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Éditorial
17 septembre 2014 10 h 34

Québec et Gastem ont tout à perdre

Gilles Gagné

Éditorialiste

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Même si le processus judiciaire ne s’amorcera pas avant 2015, le village de Ristigouche-Sud-Est a déjà gagné une manche dans la lutte qu’a déclenchée la firme pétrolière Gastem en 2013 contre la communauté de 168 personnes. Cette manche, c’est celle de l’opinion publique.

Toute lutte mettant aux prises des combattants de tailles initialement inégales attire un certain degré d’attention. Celle de Ristigouche-Sud-Est frappe davantage l’imaginaire que la moyenne en ce qu’elle oppose l’une des municipalités les moins populeuses du Québec et le représentant d’une industrie qui a historiquement peu fait pour gagner de la sympathie.

En adoptant en mars 2013, comme des dizaines d’autres municipalités québécoises à l’époque, un règlement pour établir une distance minimale de deux kilomètres entre un forage pétrolier et une source d’eau potable, Ristigouche-Sud-Est a soulevé l’ire de la direction de Gastem, qui prévoyait percer le sol à 100 mètres d’une maison et d’un bras de la rivière Kempt.

Lors du dépôt de son action en justice en juillet 2013, la compagnie a établi que la municipalité lui avait causé des dommages de 1,5 M$. C’est cinq fois et demie le budget du village et un montant susceptible de l’envoyer à la faillite, s’il perd la cause sur toute la ligne.

Le contexte de 2013 était acrimonieux, rappelons-le. La Ville de Gaspé avait sonné la charge pour protéger son eau potable à Haldimand. En décembre 2012, elle avait, dans la mouvance de 70 autres municipalités, adopté un règlement établissant cette fameuse distance de deux kilomètres entre un forage exploratoire et une source.

Il a fallu plus d’un an et demi, et deux gouvernements, pour pondre un règlement québécois situant à 500 mètres la zone de protection.

Dans la lutte entre Gastem et Ristigouche-Sud-Est, deux éléments frappent l’imaginaire. Si la firme voulait forer présentement, le règlement québécois l’empêcherait d’obtenir un permis. De plus, Gastem a vendu ses claims dans le secteur d’Avignon-Ouest à Pétrolia.

En lançant sa campagne de financement pour recueillir 225 000 $ et assurer sa défense contre Gastem, Ristigouche-Sud-Est a éveillé les consciences de milliers de personnes.

Il y a quelque chose d’assez révélateur dans cette campagne, et ce sont les plus petits et les plus grands dons. Une personne requérant l’anonymat a ainsi consacré 10 000 $ à la cause. Mais les petits dons sont aussi déterminants, sinon plus. Des gens versent un dollar, ou 2,30 $, ou 3 $ parfois. Cela veut dire que des enfants, ou des adultes fauchés, considèrent tout de même important d’appuyer le village.

Pour cette raison, parce que l’appui vient de milliers de personnes, et parce que ce mouvement est sur le point de s’étendre bien au-delà des frontières québécoises, il arrivera sans doute un moment où les positions de Gastem et du gouvernement québécois seront intenables.

Gastem, même si elle est loin d’être une multinationale, voit son image corporative passablement écorchée dans le contexte actuel, les compagnies pétrolières n’ayant au départ qu’un très faible capital de sympathie publique.

En refusant, pour le moment du moins, d’appuyer financièrement Ristigouche-Sud-Est dans sa cause en Cour supérieure, le gouvernement québécois se place politiquement en état d’infériorité. Sa majorité à l’Assemblée nationale lui donne de la marge de manœuvre, mais la cause pourrait n’être entendue qu’en 2016.

Ce gouvernement, qui risque d’être fort impopulaire en coupant un peu partout dans les services, n’a et n’aura nullement besoin de montrer une insensibilité vis-à-vis une cause aussi importante que la protection de l’eau. Il serait mieux avisé de tenter de jouer les médiateurs, malgré le doigté que requiert une intervention dans une cause déjà signifiée à un tribunal.

Autre mauvaise nouvelle pour l’État, l’appui à Ristigouche-Sud-Est vient aussi de centrales syndicales, comme le Syndicat des professionnelles et des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ). Son président Richard Perron a exprimé son appui de vive voix au maire François Boulay, le 7 septembre. Aux 5 000 $ du syndicat s’ajouteront des dons individuels de membres, suivant l’invitation de M. Perron.

En expliquant les motifs de son don, le président du SPGQ a servi une leçon de citoyenneté au ministre des Affaires municipales Pierre Moreau en statuant que «tant par ses principes que par ses objectifs et ses méthodes d’action, le SPGQ apporte sa contribution à l’édification d’une communauté humaine solidaire dans le respect de la liberté, de la dignité, de l’égalité, de la justice et de la fraternité».

Le SPGQ, comme d’autres donateurs, n’a aucun bénéfice à retirer de sa contribution à Ristigouche-Sud-Est, où il n’a probablement aucun membre.

À la limite, l’État québécois, en plus de faire preuve de civisme, aurait un intérêt politique à intervenir dans le dossier Gastem. Saura-t-il le voir?