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11 septembre 2024 11 h 52

Nos villages et l’eau: savoir s’adapter

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MONT-LOUIS | Depuis que je suis arrivée en Gaspésie, je demeure à l’affût de ce magnifique terrain ou de cette mignonne maison pour les années qui viennent. Certains d’entre vous ont déjà hérité d’une propriété des générations précédentes, soit sur le bord de la mer, soit dans la montagne ou encore sur le bord d’une de nos magnifiques rivières. En cherchant ce lieu, je demeure impressionnée de voir ce qui incombe comme recherche aux acheteurs et le risque porté par chacun d’entre nous face aux changements climatiques. Les Gaspésiens doivent composer avec le risque de leurs rivières très sensibles aux inondations et aux glissements de terrain. De surcroît, nous avons ce golfe au nord, cette mer à l’est, cette baie au sud, qui montent tranquillement, mais sûrement. Chaque tempête nous vole un peu de territoire. Quelles sont les meilleures stratégies d’adaptation? Quelle part repose sur les épaules des propriétaires et des gouvernements?

Les inondations des rivières : un cadre normalisé

Les villages gaspésiens longent la mer et entrent dans l’arrièrepays le long des rivières à quelques kilomètres. Pour les résidents qui préfèrent la rivière à la mer, ils doivent composer avec les inondations printanières. Pour savoir si une maison est en zone inondable, un acheteur peut consulter les cartes de zones inondables mises à jour par le ministère de l’Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parc(1). En principe, il y a peu de maisons dans ces zones, mais avec l’augmentation des précipitations et des événements météorologiques extrêmes, les acheteurs ou les propriétaires actuels peuvent se questionner sur l’ampleur des crues dans les années à venir. Que devront-ils faire pour protéger leurs habitations de ces futurs événements plus intenses et fréquents?

Selon les données climatiques publiées par le Centre pour l’étude et la simulation du climat à l’échelle régionale (ESCER), ce sont déjà 20 mm de plus de pluie que la Gaspésie a reçus de 2010 à 2020 en moyenne. Le Québec est habitué aux inondations et dispose d’institutions assez robustes pour faire face à cet enjeu. Toutefois, la tempête Debby tombée sur le sud-ouest de la province le 9 août dernier nous a clairement démontré qu’il y a une nette différence entre 100 mm et 200 mm de pluie en 24 heures, notamment en matière de sécurité, de dommages et de dégâts (voir figure 1).


Un exemple de carte de zone inondable disponible sur le site web du gouvernement du Québec. Photo : Carte interactive des zones inondables, Gouvernement du Québec, Août 2024

La montée de la mer : un nouveau cadre de prévention

Évidemment, la montée des eaux n’est pas un phénomène soudain, mais plutôt un phénomène lent qui se développe au fur et à mesure sans nous prendre par surprise, sauf dans les grandes tempêtes. En Gaspésie, les citoyens sont très éveillés aux aléas climatiques et à leurs effets sur son littoral. Les cas de la rue des Tournepierres à Maria ou de Rivière-au-Renard frappent d’ailleurs encore l’imaginaire gaspésien. C’est devant ces événements inédits et répétitifs que Carleton-sur-Mer, Maria, Bonaventure et New Richmond se sont mobilisées dans un projet de gouvernance participative et de résilience aux changements climatiques avec l’aide de plusieurs spécialistes de l’érosion côtière. Mais, est-ce que toutes les municipalités gaspésiennes sont aussi prêtes à faire face aux risques d’érosion ou de submersion côtière? Doivent-elles en faire davantage?

Le ministère de la Sécurité publique a produit une cartographie des zones de contraintes relatives à l’érosion côtière et aux mouvements de terrain(2) (voir figure 2) qui permet aux municipalités et aux propriétaires de maison de voir si leur propriété se trouve en zone de contrainte, proche ou relativement loin. En principe, ces cartes permettent aux municipalités de mettre à jour leurs plans d’urbanisme afin d’interdire de nouvelles constructions dans ces zones. Mais qu’en est-il des propriétés actuelles? Et quels sont les recours d’aide technique ou financière?


Un exemple de la carte des zones de contraintes d’érosion et de mouvements de terrain de la municipalité de Sainte-Anne-des-Monts. Photo : Carte interactive des zones de contraintes d’érosion et de mouvements de terrain, Gouvernement du Québec, Août 2024

La part du gouvernement, la part du propriétaire

Le gouvernement provincial a mis en place un Cadre pour la prévention des sinistres (CPS) depuis 2013. Le cadre permet d’offrir un soutien financier et/ou technique pour les municipalités et les municipalités régionales de comté (MRC) afin qu’elles puissent réaliser des analyses de risques ainsi que des travaux de prévention et d’atténuation des risques de sinistres. Le CPS couvre les risques liés à l’érosion et à la submersion côtières, aux inondations, aux glissements de terrain, aux tremblements de terre, aux risques industriels, aux feux de forêt et à certains aléas nordiques, notamment les avalanches. Si vous voulez savoir à quoi ressemble un tel processus, un document destiné aux citoyens fut publié par la municipalité de Sainte-Flavie en 2021, un projet pilote(3).

Devant l’accélération de l’érosion côtière et ses impacts sur la sécurité publique, le gouvernement du Québec a pris la décision de s’organiser autrement pour entreprendre cette tâche inédite d’adaptation aux risques côtiers. Il a mis en place un nouveau Bureau de projets en érosion et submersion côtières regroupant les différentes responsabilités ministérielles : sécurité publique, affaires municipales, logement, environnement et transport. Plusieurs projets pilotes sont en cours pour bonifier l’intervention publique. Sainte-Anne-des-Monts est d’ailleurs un des projets pilotes qu’a financés le gouvernement du Québec.

L’adaptation de votre résidence : comment s’y prendre?

Malgré toutes ces initiatives, il est difficile pour le citoyen d’y voir clair. L’information est difficile à comprendre et à trouver. Comme nos propriétés sont des leviers financiers importants pour nos vieux jours, le propriétaire doit adapter la sienne pour qu’elle prenne de la valeur. Il serait important que ce nouveau bureau rédige un guide pour savoir comment s’y retrouver. Déjà, plusieurs propriétés situées en zones côtières à risque ne trouvent pas preneur car, à ce stade-ci, tous savent que l’eau monte, que les tempêtes frappent. En plus, les propriétés sont plus difficiles à assurer. Pour certaines très à risque, il est possible que vous soyez le dernier propriétaire. La meilleure stratégie – peu importe si vous décidez de rester ou de vendre – est d’adapter votre résidence aux aléas côtiers, que ce soit par l’adaptation de votre maison, telle que son déplacement ou son rehaussement, ou encore la protection extérieure, notamment la « revégétalisation » de la propriété ou d’autres solutions naturelles favorisant la rétention des sols. Certains Gaspésiens en ont fait une carrière, notamment Philippe Sauvé, ingénieur côtier, sur qui le GRAFFICI s’est penché en juillet 2023(4) (voir figure 3).

Une des nombreuses solutions proposées dans la publication Inondations + Habitations : Mesures d’adaptation résidentielle. On voit de plus en plus de maisons surélevées ainsi sur colonnes dans des états côtiers américains affligés par les tempêtes plus fréquentes et violentes. Photo : Inondations + Habitations: Mesures d’adaptation résidentielle, Architecture Sans Frontières Québec, mars 2023

Et si l’investissement et les risques sont trop élevés?

Si vous ne voyez pas comment votre propriété peut être protégée avec des améliorations à un prix décent pour vos finances, il ne vous reste qu’à vous mobiliser, de même que vos voisins situés dans une telle zone à risque, pour demander un cadre de prévention des sinistres à votre municipalité. Peut-être que vous êtes plusieurs à avoir encore espoir que votre maison sera achetée à un prix qui couvrira votre prix d’achat et les investissements apportés à la propriété au fil du temps. Vous pouvez aussi la sous-louer à des touristes le plus longtemps possible afin de pouvoir recouvrer votre investissement. C’est compréhensible. Une maison, c’est un fonds de pension. C’est très sensible et il faut prendre la meilleure décision pour nous.

L’avantage d’un secteur immobilier capitaliste est que vous pouvez faire ce que vous voulez, ou presque, sur votre propriété et profiter des épisodes de spéculation pour augmenter votre fonds de pension. Mais, à l’inverse, lorsque les risques augmentent sur votre propriété, et que sa valeur baisse, vous assumez tous les risques et ses vices au moment de l’achat. Dans le cadre de changements climatiques, ceci demande un minimum de connaissances et de leadership à chaque propriétaire pour prévenir ses risques individualisés.

Attendre ou s’activer

Pour garder votre maison à tout prix, il faut avoir le goût de la rénovation. Un petit guide à l’intention des citoyens a été produit par Architecture Sans Frontières Québec pour que votre maison soit adaptée aux inondations(5). Si vous pensez encore pouvoir vendre, vous attendrez encore. Si vous ne pouvez vendre, la solution demeure ce Cadre de prévention des sinistres, lequel prévoit une indemnisation maximum de 385 000 $ pour une maison et 485 000 $ pour un bâtiment commercial. Peut-être que d’attendre est aussi un risque : est-ce que nos gouvernements pourront indemniser tout le monde? Pour l’instant, l’argent est là, les municipalités gaspésiennes devraient en profiter. Une des nombreuses solutions proposées dans la publication Inondations + Habitations : Mesures d’adaptation résidentielle. On voit de plus en plus de maisons surélevées ainsi sur colonnes dans des états côtiers américains affligés par les tempêtes plus fréquentes et violentes.

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1 Carte interactive des zones inondables. Gouvernement du Québec, 2024. Site web: https://www.cehq.gouv.qc.ca/zones-inond/carte-esri/index.html

2 Cartographie des zones de contraintes relatives à l’érosion côtière et aux mouvements de terrain. Ministère de la Sécurité publique, novembre 2022. Site Web: https://www.donneesquebec.ca/recherche/dataset/zones-contraintes-erosion-et-mouvements-de-terrain/resource/9975e013-9c3c-4b19-8298-7b7c4c33f7ea

3 Cadre de prévention des sinistres: c’est quoi le CPS? Sainte-Flavie, 2021.

4 Outiller les communautés riveraines face à l’érosion : la mission de Philippe Sauvé. Olivier Béland-Côté. Le journal GRAFFICI. 7 juillet 2023.

5 Habitations + Inondations: mesures d’adaptations résidentielles. Architectes sans frontières Québec, 2023.