Des mots, des notes et des images : Harold Arsenault
Harold Arsenault : de phoques et d’eau fraîche
GASPÉ | Le cinéaste Harold Arsenault est un visage connu dans le monde du documentaire
L’homme, aujourd’hui âgé de 62 ans, a signé plusieurs films remarqués au fil de sa carrière, de La dernière harde (2013) qui s’attardait à raconter l’histoire de la centaine de derniers caribous dans les Chic-Chocs et leur ultime combat pour survivre, en passant par son populaire The Dolphin – Born to be Wild (1997, Le dauphin né pour la mer en version française), qui suit un dauphin nouveau-né et sa mère dans ses efforts pour élever et protéger son bébé face au danger constant lié aux menaces de la mer.
Plus récemment, le cinéaste a présenté Histoires de phoques : Entre terre et mer (2025) en première au Festival Vues sur Mer de Gaspé, ce qui a lui valu la récompense du Prix du public. Incursion dans un univers fascinant.
Harold Arsenault a 18 documentaires à son actif. Photo : Harold Arsenault
Les débuts
Harold Arsenault est né à Bonaventure, mais a rapidement déménagé à Gaspé avec sa famille. Après des études secondaires et collégiales dans le programme qui s’appelait encore Sciences pures à l’époque, il s’est dirigé vers l’Université de Montréal où il a décroché une mineure en Études cinématographiques, une formation principalement orientée vers l’histoire de l’art.
« Je ne savais même pas que ça existait, des cours en cinéma. Quand j’ai vu ça, ç’a été un déclic », se rappelle-t-il. Ses premiers pas dans le cinéma sont arrivés lorsque Yves Simoneau est venu tourner son film Les Fous de Bassan en 1986 à l’Île Bonaventure; une adaptation du roman éponyme d’Anne Hébert publié quatre ans plus tôt qui a marqué toute une génération de lecteurs.
Pour être rigoureusement exact, Harold Arsenault avait participé en 1985 au documentaire La vie cachée du golfe Saint-Laurent réalisé par son père Alban, alors qu’il était toujours sur les bancs d’école. Son expérience comme assistant de production pour Les Fous de Bassan était donc sa deuxième. Elle était suffisante pour se faire quelques contacts et démarrer une carrière qui sera prolifique. « Ça m’a permis de faire des stages à la caméra et de déménager à Montréal. J’y suis resté huit ans. »
Il agira alors surtout comme aide-caméraman et caméra B sur quelques projets de télévision et au cinéma. En parallèle, il commencera à faire avancer des projets personnels en documentaire animalier. Il travaillera notamment avec Jean-Louis Frund, qui fut pendant longtemps le plus connu dans le domaine au Québec. « Je montais ses films. À cette époque, on tournait et on montait en 16 mm. C’était une grosse table de montage et je faisais ça à la maison. Je l’ai accompagné sur quelques tournages dans l’Arctique pour filmer des harfangs des neiges. »
Il réalisera ensuite en 1989 Homarus Americanus, sur les homards. S’ensuivront quelques années plus tranquilles, le temps de boucler le financement de son premier grand projet : un documentaire sur les dauphins qui nécessitera six mois de tournage dans les Bahamas. Il partira avec ses trois enfants – dont le plus jeune avait 7 mois – sur les îles Abacos.
Ce tournage sera un point de bascule pour l’artiste. Autant pour la portée du film que pour son apprentissage personnel du monde animalier. « C’était très stressant. C’était mon premier gros projet et après trois mois, je n’avais pas encore réussi à faire une seule image », se remémore-t-il.
Le projet était parti sur une très mauvaise note. Les images devaient être faites en apnée puisque les dauphins n’avaient jamais été filmés. Le bruit des bonbonnes d’air les faisaient fuir, croyait le cinéaste. « Ça s’enlignait pour être mon premier et mon dernier gros projet. Je me suis dit qu’à ce point, aussi bien avoir du fun. »
Son changement de mentalité aura finalement été salutaire. « J’ai lâché prise et je me suis aperçu que les animaux – surtout les dauphins – sentent ton coeur battre et sont très réceptifs. C’est comme avec les relations humaines, certains ne se laissaient pas approcher, mais d’autres oui. Une fois que le stress était parti, ç’a été beaucoup plus facile. »
Ce film sera l’un de ceux qui a le mieux vieilli, selon lui. « L’histoire est bonne et ça fonctionne. Il y a des animaux plus appréciés, c’est certain, et qui passent mieux à l’écran. On l’a vendu dans je ne sais plus combien de pays. Après, j’ai tout arrêté mes autres projets pour me concentrer sur le documentaire animalier. Je ne voulais pas rester à Montréal alors c’était parfait. Quand j’étais jeune, j’allais dans le bois; à la chasse et en camping. Ça correspondait exactement à ce que j’aimais le plus : être dans la nature. »
La faune rencontrée au fil des ans a été nombreuse et diversifiée pour le cinéaste. Photo : Harold Arsenault
Des défis
La vie de cinéaste animalier n’est pas un long fleuve tranquille, comme veulent parfois le faire croire certains portraits romancés de capteurs d’images en attente d’apparitions miraculeuses. Certains tournages sont même plutôt sportifs et doivent être rigoureusement préparés.
Pour Les Citadelles ailées de l’Arctique (1999) tourné à Ivujivik – le village le plus nordique de la province – certaines habiletés physiques étaient obligatoires. Harold Arsenault n’était en fait plus sur le continent puisque le tournage s’est fait sur les îles Digges pendant trois mois. Les deux morceaux de territoire sont à quelques kilomètres plus au nord d’Ivujivik et sont rattachés administrativement avec le Nunavut. « On était seulement deux, avec mon assistant, qui, lui, avait suivi des cours d’escalade parce que ça se filmait sur des falaises. Il m’aidait à descendre en rappel. Il fallait monter et descendre à tous les jours. C’était assez incroyable, mais très physique. »
La dernière harde était également un défi en soi, avec un sac à dos adapté de 75 livres qu’il devait monter sur le sommet du mont Jacques-Cartier.
Même après près de 40 ans, les rencontres animalières sont toujours un moment marquant. Photo : Harold Arsenault
Tournages en Gaspésie
Au fil des ans, Harold Arsenault a notamment travaillé avec les ours noirs (L’ourse noire et le bout du monde), les renards (Les saisons du renard) et les orignaux (L’amour au pays des orignaux). La suite logique était probablement de se consacrer aux phoques communs, une autre espèce emblématique en Gaspésie.
Histoires de phoques : Entre terre et mer marquait d’ailleurs son retour avec des images sous-marines, après pratiquement 25 ans hors de l’eau. Le projet a duré quatre saisons. « Sur l’eau, c’est génial. Je mets l’équipement dans le bateau et je ne force plus », lance-t-il en riant.
Armé de permis spéciaux émis par Pêches et Océans Canada pour filmer les phoques et les autres animaux environnants, le cinéaste a pu capter sur pellicule plusieurs scènes d’une grande beauté, narrées avec attention. Les images des premières secondes d’un chiot (le nom aussi donné aux bébés phoques) qui vient d’arriver au monde et celles d’un autre nouveau-né perdu en mer et cherchant sa mère sont particulièrement émouvantes. Celles de la curiosité des phoques qui s’admirent dans le reflet de la lentille sont attachantes.
Et il y a cette scène – en sons et en images – d’une parade nuptiale; du jamais-vu à l’écran. Mâle et femelle tournoient en faisant une chorégraphie de bulles et de sons.
« C’est arrivé pendant que je filmais autre chose. Le film était fini et j’avais déjà un premier montage de fait, explique le cinéaste. J’ai vu un mâle et une femelle côte à côte qui faisaient comme des pompes à vélo. J’ai su c’était quoi grâce à des biologistes qui m’ont confirmé que c’était une parade nuptiale. Mais quand on filme, c’est souvent sans son. Je les avais entendus, mais je ne les avais pas captés et on ne peut pas recréer ça en studio ensuite. Je suis retourné à la même place avec ma GoPro qui fait de l’audio et j’ai synchronisé tout ça en postproduction. J’ai cherché partout des images de ce genre de parade, mais je n’ai pas vu ça nulle part ailleurs. »
C’est d’ailleurs là l’un des défis du documentaire. Harold Arsenault, qui signe les textes et le scénario de ses films, doit composer avec les éléments qu’il trouve sur place. Chaque journée est une nouvelle aventure, parfois remplie de surprises, parfois infructueuse.
« Je me demande toujours si je vais réussir. Mais quand tu passes assez de temps avec les animaux, tu trouves toujours quelque chose. Avec les orignaux, mes meilleures images sont arrivées à la toute fin. C’est particulier parce qu’on scénarise toujours au montage. J’écris un synopsis pour vendre le projet avant, mais dès le tournage, je dois m’adapter et essayer de trouver des séquences efficaces. L’histoire se fait en cours de route et au montage, selon le matériel que j’ai. C’est complètement l’inverse de la fiction. »
Aujourd’hui, l’heure de la retraite n’a toujours pas sonné. Le Gaspésien vient de terminer de filmer La vie cachée du golfe du Saint-Laurent et entre maintenant en période de montage. Le film se concentrera sur les changements climatiques depuis les premières images qu’il a tournées dans sa prime jeunesse.
Il a aussi obtenu du financement en mars pour un autre projet : Chasseur d’images. « Ce sera sur ma façon d’approcher les animaux, ce qui se passe derrière la caméra et mes anecdotes au fil des années. Voir comment ça se fait. Je ne sais pas encore comment je vais le traiter, mais c’est en route. »
L’accès aux films d’Harold Arsenault demeure toutefois difficile. Ce ne sont pas toutes les créations qui sont achetées par un distributeur au Canada. C’est donc une chance de pouvoir les admirer lorsqu’ils sont diffusés dans la région, comme lors du Festival Vues sur Mer, qui se concentre sur les documentaires. Le parc national Forillon diffusera aussi sa plus récente création à quatre reprises cet été.
« C’est le marché européen et asiatique qui est très fort dans l’animalier. Souvent, les festivals, c’est le seul moment où j’ai un contact avec le public. Je peux travailler quatre ou cinq ans sur un projet sans avoir trop de feedback [de réactions] et après je me rends compte un peu mieux ce que les gens aiment et ce qui fonctionne. Quand je passe à Vues sur Mer, je sais que c’est la fin d’un projet. Alors j’en profite. » Et le public aussi.
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