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16 septembre 2020 11 h 15

Revenu de base : un Gaspésien au cœur d’une expérimentation inédite

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La question a notamment fait la manchette en raison de la pandémie de Covid-19. Mais pour Martin Zibeau, un résident de Saint-Siméon, le revenu de base constitue bien plus qu’un sujet d’actualité : voyant inconditionnellement apparaître chaque semaine 375 $ dans son compte en banque depuis le début de l’année, il le vit concrètement dans le cadre d’un projet pilote.

Lorsque GRAFFICI lui demande de se présenter, l’homme de 52 ans originaire de Vanier, à Québec, énumère ceci : être humain, papa, citoyen engagé et intéressé par tout ce qui touche l’alternatif et le communautaire. Il ne lui vient même pas à l’idée de mentionner ce qu’il fait dans la vie, ayant « pris sa retraite du salariat » il y a de nombreuses années. « Je ne veux pas retirer uniquement un salaire de mon travail. J’ai déjà été salarié et même fonctionnaire, j’ai essayé ces chemins-là. Ce que j’essaie de faire dans toutes les sphères de ma vie, c’est de ralentir », vulgarise celui qui a choisi de ne pas « vendre ni louer sa vie ».

Demeurant dans sa petite maison centenaire installée sur un vaste terrain où les framboisiers, l’angélique et les rosiers font la belle vie, le quinquagénaire qui cumule les petits contrats pour joindre les deux bouts a choisi de vivre différemment. Sans juger ceux qui ne le font pas, sans tenter de les convertir à ce qui lui, le rend heureux : un quotidien dont les impacts négatifs sont minimaux, et ce, à tous les niveaux. À ce titre, le principal intéressé est bien conscient de vivre dans la marge. « Je ne suis clairement pas un modèle conventionnel. […] Ma vie, c’est quand même un statement politique. Ça ne me gêne pas du tout, au contraire », lance-t-il en entrevue.

Devenir « le chercheur et le cherché »

Le début de l’aventure remonte à 2018; lors d’un tour hivernal de la Gaspésie à vélo, le cycliste se retrouve à la même table que le Dr Yv Bonnier-Viger. Le sujet du revenu de base se fait une place dans la discussion. Le directeur de la Santé publique régionale, qui fait partie du regroupement Alliance Revenu de Base Région Est (ARBRE), lui présente l’objectif des nombreux acteurs qui s’y impliquent : doter la population de l’Est-du-Québec, en 2040, d’une assurance-revenu de base.

Le médecin capte l’attention de M. Zibeau en un tournemain. Curieux d’en apprendre davantage sur l’initiative, ce dernier se déplacera à Gaspé, six mois plus tard, pour assister à une conférence présentée par le professionnel de la santé; il est ni plus ni moins renversé. « J’allais juste voir ce que c’était, ce projet-là. J’ai capoté! C’est hallucinant! C’était clair qu’il fallait que je m’implique là-dedans », raconte-t-il, tout sourire.

Emballé par l’aspect novateur de la chose et disposant de beaucoup de temps, l’homme de terrain ne tarde pas à offrir sa collaboration. Au fil des échanges, Martin Zibeau expose son rêve au Dr Bonnier-Viger : être en quelque sorte « un projet pilote à l’intérieur du projet pilote » en recevant lui-même un salaire de base. « Dans le meilleur des mondes, je voulais documenter mon évolution, ce que ça brasse en moi, ce que ça amène dans ma vie, le positif et le négatif, s’il y en a. J’ai juste lancé ça de même, se remémore M. Zibeau. […] Il m’a rappelé quelques semaines après. C’était drôle! Il m’a dit « Bon, bien, on va y aller avec ton rêve »».

C’est ainsi que le Gaspésien d’adoption est devenu « le chercheur et le cherché ». Celui qui reçoit l’équivalent de l’indice du panier de consommation chaque semaine en vertu de cette entente conclue avec le médecin ignore d’ailleurs avec précision d’où provient cette allocation. Vérification faite par GRAFFICI, le projet est financé directement par le docteur Bonnier-Viger.

Des retombées positives

Au moment où Martin Zibeau accueillait GRAFFICI dans sa cour arrière pour partager son expérience, il avait déjà complété plus de la moitié de son projet pilote. Enthousiaste à l’idée de créer un précédent, il note que sa participation a apporté de belles améliorations dans son quotidien. Père de deux enfants de dix et douze ans dont il a la garde complète aux quatre mois, il a vu son stress chuter drastiquement. Il a en effet cessé instantanément de se tracasser quant à la façon dont il parviendrait à payer l’épicerie ou l’essence servant aux déplacements du clan.

« Depuis le début du projet, j’ai fait plus de choses que jamais, renchérit-il. J’ai fait mon jardin, j’ai été beaucoup plus dédié à mes enfants, quand les écoles étaient encore ouvertes, j’ai offert des ateliers d’improvisation gratuitement. Ça m’a enlevé de la pression, mais ça ne m’a pas enlevé le goût d’être impliqué, d’être présent ». Il est, à son avis, l’exemple même des effets positifs pouvant découler d’une telle initiative. « Je souhaite à tout le monde une expérience comme celle que j’ai la chance de vivre. Je le pensais déjà après un mois seulement », précise-t-il.

M. Zibeau garde néanmoins les deux pieds sur terre; il admet sans détour que le tout n’est pas parfait. « Si je compare ma vie d’aujourd’hui à celle d’avant, il y a quand même une partie de procrastination. Elle est là et elle existe, on ne peut pas le nier. […] Ça m’a peut-être libéré un 20 % de procrastination », avoue-t-il.

Convaincu

Celui qui a cofondé le Loco Local de Bonaventure et contribué au lancement du Demi, une monnaie locale gaspésienne, est plus que jamais convaincu du bien-fondé d’un salaire de base assuré à tous, ce « filet social inconditionnel et universel ». « L’idée d’un revenu de base, c’est d’éradiquer la pauvreté. Ce n’est pas juste ça, mais ça a ce potentiel-là parce que tout le monde, partout, aurait le minimum pour vivre », défend-il. Il estime également que ceux et celles dont la survie dépend d’allocations gouvernementales ne seraient plus confrontés à l’ostracisation.

M. Zibeau croit par ailleurs que la grande majorité des prestataires d’un salaire garanti continueraient d’être actifs sur le marché du travail. À son avis, ce concept donnerait, qui plus est, une meilleure latitude à ceux et à celles qui veulent s’engager dans leur communauté. « C’est sûr que si tout le monde reste assis sur son steak en attendant que l’argent rentre, ça ne marcherait pas », nuance-t-il.

Ce dernier ne manque pas une seule occasion de partager « l’opportunité extraordinaire » qui lui a été offerte, tant dans les médias qu’auprès de ses concitoyens. « C’est certain qu’on ne peut pas baser un projet qui viserait une population entière sur un « chummy » de la Gaspésie qui l’a essayé pendant un an, mais c’est une chose concrète que j’ai faite. Moi, je ne demande pas mieux que de répondre aux questions des gens et d’écouter leur point de vue », mentionne Martin Zibeau.

Les personnes désirant en savoir davantage sur la question du revenu de base peuvent consulter le site Web de l’ARBRE, au http://revenudebase.ca/


Ayant adopté un mode de vie minimaliste depuis belle lurette, Martin Zibeau était, d’une certaine façon, le candidat parfait pour une telle expérimentation.
Photo : Roxanne Langlois