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Éditorial
9 juin 2023 9 h 49

Hébergement hôtelier temporaire : la pointe de l’iceberg

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Le gouvernement québécois a pris une décision nécessaire le 9 mai en déposant le projet de loi 25 visant à renforcer le contrôle de tous les aspects de l’hébergement touristique à court terme dans des maisons ou des appartements faisant partie de réseaux d’un style similaire à celui d’Airbnb.

Cette décision suivait de quelques semaines l’événement tragique du 16 mars à Montréal, un incendie dans un immeuble patrimonial ayant causé la mort de sept touristes internationaux dans des appartements loués grâce à la plate-forme Airbnb. L’un de ces appartements n’avait pas de fenêtre, ce qui contrevient à la loi.

En fait, l’essentiel des règlements applicables à l’hébergement touristique étaient contournés dans cet immeuble, à commencer par le fait que le zonage municipal l’interdisait, de même que l’absence d’un numéro d’immatriculation de la Corporation de l’industrie touristique du Québec.

Le projet de loi 25 était nécessaire parce que la loi précédente, entrée en vigueur six mois et demi auparavant, était systématiquement bafouée par les locateurs d’hébergement temporaire. Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) avait rendu obligatoire l’enregistrement d’un logement à court terme le 1er septembre 2022 mais seulement 30 % des annonces respectaient les paramètres de la loi lors de l’incendie du 16 mars suivant.

La ministre du Tourisme, Caroline Proulx, a fermement indiqué que le projet de loi 25 n’était pas une réponse aux sept décès de l’immeuble du Vieux-Montréal. On veut bien la croire, même si ça semble difficile, mais là n’est pas la question. La ministre Proulx a au moins bougé, en ajoutant des dents à sa seconde mouture du 10 mai, notamment des amendes pouvant aller jusqu’à 100 000 $.

Les racines du problème

Graduellement depuis 2008, l’année de fondation d’Airbnb, l’hébergement touristique temporaire a pris, en adoptant progressivement un rythme débridé, des proportions causant de nombreux problèmes. Ces ennuis touchent notamment la Gaspésie et ils ne sont pas les moindres.

Une agence comme Airbnb doit en principe fournir un lien entre un locateur et un visiteur. Théoriquement, le propriétaire loue sa propre maison pendant son absence à un visiteur. Il n’a pas fallu beaucoup de temps après 2008 pour qu’une distorsion s’installe, distorsion qui n’a fait que s’amplifier depuis 15 ans.

Par exemple, Airbnb et ses congénères ont mené à la création de véritables géants de la location, à un point tel qu’ensemble, ces locateurs contribuent à la pénurie de logement. Ils n’hésitent pas à expulser les locataires à l’approche de la saison touristique, quand ce n’est pas une éviction annuelle. On le voit notamment à Gaspé et à Percé.

Comment créer une vie de quartier, une cohésion communautaire si une portion de 5, 10 ou 20 % des gens vivant dans un espace défini n’y sont que pour quelques jours et désertent les motels, hôtels et auberges qui n’ont entre-temps pas atteint un taux d’occupation idéal?

L’écosystème de type Airbnb a de plus engendré un nombre appréciable d’emplois indirects, puisque les propriétaires embauchent du personnel d’entretien des maisons et des appartements. Ce personnel est essentiellement dépourvu de statut officiel. Il s’agit souvent de main-d’oeuvre immigrée récemment, sans protection, travaillant dans des conditions précaires, en fonction d’un horaire atypique, extrêmement variable.

Souvent, les membres des Airbnb de ce monde ne déclarent pas tous leurs revenus et ils contribuent ainsi à l’économie au noir, à une époque où notre société peine à financer nos soins de santé et alors que nos écoles ont besoin de milliards de dollars pour redevenir attrayantes, sanitairement acceptables et fonctionnelles.

Ces membres locateurs agissent souvent en toute illégalité quant au respect du zonage municipal, comme lors de la tragédie montréalaise du 16 mars. Comment, dans ce cas, encourager la responsabilité et l’équité fiscale? On alimente plutôt le cynisme général et la grogne des hôteliers, qui paient généralement une taxe municipale d’affaires, contrairement à la plupart des membres d’Airbnb.

Dans bien des pays, le nôtre ne faisant pas exception, Airbnb se sert de paradis fiscaux pour soustraire au fisc une grande partie de l’impôt qu’elle devrait payer sur ses revenus. En 2022, Airbnb a déclaré des revenus de 8,4 milliards de dollars américains et des profits de 1,89 milliard de dollars. On ne parle pas d’une binerie!

Dans certains quartiers ou certaines villes, les membres locateurs, mobilisés par Airbnb, réussissent à faire changer les règlements municipaux pour les rendre laxistes. En d’autres occasions, quand les règlements sont permissifs, la firme multinationale protège ses acquis. Cette capacité de mobilisation rencontre généralement peu d’opposition en raison du taux de participation anémique aux élections municipales.

La tragédie de Montréal a certainement contribué à faire douter des « bienfaits » du modèle Airbnb, surtout dans un contexte de forte pénurie de logements.

On comprend maintenant mieux pourquoi les villes de Gaspé et de Percé ont adopté des règlements pour limiter les dégâts en matière d’hébergement de courte durée dans les maisons ou appartements. À Gaspé, où le taux d’inoccupation des logements est de 0 %, sur 160 unités présentées par Airbnb dans les limites municipales, au moins 70, selon des données de la Ville de Gaspé, étaient constituées de maisons ou d’appartements habitables à longueur d’année.

La Gaspésie performe plutôt bien en matière de solde migratoire depuis quelques années. Toutefois, elle doit composer avec une pyramide d’âges qui donne encore un avantage aux décès par rapport aux naissances. Le bilan démographique total dépend donc des arrivées et des retours de personnes de tous les âges. Il faut loger ces gens.

Il reste maintenant à voir si le projet de loi 25, qui pourrait mener à l’imposition d’amendes atteignant 100 000 $ par annonce illégale publiée par une plate-forme comme Airbnb, sera à la fois respecté par la firme et ses membres d’une part, et mise en vigueur par l’État québécois d’autre part. L’ampleur monétaire des infractions devrait avoir un certain effet dissuasif.

La Gaspésie a besoin du tourisme, mais elle a davantage besoin de résidents permanents. La diversification de son économie est bien réelle mais la région aura besoin du retour de ses jeunes, de l’arrivée de nouveaux citoyens, de même que de leurs idées, pour la poursuivre.

Tant et aussi longtemps qu’une partie de son parc immobilier servira à loger des touristes au-delà de ce qui est permis par la réglementation, le redressement démographique sera fragilisé.