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Éditorial
15 septembre 2021 17 h 55

Les politiciens et leur place dans les livres d’histoire : l’exemple des Espaces bleus

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Jean Charest voulait être reconnu comme l’un des grands premiers ministres de l’histoire du Québec, au point de s’autoproclamer l’un d’eux! Philippe Couillard voulait qu’on se souvienne de lui comme le sauveur d’un Québec en supposée déroute des finances publiques.

Il est aussi permis de penser que M. Couillard voudra qu’on se souvienne de lui pour le REM, le Réseau express métropolitain. Pauline Marois voulait doter le Québec d’une charte de la laïcité à tel point qu’elle n’a vu qu’un nombre, un appui public d’environ 65 à 70 %, oubliant que seulement 6 % des Québécois considéraient qu’il s’agissait d’un enjeu important.

Dans le cas de François Legault, les Espaces bleus pourraient bien constituer, selon sa perception, l’une de ses signatures, quand son nom sera mentionné dans les livres d’histoire. Le premier ministre veut des lieux où l’on célébrera la fierté québécoise, où l’on présentera des personnages ayant marqué l’histoire, ou des secteurs d’activités, comme l’aluminium au Saguenay, symbolisant chaque région.

Toutefois, l’impérialisme culturel caractérisant la façon avec laquelle ces Espaces bleus sont imposés aux 17 régions du Québec est navrant. Il fait fi de toute consultation et de concertation dans ces régions.

Ainsi, le premier ministre et sa garde rapprochée ont demandé au ministère de la Culture de former une équipe « secrète » à qui incombait depuis deux ans la préparation des Espaces bleus, pour développer le concept d’édifices patrimoniaux, avec cet aspect muséal destiné à mettre en valeur des éléments auxquels les Québécois peuvent s’identifier.

Cette équipe discrète travaillait en marge des autres activités du ministère de la Culture, dans des locaux séparés. En février, des fuites ont mené au dévoilement des premiers éléments projetés pour les Espaces bleus.

Les membres de la Société des musées québécois ont été très surpris et déçus par le concept, en raison du manque total de transparence, d’échange et de consultation ayant caractérisé la démarche.

Tout a été décidé derrière des portes closes. On parle d’un budget de 259 millions de dollars (M$) pour implanter les Espaces bleus.

L’exemple de la Gaspésie, l’un des trois premiers Espaces bleus connus, avec ceux de Québec et du Saguenay, illustre bien cet impérialisme culturel. Dans la Gazette officielle du Québec, en août, les Gaspésiens ont appris, avec le concours de Radio-Canada, que c’est la Villa Frederick-James de Percé qui serait l’Espace bleu régional.

Ce manque de consultation et de transparence crée des grandes inquiétudes au sein des musées québécois, dont les gestionnaires des musées de la Gaspésie, de même que ceux du réseau des 15 musées scientifiques du Québec. Il est pour le moins troublant de constater que ces musées scientifiques avaient déjà déposé un concept de musée national réparti dans 15 régions. C’est ce concept qui est repris par le gouvernement Legault, avec comme dénominateur commun la … fierté!

La stratégie de François Legault et de son entourage est assez habile, sur le plan politique. Qui critiquera, sans passer pour un pisse vinaigre, une initiative culturelle de 259 M$, couvrant les 17 régions administratives du Québec, et qui moussera des sujets rassembleurs et sources de fierté? Il y a des gens qui en feront un lieu de pèlerinage ou qui entreprendront les visites comme on fait le tour des microbrasseries, avec la tournée des Espaces bleus comme thème.

En Gaspésie, la sauvegarde de la Villa Frederick-James s’imposait. Personne ne s’y oppose. Aurait-on pu faire différemment? Bien sûr, puisque la Ville de Percé coordonnait déjà un projet pour y mettre l’art en valeur. Comment, dans le contexte dicté par François Legault, rassurer des personnes comme Jean- Louis Lebreux qui tient, à force de poignets et depuis des décennies, Le Chafaud, un musée de Percé consacré aux arts visuels, musée situé à deux pas de la Villa?

Les moyens employés par l’État québécois sont profondément inquiétants pour les gestionnaires des musées existants, ceux qui ont mis des années à obtenir un financement convenable en dépit de performances annuelles meilleures que bien des musées urbains. On peut penser à Exploramer, à Sainte-Anne-des-Monts. Ce financement, parfois encore insuffisant, sera-t-il consolidé ou amélioré, si le besoin se manifeste?

Le gouvernement Legault se targue d’être un gouvernement décentralisateur, favorable aux régions. Pourtant, avec ses Espaces bleus, il impose un colonialisme des années 1950. Le gouvernement créera un réseau à connotation muséale, en disant aux gens des régions ce qu’on mettra dedans, ce qui est supposé les rendre fiers et en désignant un valet pour le gérer.

Si, dans l’Espace bleu, on parle de René Lévesque ou de Mary Travers, dite La Bolduc, on bafouera la cohérence entre musées en créant des doublons avec le Musée de la Gaspésie et l’Espace René-Lévesque.

N’y aurait-il pas eu moyen de consulter les acteurs culturels de la Gaspésie au sujet de la pertinence de déployer selon leur jugement les 12 ou 15 M$ qui échoueront ici pour l’Espace bleu? On arrive à cette somme en soustrayant de 259 M$ les frais de démarrage initiaux du réseau, autour de 48 M$, et en divisant le solde par 17 régions.

N’y aurait-il pas eu moyen de renforcer la Haute-Gaspésie, qui ne compte qu’un musée, Exploramer? Le phare de La Martre, doté d’une collection remarquable, et soutenu par des bénévoles depuis 35 ans, aurait pu devenir ce second musée.

Et si la région avait décidé de créer des Espaces bleus, en fonction de la sauvegarde d’un ensemble restreint de bâtiments patrimoniaux?

Rares sont les projets régionaux, poussés sans concertation, dans un secteur aussi dynamique que le milieu culturel gaspésien, qui donnent des résultats satisfaisants.

Il est toujours risqué de solliciter d’avance les rédacteurs de livres d’histoire. Il est mieux pour les premiers ministres de se concentrer sur le service public. S’ils se consacrent aux missions les plus urgentes et aux visions les mieux éclairées, les historiens retiendront sans doute ce travail.

Qui croit vraiment que Jean Charest appartient aux grands premiers ministres de l’histoire du Québec? N’est-il pas davantage mentionné pour avoir balancé aux femmes de ses cabinets les responsabilités les plus ingrates, pour le financement douteux du Parti libéral du Québec (PLQ) et pour un Plan Nord plutôt vide?

Un goût de cendres vient à la bouche de nombreux Québécois, même de ses partisans, quand le nom de Pauline Marois est évoqué, parce qu’elle a exagéré l’importance de sa charte des valeurs et parce qu’elle a déclenché une élection inutile, en mars 2014. Qui est prêt à prédire, sept ans plus tard, un éventuel retour du Parti québécois au pouvoir?

Philippe Couillard a soumis le Québec à une incertitude superflue, entre avril 2014 et le début de 2017, en appliquant des mesures d’austérité qui ont plongé le secteur de la santé, de l’éducation et les régions dans un marasme encore omniprésent, trois ans après sa défaite électorale. Là encore, qui est prêt à prédire l’accession prochaine du PLQ à la tête de l’Assemblée nationale? Le sauveur était-il plutôt un saboteur?

Si les musées québécois devaient souffrir à plus ou moins brève échéance du coup de force des Espaces bleus, et si François Legault continue de rêver aux livres d’histoires plutôt qu’à la primauté du service public, il pourrait bien joindre la compagnie des Charest, Marois et Couillard au rang des premiers ministres dont le bilan est épineux à tracer, dirons-nous poliment.

Il a parfois reconnu ses torts. Le fera-t-il cette fois?