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8 juillet 2021 9 h 23

Des archives sur les grands procès ayant marqué la Gaspésie (partie 2/2)

Gilles Gagné

Journaliste

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GASPÉ | Depuis l’établissement des districts judiciaires en Gaspésie, au 18e siècle, plusieurs procès suivis à l’échelle nationale ont été tenus chez nous ou ils ont parfois eu lieu ailleurs, mais en portant sur des événements s’étant déroulés dans la région. Les archives du Musée de la Gaspésie renferment entre autres des éléments intéressants liés à plusieurs causes ayant suscité les passions.

La révolte des pêcheurs de Rivière-au-Renard de1909

Au début de septembre 1909, la marmite est sur le point de sauter pour les 275 exploitants de barques de pêche à la morue du secteur de Rivière-au-Renard. Ils réalisent de bonnes prises alors qu’ailleurs en Atlantique, les captures de morue sont assez nettement à la baisse. Le prix devrait normalement monter.

Un an plus tôt, en fin d’été 1908, les compagnies de pêche, largement dominées par des intérêts jersiais, avaient baissé sans avertissement le prix du quintal, l’équivalent de 112 livres, de cinq à trois dollars. Les compagnies, qui fournissaient alors à peu près tous les biens de consommation aux pêcheurs, fixaient les prix du poisson en fonction de garder les familles endettées, notamment. Ce prix n’était donc pas aligné uniquement sur le marché mondial.

Le prix de trois dollars le quintal est maintenu en 1909. Les pêcheurs réclament quatre dollars. Ils en ont assez, au point de déléguer l’un d’eux, Philippe Francoeur, à Halifax afin de convaincre l’une des compagnies néo-écossaises d’envoyer une goélette à Rivière-au-Renard pour transporter la morue séchée des environs vers un marché plus lucratif. La goélette arrive le 3 septembre, mais le lendemain matin, elle est repartie, sans rien charger.

Les pêcheurs soupçonnent des représentants des quatre compagnies principalement actives à Rivière-au-Renard d’avoir soudoyé le capitaine de la goélette pour qu’il parte avant de transiger avec les pêcheurs. Environ 50 d’entre eux se rendent au magasin de la Robin Collas and Company pour réclamer quatre dollars le quintal.

Bien qu’armés, les agents de la compagnie s’enfuient, mais ils sont rattrapés par les pêcheurs. Un commis prend peur et tire un coup de feu au sol. La balle ricoche et atteint un pêcheur à la cuisse. Le commis reçoit quelques mornifles, mais il réussit à fuir. La firme fait part de cette révolte aux autorités fédérales, qui déploient deux navires de l’armée à Rivière-au-Renard!

Les soldats pourchassent les pêcheurs un peu partout, jusqu’en forêt. Une vingtaine de Gaspésiens sont arrêtés et traduits en justice. Ils écoperont de peines de prison de quelques mois, mais ils ne purgeront qu’une fraction de cette peine dans bien des cas.

Dans un texte intitulé La révolte de Rivière-au-Renard, publié en 2002, l’historien gaspésien Mario Mimeault résumera la conclusion de l’affaire ainsi : « Les pêcheurs perdent leur cause, mais les compagnies paient le prix fort. Les affaires de la Robin, Collas and Co. périclitent au point où ses actionnaires vendent leurs parts à une maison d’Halifax. La nouvelle compagnie est depuis connue sous le nom de Robin, Jones and Whitman. Pour sa part, la William Fruing and Company fait faillite en 1912. »

Il est généralement reconnu que cette révolte a joué un rôle crucial dans l’affranchissement graduel des pêcheurs au fil des décennies suivantes.


Dans les années de la révolte de Rivière-au-Renard, la pêche côtière était extrêmement importante pour l’économie du village gaspésien et des localités voisines. Photo : Offerte par le Musée de la Gaspésie

 

L’affaire Ascah

Le procès Phillips, ou l’affaire Ascah, a ébranlé tout le Québec à compter de la fin de l’été 1933. Deux cousines, Maud Ascah, 15 ans, et Margaret Ascah [parfois appelée Marguerite], 18 ans, sont vues pour la dernière fois durant la soirée du 31 août, à Penouille. Elles sont alors accompagnées de leur cousin, Nelson Phillips, aussi âgé de 18 ans. La disparition des cousines inquiète d’autant plus que Margaret devait prendre le train le lendemain afin de poursuivre ses études à Québec.

Le corps en voie de décomposition de Maud est retrouvé quelques jours plus tard sur la plage de Penouille. La dépouille de Margaret n’a jamais été retrouvée. Les soupçons se portent assez vite sur Nelson Phillips, le fils du marchand général de Penouille. Il est accusé de meurtre avec préméditation.

Le procès se déroule du 19 au 27 février 1934 à Québec, devant ce qui s’appelait alors la Cour du banc du Roi, maintenant la Cour supérieure. Ses avocats avaient demandé un changement de district judiciaire, jugeant qu’il serait difficile pour leur client d’obtenir un procès équitable en Gaspésie. Nelson Phillips est trouvé coupable après ce premier procès. Le juge R.A. Greenshields le condamne à la pendaison, fixée pour le 18 mai suivant.

Les avocats contestent le verdict de culpabilité, invoquant que les aveux de Nelson Phillips ont été obtenus à la suite d’interrogatoires empreints d’irrégularités. Le grand gaillard sera innocenté à la conclusion du second procès en août 1936. Les meurtres de Maud et de Margaret Ascah demeurent officiellement non résolus à ce jour.

Trois avocats ont défendu Nelson Phillips, deux criminalistes de Québec et Dominique Lévesque, de New Carlisle, le père de René Lévesque. Ce sera d’ailleurs la dernière cause majeure de Me Lévesque, qui meurt en 1937 de complications cardiaques, à 48 ans. Quant à Nelson Phillips, il reprendra le commerce de son père Austin. Il meurt le 15 janvier 1985.

Les deux procès de Nelson Phillips ont fait parler d’eux partout au Québec. L’affaire ressemblait à un suspense de roman ou de film. La trame de cette histoire a manifestement inspiré l’autrice Anne Hébert lorsqu’elle a écrit Les fous de bassan en 1982, un roman récipiendaire du prix Fémina. Un film portant le même nom et réalisé par Yves Simoneau a été lancé en 1987.


Les photos des cousines Ascah sont rares. Sur cette photo, prise lors d’un pique-nique familial en 1933, peu avant le meurtre, Margaret [aussi appelée Marguerite] et Maud Ascah sont à l’arrière à droite. Photo : Offerte par le Musée de la Gaspésie

 

Le procès de Wilbert Coffin

L’affaire Coffin défraie encore les manchettes 68 ans après le meurtre de trois Américains dans la forêt gaspésienne, près de Murdochville, en juin 1953. Eugene Lindsey, son fils Richard et un ami de ce dernier, Frederick Claar, étaient venus de Pennsylvanie pour chasser l’ours.

Arrivés le 8 juin, ils ont été vus vivants la dernière fois le 10 juin, notamment par le prospecteur gaspésien Wilbert Coffin. Ce dernier est parti le 12 juin à Montréal pour voir sa conjointe de fait Marion Pétrie et leur fils James. Une note trouvée le 11 juillet dans le véhicule des Américains tendait à prouver qu’au moins l’un d’eux était vivant le 13 juin. Cette note a disparu lors de l’enquête policière.

Eugene Lindsey a été découvert le 15 juillet, sans tête. Les corps des deux jeunes ont été trouvés le 23 juillet. Wilbert Coffin était alors revenu en Gaspésie, avec des gens d’une compagnie minière. Il avait participé aux recherches.

Des objets appartenant aux chasseurs ont été trouvés chez Marion Pétrie. En se rendant à Montréal le 12 juin, Wilbert Coffin, ivre, avait pris le ravin trois fois avec son véhicule. Il avait laissé des pourboires un peu partout, parfois en argent américain, une devise vue fréquemment l’été en Gaspésie en 1953.

Il est arrêté comme suspect le 10 août alors que le gouvernement Duplessis fait face à de fortes pressions des Américains.

Le procès a lieu en août 1954 au palais de justice de Percé. Le prospecteur n’y a jamais témoigné. Son avocat, Raymond Maher, n’a présenté aucune défense même s’il avait informé la cour qu’il ferait entendre une centaine de témoins. Le procès, comme l’enquête l’avait été, a été truffé d’irrégularités. Le prospecteur a été trouvé coupable de meurtre et pendu le 10 février 1956.

En entrevue à The Gazette en 2006, le criminaliste réputé Edward Greenspan a indiqué à la journaliste Marian Scott que le travail de Me Maher dans le procès Coffin avait été « de l’incompétence avec un i majuscule. C’est le pire cas de défense que j’ai vu! »

En novembre 2006, le dossier de Marian Scott identifiait Philippe Cabot, un homme mort en 1998, comme le meurtrier des chasseurs américains. Il s’en était vanté dans sa famille. Son fils, Pierre-Gabriel Cabot, avait été témoin des meurtres, alors qu’il avait huit ans. Il en a parlé à deux de ses soeurs, en 1991, et il a écrit en 1999 ce dont il se souvenait de la scène. The Gazette a obtenu copie de cette lettre. Pierre-Gabriel Cabot est mort en 2006.


Depuis peu, le Musée de la Gaspésie présente dans son exposition permanente le manuscrit du manifeste Coffin
était innocent, écrit par le journaliste et futur sénateur Jacques Hébert. Photo : Simon Carmichael


Le prospecteur gaspésien Wilbert Coffin lors de son procès pour le meurtre de trois chasseurs américains. Photo : Offerte par le Musée de la Gaspésie

Lire la partie 1/2 – Incursion dans les archives du Musée de la Gaspésie : une mine de renseignements accessibles à tous