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7 juillet 2022 9 h 43

Des mots, des notes et des images : article 2/2

La fille de Coin-du-Banc, des mots aux images

par Marie-Ève Trudel Vibert

GASPÉ | Marie-Ève Trudel Vibert veut offrir une seconde vie à son roman La fille de Coin-du-Banc, qui a atterri sur les tablettes des librairies en 2014 et qui lui a valu le prix d’excellence de l’Alliance québécoise des éditeurs indépendants. Elle vient de compléter avec succès une campagne de financement participatif de 5000 $ afin de traduire en images les mots couchés sur papier, il y a près d’une dizaine d’années.

En fait, l’expression « seconde vie » n’est peut-être pas la plus appropriée tant ce projet artistique se fait en continu depuis les bancs d’école. La fille de Coin-du-Banc habite l’auteure depuis qu’elle est au secondaire, moment où elle a commencé à recueillir avec parcimonie des idées grapillées au fil de ses pensées. Celles-ci se sont accumulées dans des carnets qu’elle a toujours conservés au fil du temps, de la polyvalente au cégep, puis à l’Université du Québec à Rimouski. Jusqu’au jour où, lors d’un cours d’éthique, un enseignant proposa un travail sur les dynamiques familiales.

L’objectif initial étant de choisir une oeuvre de fiction afin de déterminer le rôle de chacun des membres de la cellule familiale, MarieÈve Trudel Vibert a plutôt opté pour analyser sa propre famille, dite « assez colorée » selon ses dires. C’était une bonne décision, avec le recul. Tout d’abord parce qu’elle a obtenu un A+ dans le cadre de son baccalauréat en psychosociologie, mais surtout parce que l’exercice lui aura permis de dresser les contours d’une autofiction, qui allait devenir l’ouvrage dont il est question aujourd’hui.

« Écrire, c’est depuis que je suis toute petite. Je ramassais des pensées, des décors de mon village natal de Coin-du-Banc qui m’inspirent beaucoup. J’ai décidé que mon premier roman serait basé sur ce travail-là », explique celle qui a par ailleurs cofondé en 2013 Les Éditions 3 sista qui, comme son nom le suggère, a impliqué les autres membres de la sororité.

Suite à la parution de La fille de Coin-du-Banc – qui traite du refus de la maternité et des relations mères-filles parfois houleuses, deux sujets universels résistant à l’érosion du temps – plusieurs lecteurs l’ont abordé pour évoquer le pouvoir des mots, jusqu’à quel point ils pouvaient imaginer l’écume de la mer, sentir les effluves iodés de l’air salin, entendre le cri des goélands et errer en compagnie de son personnage Marine dans les méandres de
l’Auberge.

« Les lecteurs qui ne connaissent pas Coin-du-Banc me disent qu’ils peuvent se l’imaginer et le voir; ceux qui connaissent l’endroit me disent qu’ils ont plein de repères dont ils se souviennent. Il y a tout le côté visuel du livre qui vaut la peine d’être porté à l’écran. On me parle aussi de tous les silences. Il y a un peu de violence, mais beaucoup de non-dits, de malaises. J’avais aussi l’envie de rendre le livre accessible à plus de gens. C’est très psychologique. Ce n’est pas tout le monde qui a compris la fin; ce qu’on va pouvoir travailler en le « twistant » à l’écran, en inversant la façon de raconter l’histoire. Je dirais que toutes ces raisons ont poussé en faveur du projet de scénario. »

En fin de compte, le but est de produire un court-métrage faisant entre 22 et 30 minutes. Dans le meilleur des mondes, les premières images seraient captées à l’automne 2023. Une première résidence de création s’est tenue en avril au Camp de base Gaspésie pendant cinq jours, en compagnie du réalisateur et producteur Mathieu Boudreau, l’artiste multidisciplinaire Alexandre Cotton pour la direction photo, ainsi que la conseillère en communication et artiste Alexa Sicart. « Je voulais qu’on passe au travers du livre plusieurs fois pour choisir des extraits précis. On a la liberté de l’adapter comme on veut et, pendant la semaine, on a trouvé l’idée du film et les séquences », se réjouit l’auteure qui demeure aujourd’hui à Gaspé.

Le processus créatif se poursuivra du 22 au 24 août avec l’appui du Centre de création et diffusion de Gaspé. Les trois jours de retraite permettront à Marie-Ève Trudel Vibert de rédiger un scénario en bonne et due forme. De son aveu, elle a eu la piqûre lors de sa première résidence de création. Elle récidivera donc l’expérience cet automne grâce à sa plus récente campagne de financement participatif.

« On va se rasseoir tous ensemble et mettre le point final, en poussant plus loin la direction photo et attacher les dernières ficelles. C’est assez défini dans nos têtes. On a trouvé comment les scènes s’imbriquent entre elles et on est allés assez loin dans la démarche. Le film sera très visuel et très sonore. Là, je dois m’atteler à une écriture que je ne connais pas, avec le scénario. Ça sera un défi, mais je sais où je m’en vais. Je sais que le cinéma, c’est pas facile. Des gens connus sont en attente depuis des années, alors je veux quelque chose d’achevé; avoir un scénario béton. Mais peu importe le temps, c’est ma priorité comme projet », conclut-elle.


Mathieu Boudreau, Alexandre Cotton, Marie-Ève Trudel Vibert et Alexa Sicart lors de leur résidence de création en avril. Photo :Les Éditions 3 sista

Extrait de La fille de Coin-du-Banc

C’est lundi et je travaille. No holiday.
À l’Auberge, c’est no vacancy.
L’humidité me taraude. Mes sinus implosent. Mes pores de peau dégagent des sueurs froides. 27 degrés Celsius. Facteur humidex dans le tapis. Plutôt exceptionnel pour Coin-du-Banc.
Les chambres de l’Auberge sentent le renfermé. Dans la trois, côté mer, je m’apprête à faire le lit. Imprimés de fleurs sur fond blanc. Catalogne rayée multicolore. Rideaux style courtepointe. Abat-jour en osier.
Folklore du bout du monde.
Quel type de voyageuse je serais? Qu’est-ce que ça me ferait de descendre dans cette Auberge que j’aime tant? Ce secret d’alcôve d’inspiration irlandaise me charmerait-il autant?
Qui serais-je?
Qui suis-je?
Ce matin, je suis Marine aux pignons verts dans un environnement qui jure du plancher au plafond; outils exposés sur les murs, vaisselle dépareillée, hélice de bateau, os de baleine, chaise de barbier. Il y a même une toile de Kittie Bruneau.
Ce patrimoine réinventé, « rapaillage » comme le dirait Miron, c’est mon antre.
Mon bunker.
Que je m’y fasse sauter!
Assise sur le lit fraîchement refait, je cherche la mer. Machinalement, je me rends à la fenêtre que j’ouvre faiblement et je prends une respiration chargée d’iode, de sel et de soleil. Haut-le-coeur. Vertige. L’air n’existe pas. La mer a les mêmes frissons que ma peau. Elle émet sa rumeur. Je tends l’oreille. Rien d’audible. Je reviens sur mes pas.
C’était sans prévoir que j’allais tomber endormie.

 

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