Parce que nous sommes en 2025 !
Le 14 mars, le nouveau premier ministre du Canada, Mark Carney, a choisi Chrystia Freeland, ex-ministre des Finances, comme ministre des Transports dans un cabinet qui n’a été en fonction que quelques jours, le temps du déclenchement d’une campagne électorale.
Lors d’une campagne électorale, seulement quelques ministres gardent leurs fonctions, comme le ministre des Finances, le ministre de la Justice et, étant donné le contexte chaotique créé par le président américain Donald Trump, celles et ceux qui jouent un rôle déterminant dans l’apaisement des tensions entre les États-Unis, l’incendiaire dans l’histoire, et le Canada, le sinistré.
Comme il est possible que Mark Carney soit élu premier ministre du Canada le 28 avril, il est aussi possible que Chrystia Freeland reste aux Transports, bien que rien ne soit assuré à ce sujet. Si le mandat de M. Carney est fort, il aura les coudées franches pour renouveler son équipe, mais garder des valeurs sûres comme Mme Freeland sera un atout.
Si sa nomination aux Transports est perçue comme un recul dans son plan de carrière, c’est parce que ce ministère est rarement confié à une ou un visionnaire. Depuis 50 ans, un seul ministre fédéral des Transports s’est vraiment distingué, David Collenette.
Il serait donc intéressant que Mme Freeland y voie un grand défi, les transports constituant un parent pauvre des ministères fédéraux, surtout sur le plan du transport ferroviaire de passagers. Bien des pays du Tiers Monde jouissent de services infiniment plus performants que ceux du Canada. Si les mots « ferroviaire » et « performance » se retrouvent dans une même phrase ici, le mot « désastreuse » doit être accolé au second.
Pensons-y. Les trains de passagers étaient plus rapides il y a 50 ans que maintenant, partout au Canada, à part certains trains de banlieue hors de la responsabilité de notre « transporteur national », VIA Rail. Aucun pays soi-disant développé n’affiche un si piètre bilan, et peut-être aucun pays, point.
Ignorance ou incurie, naïveté ou mépris ?
Les principales causes de cette réalité découlent d’un manque de vision de nos élus, fédéraux et provinciaux, qu’on pourrait appeler ignorance ou incurie, et d’une naïveté, qu’on pourrait appeler mépris, quant aux services à donner au public.
Après un long manque d’inspiration pour identifier le legs qu’il laissera, Justin Trudeau a annoncé, trois semaines avant son départ officiel, la venue d’un TGV entre Québec et Toronto, un projet de 80 à 120 milliards de dollars (G$) qui a très peu de chances de se réaliser avant 2045, ou de se réaliser tout court. Des centaines de millions de dollars ont après tout été engloutis depuis 35 ans dans des études portant sur ce projet.
Il y a 30 ans cette année, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a privatisé le Canadien National (CN), le principal transporteur de marchandises par rail au pays, après un « ménage » réalisé par les conservateurs de Brian Mulroney visant à le rendre plus attrayant pour les « investisseurs », qu’on devrait toujours appeler spéculateurs.
Jean Chrétien et Brian Mulroney, avant sa mort, ont vanté cette « excellente affaire », dans laquelle le gouvernement fédéral a obtenu 2,2 G$.
Tous deux, et d’autres, ont vanté et vantent encore les résultats financiers du CN, comme si les dividendes versés au secteur privé et générés par la surfacturation envoyée à des expéditeurs constituaient une occasion de se réjouir. Ces expéditeurs refilent bien sûr la facture à leurs clients et ultimement, au public.
Le CN déclare régulièrement un taux de profit de 35 %. Le tiers de ses revenus d’affaires prend donc la forme de dividendes versés à des boursicoteurs. Connaissez-vous beaucoup de vos placements qui donnent légalement du 35 % ?
L’objectif de la compagnie est régulièrement écrit dans son rapport annuel : faire davantage de profits à partir du volume de marchandises actuel.
Il ne s’agit donc pas de maximiser le volume de fret ferroviaire, pendant que les camions, nécessaires, mais trop lourds, et circulant sur de trop longues distances, laissent nos routes en lambeaux. Qui paie pour les routes ? Davantage les contribuables ordinaires que les riches actionnaires du CN.
De plus, le CN fait la vie dure à VIA Rail, donc au transport de passagers, en priorisant ses marchandises lors de rencontres de convois entre trains de fret et de passagers. Normal ? Au Canada, oui, mais ailleurs dans le monde, non ! Sous Joe Biden, même le gouvernement américain a adopté une loi priorisant les trains de passagers. Jusqu’à récemment, Donald Trump n’avait pas encore adopté de décret pour défenestrer cette loi.
La Gaspésie dans tout ça ?
Le cas gaspésien sort un peu du modèle moyen d’autres régions du Québec. La population régionale a réussi, à force de revendications, à sauver son réseau ferroviaire de Matapédia à Gaspé en dépit de divers écueils.
La Société du chemin de fer de la Gaspésie, une compagnie sous contrôle municipal offrant le service de transport de marchandises, a démontré une imagination remarquable pour optimiser le volume de bois d’oeuvre, de copeaux, de ciment et de composantes éoliennes passant sur un réseau qui appartient depuis 2015 à Transports Québec.
Les Gaspésiens sont toutefois encore mal servis par VIA Rail, un transporteur public largement dominé par des spécialistes du désengagement. On y annule des trains à la moindre occasion, souvent à la dernière minute.
Il est aussi vrai que le contexte d’exploitation des trains de passagers est défavorable au transporteur : financement inadéquat, matériel roulant insuffisant et largement dysfonctionnel et, à la source de ces problèmes, des politiciens ignorants et sans envergure sur le plan des transports.
On entend, en Gaspésie, la direction de VIA Rail insister sur un retour entre Matapédia et Gaspé uniquement quand la voie ferrée sera entièrement réparée. Pourtant, VIA Rail a suspendu son train Montréal-Gaspé par étapes en 2011 et 2013 ; il peut donc aussi revenir par étapes. Ça coule de source, alors qu’il est primordial de regagner la clientèle au plus coupant.
Depuis deux ans, plus de 19 000 personnes ont signé la pétition de la Coalition des Gaspésiens pour le retour du train de passagers de VIA Rail, graduellement, donc à New Carlisle d’abord et à Gaspé dès que la voie ferrée y sera praticable. Les signatures entrent toujours.
Pourtant, les politiciens nationaux tardent à appuyer la Coalition pour des raisons obscures. Diane Lebouthillier s’est distinguée par ses souffles chauds et froids, surtout froids en fait, sur la question du chemin de fer au-delà de Port-Daniel.
À Québec, Catherine Blouin, de Bonaventure, et Stéphane Sainte-Croix, de Gaspé, mettent régulièrement le chemin de fer dans leur bilan annuel, et il est vrai que sécuriser la somme de 872 millions de dollars pour sa réfection est étonnant. Les nombreux retards imputables à la lenteur de publication des appels d’offres de Transports Québec ont toutefois considérablement nui à l’avancement de la réfection.
Il est temps, à quelques semaines de la réouverture du tronçon à New Carlisle, de s’assurer que la voie ferrée serve aussi du monde.
L’élection fédérale constitue l’occasion rêvée pour « planter » ce sujet régional dans la campagne.
En abolissant la taxe carbone, Mark Carney a promis d’autres mesures compensatoires pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre au pays.
Vite moderniser la flotte de VIA Rail, augmenter son anémique fréquence de trains et mettre le CN au pas avec une loi digne de 2025 pour prioriser les passagers corrigeraient des pratiques dépassées, impensables ailleurs.
Ce serait aussi une façon de corriger « l’oubli » de Justin Trudeau lors de l’annonce du TGV, alors que les services régionaux ont été totalement escamotés.