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7 juillet 2023 9 h 47

Des mots, des notes et des images; partie 3/3

Jean-Louis Lebreux : 40 ans de passion et de dévotion

PERCÉ | Pendant que la valse incessante des camions et des ouvriers s’emploie à faire de la villa Frederick-James l’Espace bleu de la Gaspésie – avec des investissements à la clef d’au bas mot 25 millions de dollars – en contrebas, un musée plus modeste et méconnu des grandes foules maintient le cap depuis maintenant 40 ans avec un budget annuel de quelques dizaines de milliers de dollars.

Jean-Louis Lebreux tient pratiquement à lui seul la destinée du Musée Le Chafaud qui a accueilli au fil des ans des expositions, des hommages et des estampes de quelques-uns des plus grands noms de la culture : Paul-Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle, Picasso, Marc-Aurèle Fortin, Joan Miró, Henri Matisse et tutti quanti.

Autant d’artistes dont les oeuvres n’auraient probablement jamais franchi le seuil de la Gaspésie sans l’aide de celui qui s’investit corps et âme depuis quatre décennies. La route a été longue, parsemée de quelques rêves brisés, mais son désir de partager la culture persiste encore et toujours.

Photo : Fournie par Le Chafaud

Assis devant nous, et malgré des heures incalculables à préparer son prochain catalogue, Jean-Louis Lebreux n’est pas peu fier de son dernier coup de filet, ayant réussi à attirer entre les murs du Chafaud l’artiste Fabienne Verdier. C’est la première fois que la peintre française expose au Canada. Avant même le vernissage, alors que la nouvelle de sa venue à Percé commençait à se répandre dans le monde des arts, des connaisseurs ont commencé à se manifester. Un professeur de muséologie du Québec s’est par exemple
porté volontaire pour faire du bénévolat cet été à Percé, pour le simple plaisir de pouvoir côtoyer les oeuvres de l’artiste. Un appel d’aussi loin que les États-Unis est aussi parvenu jusqu’au directeur du musée pour valider qu’il s’agissait bel et bien de « LA » Fabienne Verdier.


L’une des oeuvres de Fabienne Verdier exposée présentement au Musée Le Chafaud. Photo : Fournie par Le Chafaud

Cette dernière a vécu de nombreuses années en Chine, se rendant dans les tréfonds de l’Empire du Milieu pour apprendre les mécaniques de la calligraphie auprès des derniers grands peintres chinois ayant survécu à la Révolution culturelle. Les amateurs de dictionnaires se rappelleront peut-être aussi que 22 oeuvres originales, composées par Fabienne Verdier, avaient agrémenté Le Petit Robert en 2017 à l’occasion de son 50e anniversaire. L’artiste a notamment exposé ses créations en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Suisse. « C’est inouï de penser que ce petit musée qui n’est absolument pas reconnu par le ministère de la Culture [ndlr : nous y reviendrons plus tard] puisse accueillir une artiste de cette envergure », se réjouit Jean-Louis Lebreux.

Ce dernier est allé jusqu’à la rencontrer dans Charlevoix lors de sa brève résidence dans la région. Il n’avait cependant pas vraiment prévu pouvoir en tirer quelque chose et s’attendait à une courte rencontre d’une quinzaine de minutes. Le rendez-vous aura finalement duré trois heures. De fil en aiguille, le dessein d’une exposition à Percé a fait son chemin et a pris de l’ampleur. De la première mouture d’une exposition qui devait contenir sept oeuvres, elle en contiendra finalement 23. « J’étais bien loin de penser que ça allait aboutir à une exposition de cette envergure, en plus d’être la première au Canada! », ajoute le directeur.

Fidèle à sa réputation, Jean-Louis Lebreux s’est affairé à la tâche pour lui composer un catalogue de 80 pages, à la hauteur de sa réputation, avec plusieurs textes de connaisseurs et de l’artiste elle-même, un peu comme il l’avait fait précédemment pour Riopelle et Alberto Tommi. « Je ne pouvais pas ne pas faire de catalogue, mais ça prend énormément de travail à tous les jours. Ma conjointe [Nicole Deschamps] pourra en témoigner, il y a des soirs, je me couchais à minuit. Toutes les oeuvres sont présentées à l’intérieur. C’était
s’embarquer dans une affaire qui dépassait nos capacités et nos moyens. Ç’a pris des mois! », avoue-t-il en riant. Et des anecdotes et des histoires de la sorte, Jean-Louis Lebreux en aurait à raconter à la tonne après toutes ces années.

Petit retour en arrière avant d’aller plus loin. Armé d’une formation en lettres et d’une autre en archéologie, Jean-Louis Lebreux a mis le cap sur Paris en 1977, plus précisément dans le quartier du Marais où il a décroché un contrat de trois mois pour le Centre Pompidou, fraîchement inauguré. Le contrat durera finalement trois ans. Il aura notamment la chance de travailler sur deux artistes qu’il admire beaucoup : le peintre français d’origine russe Nicolas de Staël ainsi que le photographe et réalisateur américain Man Ray. À quelques semaines de la fin de son séjour, il s’envolera vers l’Inde pour y présenter une série de conférences à propos du Centre Pompidou.

À son retour d’Europe, parti s’intaller à Québec, il n’aura eu le temps que d’y pendre la crémaillère avant de recevoir l’appel de Suzanne Guité, avec qui il ira travailler à Percé pendant deux étés. Il est alors loin de se douter que son destin allait être intimement lié à celui d’un bâtiment rouge et blanc situé sur la rue principale de la capitale touristique. « Je ne le connaissais pas du tout, même si je viens de Grande-Rivière. Quand je l’ai vu, je me suis dit qu’on devait faire quelque chose avec », se remémore Jean-Louis Lebreux.

C’est ainsi qu’est née en 1983 la Corporation du Musée Le Chafaud, dont il est dès lors directeur, poste qu’il occupe encore maintenant. Pour la petite histoire, le bâtiment emblématique de Percé a été construit pour l’industrie de la pêche en 1845 par la Charles Robin and Company. À la fermeture de l’entreprise, il sera cédé à l’Association des pêcheurs de Percé, qui sera expropriée par Québec en 1975 tout en demeurant locataire, avant que le bail ne soit tout simplement résilié.


Photo : Fournie par Le Chafaud

Le Chafaud y déploie ses premières expositions aux deux étages, jusqu’à ce qu’une fois de plus Québec s’en mêle pour plutôt utiliser le rez-de-chaussée comme salle d’entreposage. Le bâtiment appartient encore aujourd’hui à la Sépaq, mais la donne a bien failli changer en 1990 lorsque le ministre québécois de l’Environnement et de la Faune de l’époque, Gaston Blackburn, déclare qu’il sera cédé à la corporation qui le dirige, celle du Chafaud. Trente-trois ans plus tard, elle attend encore … « La salle était pleine et ç’a été les applaudissements de la population. Le lendemain, le directeur du parc [national de l’Île-Bonaventure-et-du-Rocher-Percé] est venu me voir pour me dire qu’il n’en était absolument pas question. »

En 2021, Jean-Louis Lebreux a eu toutes les difficultés à trouver des étudiants dont les salaires sont subventionnés par Ottawa. Il en avait eu quatre l’année précédente. Ses demandes auprès du programme Emploi d’Été Canada se sont perdues dans un dédale administratif, lui faisant craindre le pire, soit de devoir assurer l’accueil, l’entretien et l’administration du musée à lui-seul. Une sortie dans les médias a cependant fait bouger les choses. Cette année, il pourra compter sur un seul étudiant.

« Je ne sais pas combien il gagne, mais il gagne plus que moi au nombre d’heures que je fais. C’est ridicule. Personne ne voudrait faire ça [mon travail]. Mais essayez de trouver quelqu’un dans ces conditions … Nous sommes un petit conseil d’administration qui n’a rien, aucun moyen. »

Après 40 ans, bien de l’eau a coulé sous les ponts, mais Jean-Louis Lebreux est encore fidèle au poste, malgré les obstacles et le peu de financement. Le Chafaud n’est pas reconnu comme une institution muséale aux yeux du ministère de la Culture et des Communications. Pas de reconnaissance, pas d’argent. « On nous a toujours dit qu’on ne voyait pas la nécessité d’un musée puisqu’il y en a un à Gaspé et un autre à Bonaventure. C’est vraiment une méconnaissance totale de Percé comme source d’inspiration pour les artistes », lance le directeur.

La situation est quelque peu ironique considérant les plus de 25 millions de dollars qui seront déboursés pour la restauration de la villa Frederick-James, le peintre américain éponyme qui l’a fait construire sur le cap Canon vers 1887. « C’est une aberration, ce qu’ils sont en train de faire avec ça. Ça dénaturalise le site. Restaurer la villa, oui, mais pas là avec un garage souterrain … c’est pas possible … », laisse-t-il tomber, résigné.

Cette année, trois expositions sont présentées au Chafaud, dont celle de Fabienne Verdier. Jean-Louis Lebreux continue de tenir le fort, mais le poids des années commence à se faire ressentir, lui qui soufflera en juillet ses 79 bougies.

« La relève va être difficile, c’est certain. J’essaie de penser au jour le jour. Je me demande parfois comment j’ai pu tenir le coup pendant 40 ans après avoir présenté tous ces artistes … J’ai toujours voulu de la qualité plutôt que de la quantité. C’est pour ça que des René Derouin, qui est l’un des grands artistes du Québec, sont venus à Percé. C’est lui qui est venu me voir pour exposer au Chafaud. Des estampes de Miro, Picasso et Braque ? Oui j’ai pu faire ça au fil des ans, sans oublier les artistes locaux. Je crois que ça prend un peu de folie; c’est ça quand tu as une passion. Mais aujourd’hui, je me rends bien compte que je suis fatigué … », conclut-il de sa voix douce et apaisante. Passion et dévotion.

 

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