelles du soir », raconte M. Routhier.
À l’époque, les studios de CHAU étaient situés au sommet du mont Saint-Joseph et livrer un bulletin de nouvelles requérait parfois un effort supplémentaire pour surmonter les éléments.
« Le président du CRTC, John Meisel, était présent aux audiences du CRTC au Vieux couvent de Carleton. Il m’avait fait promettre de lui envoyer la cassette de ma première émission des Petites fugues. Il n’en revenait pas de mon intérêt pour la musique classique, ici, dans la région. » Au premier dimanche de l’ouverture, j’étais là, et mon émission était de la programmation. Mon émission a été diffusée jusqu’en 1998. J’ai ma plaque de bénévole de 15 ans », ajoute Monique Frappier.
Les Petites fugues ont animé des amateurs de musique classique autres que le président du CRTC.
« On a développé l’auditoire du Nouveau-Brunswick. Les gens du Festival baroque de Lamèque écoutaient mon émission. Son fondateur, le claveciniste Mathieu Duguay, me prêtait des disques pour que je les mette au programme de mon émission. Il m’avait envoyé par la poste l’intégrale de Couperin par Scott Ross. En ouvrant le coffret, je vois la dédicace. “À Mathieu, Scott”. Il me le confie par la poste! Quel personnage, Mathieu Duguay! », évoque Monique Frappier.
La photo de la première fille du couple Frappier-Routhier, Marion, née en décembre 1984, donc 14 mois après la mise en ondes, apparaissait d’ailleurs sur l’affiche illustrant les résultats des premiers BBM, les cotes d’écoute, de CIEU-FM. L’acronyme voulait aussi dire Bébé Marion.
« Le travail m’avait amené à Radio-Québec, maintenant Télé-Québec, mais je siégeais sur le conseil d’administration de CIEU. Je me souviens que Nicole Leblanc [comédienne gaspésienne de renom, native de Maria] avait été la présidente d’honneur de la campagne de financement de la station à cette époque », conclut Yves Routhier.
Le 28 octobre 1983, le directeur de l’époque, Roland Lavoie, et l’équipe formée de Pierrot Couture, Harold Minville, Yves Routhier (penché) et Claude Lucier, reçoivent le premier signal de l’émetteur situé sur le mont Saint-Joseph. Photo : Gilbert Lalonde
Continuité et changement
Carol Boudreau travaille depuis 29 ans et demi à CIEU-FM dans diverses fonctions, maintenant comme animateur et directeur musical, après avoir été directeur des programmes pendant 21 ans, poste qu’il cumulait aussi en animant une émission quotidienne. Il était déjà familier avec la radio quand il a été embauché en juin 1994.
« En juin 1989, j’étais de l’équipe de programmation bénévole. J’ai pris une pause d’un an, et je suis revenu à l’automne 1991. J’ai commencé à faire plusieurs choses, comme surnuméraire à l’animation et en bénévolat. Mais mon plus vieux souvenir remonte à 1980-1981. J’étais adolescent. J’avais assisté à un spectacle de Claude “Bazou” Lucier un vendredi soir à Maria, et des gens vendaient des cartes de membre de la future station de radio », évoque Carol Boudreau, loin de se douter qu’il finirait par gagner sa vie dans cette station.
Quel est le plus grand changement vécu lors de cette carrière? « On disait et on dit encore des gens de notre génération qu’on avait peur du changement. Pourtant, si vous gardez le même emploi pendant 30 ans, vous allez en voir du changement! Il fallait du changement pour deux raisons. D’abord, pour les artisans de la radio, la numérisation a représenté le plus grand changement, inévitable. On est passé de l’aspect mécanique à l’aspect informatique, à l’automatisation. On ne pourrait s’en passer maintenant. Aucun média ne pourrait fonctionner avec un fax et une dactylo. Et à CIEU, on n’a pas été les premiers à prendre ce virage, mais on est loin d’avoir été les derniers. Puis, et je sais que c’est un sujet sensible, il a fallu une transition entre la radio communautaire de l’époque et celle d’aujourd’hui; elle devait devenir plus organisée. Des gens disent qu’elle devrait être moins commerciale. Ce n’est pas de la commercialisation mais de l’organisation », assure Carol Boudreau.
« Ce qu’on mettait en ondes tenait sur des cartouches avant; maintenant, on utilise des logs numériques. Je fais des playlists [des listes de lecture] à tous les jours. Les animateurs n’entrent pas avec leur boîte de disques en studio comme avant. Il faut garder une homogénéité dans ton son. Nous sommes passés de “chacun fait ce qu’il veut” à une diffusion organisée », expliquet-il.
La directrice de CIEU-FM, Sandra McNeil, et Carol Boudreau ont frais à la mémoire l’intervention du journaliste Claude Roy, maintenant retraité, devant le CRTC, alors qu’il assurait la direction générale de la station, il y a quelques années.
« Le CRTC voulait que les radios communautaires augmentent l’animation bénévole. Claude leur a dit : “C’est comme si vous mettiez une radio à Trois-Rivières avec des gens de Montréal et de Québec comme bénévoles”. Les gens du CRTC comprenaient mal l’étendue de notre territoire de diffusion. Il y a eu un essoufflement et une difficulté de recruter des bénévoles au fil des ans », précise Sandra McNeil, qui, jeune adulte, a elle-même fait de l’animation bénévole de fin de semaine à CIEU, avec sa pile de disques.
« On a encore un peu d’animation bénévole, Mlou Leblanc [la chanteuse Marilou Brière, de Caplan] est bénévole, mais elle fait son émission de chez elle. Renaud Lebreux anime depuis 33 ans son émission de musique country ici, ce qui est remarquable. On a maintenant plus de chroniqueurs bénévoles. Le bénévolat a changé de forme. La technologie a aidé », signale Mme McNeil.
CIEU-FM génère aujourd’hui des revenus de 1,2 million de dollars et emploie une douzaine de personnes. « La station a investi 200 000 $ dans ses équipements de diffusion depuis 2020; l’antenne et l’émetteur dataient presque de la mise en ondes de 1983 », souligne-t-elle.
CIEU-FM rejoint en moyenne 25 000 auditeurs par jour mais les radios régionales sont soumises à des défis venant d’ailleurs, note Carol Boudreau.
« Ça explique un peu la nécessité de garder une homogénéité dans le son, même s’il est encore possible pour un animateur de faire une incursion dans un autre genre musical ou de tenir compte des suggestions d’auditeurs. Les gens peuvent trouver 42 stations de jazz sur l’Internet s’ils le veulent. Je me souviens d’un animateur bénévole qui avait mis tout un côté de disque en ondes, et qui était parti faire ses commissions pendant que ça jouait », conclut-il en riant.
L’équipe actuelle de CIEU-FM, incluant les bénévoles organisant le bingo. Photo : Kayla Labillois